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Chapitre I. Problématique

2.3 L’encadrement normatif

2.3.2 Au niveau provincial

Outre la loi fédérale, les pratiques de GPA et de don d’ovules sont aussi encadrées au niveau provincial par deux cadres normatifs, soit la Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée et le Code civil du Québec.

2.3.2.1 Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée Sanctionnée par l’Assemblée nationale en juin 2009 puis adoptée le 5 août 2010, la Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée est venue combler à l’échelle provinciale une partie du vide laissé par l’abrogation des dispositions de la loi canadienne (gouvernement du Québec, 2009). À l’époque, l’un des arguments majeurs en faveur de son adoption était la volonté de diminuer le nombre de grossesses multiples et, par le fait même, leurs risques obstétricaux et le recours à des soins pédiatriques spécialisés. De fait, la Loi et ses règlements ont pour objectif d’assurer une pratique sécuritaire et éthique dans le domaine de la procréation assistée, en limitant par exemple le nombre d’embryons pouvant être implanté lors d’un cycle de FIV à un seul (ou deux embryons, dans certaines situations exceptionnelles pouvant justifier une telle procédure). La loi a aussi permis le déploiement d’un programme assurant la couverture publique et universelle des services de procréation assistée, une première en Amérique du Nord.

Entre 2010 et 2015, le Programme québécois de procréation assistée a été l’un des plus généreux et accessibles au monde, puisqu’il couvrait jusqu’à trois cycles de FIV pour les femmes munies d’une carte d’assurance maladie, et ce, sans égard à leur situation conjugale (en couple ou célibataire) ou leur orientation sexuelle. Selon Tulandi, King et Zelkowitz (2013), un tel financement public a permis d’augmenter l’autonomie reproductive des personnes concernées, en plus de garantir un accès équitable aux services pour l’ensemble de la population. En l’absence d’une réglementation et de balises médicales claires concernant les interventions cliniques, les cliniques de fertilité se sont dotées de politiques et de pratiques internes qui, à l’échelle de la province, variaient considérablement d’un établissement à l’autre (Commissaire à la santé et au bien-être, 2014)

Par l’adoption de la Loi favorisant l’accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée et modifiant diverses dispositions législatives en matière de procréation assistée (gouvernement du Québec, 2015), certaines dispositions de la loi de 2010 ont été amendées. Entrée en vigueur le 10 novembre 2015 dans un contexte d’austérité budgétaire imposée par le gouvernement libéral au pouvoir, la Loi a mis fin à la couverture publique de plusieurs services de procréation assistée, érigeant à nouveau des barrières d’accès à des populations moins nanties et freinant le développement des services de procréation assistée dans les établissements publics. Cette réduction drastique du financement public a aussi été conjuguée à un encadrement législatif des interventions cliniques, notamment par l’imposition de normes concernant les pratiques médicales dans le domaine.

À l’heure actuelle, les personnes ayant recours à la FIV peuvent se prévaloir de crédits d’impôt pour le traitement de l’infertilité, lesquels varient selon le revenu familial. Toutefois, plusieurs critères d’admissibilité viennent en réduire l’accès, dont celui de ne pas avoir eu d’enfant auparavant ou de ne pas avoir eu recours à la stérilisation chirurgicale volontaire par ligature des trompes ou par vasectomie, par exemple. Si auparavant les services de procréation assistée étaient disponibles aux femmes « en âge de procréer » et dispensés selon le jugement clinique du médecin traitant, ils sont désormais accessibles uniquement aux femmes âgées de 18 à 42 ans.

Différentes conditions s’appliquent aussi pour les tierces reproductrices, bien que des variations notables sont observées entre les cliniques (notamment l’âge maximal). Pour être éligibles au processus de don d’ovules, les candidates doivent être âgées de 18 à 34 ans (les limites d’âge peuvent varier selon les cliniques), être fertiles et en bonne santé, en plus de fournir leurs antécédents médicaux et subir certains tests (Centre universitaire de santé McGill, 2017; Société canadienne de fertilité et d’andrologie, 2016). Les femmes porteuses, quant à elles, sont âgées de 21 à 39 ans et doivent déjà être mères d’un enfant avant d’entamer le processus de GPA. Les grossesses antérieures doivent avoir été menées à terme sans complication majeure. Certaines cliniques de fertilité exigent aussi une lettre attestant d’une consultation avec un avocat avant le début des traitements. La plupart exigent également que toutes les femmes qui entreprennent un traitement (dont les donneuses d’ovules et les femmes porteuses) aient un « poids santé », soit un indice de masse corporelle (IMC) sous 35.

D’autres critères d’exclusion pour les femmes porteuses peuvent s’appliquer selon l’établissement (Clinique Ovo, 2017; Collège des médecins du Québec, 2015; Société canadienne de fertilité et d’andrologie, 2016), par exemple le fait d’avoir une relation intergénérationnelle avec les parents d’intention, avoir vécu cinq grossesses ou plus, avoir déjà porté un enfant pour autrui à deux reprises, avoir eu deux césariennes ou plus, présenter un historique de dépression ou un trouble de personnalité, ou encore, avoir un mode de vie qualifié « d’instable ». Enfin, l’ensemble des personnes impliquées dans une entente de procréation assistée par autrui doivent participer à une consultation avec une professionnelle membre de l’Ordre des psychologues du Québec (OPQ) ou de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (OTSTCFQ) leur permettant de discuter de leur projet en vue d’une prise de décision éclairée.

Les services de procréation assistée sont offerts dans trois types d’établissements de santé à travers la province, selon la technique requise et son niveau de complexité : 1) les centres

régionaux désignés14; 2) les centres de procréation assistée15, et 3) les centres hospitaliers

universitaires16. L’induction de l’ovulation, l’insémination intra-utérine et certaines activités

liées à la FIV peuvent être pratiquées dans les premiers, tandis que le prélèvement d’ovules, la FIV proprement dite et le transfert d’embryon sont réalisés dans les deuxièmes. Enfin, le diagnostic génétique préimplantatoire n’est possible que dans les troisièmes.

2.3.2.2 Le Code civil du Québec

Bien que l’État québécois reconnaisse le recours à des tiers donneurs pour la concrétisation d’un projet parental porté par une personne seule ou un couple, les contrats impliquant une GPA n’ont aucune validité et sont considérés « nul de nullité absolue » selon l’article 541 du Code civil du Québec. L’indisponibilité du corps humain et le maintien de l’ordre public sont les deux principes qui motivent une telle position (Bureau et Guilhermont, 2011; Moore, 2013). Pour autant, cela ne signifie pas que la pratique est illégale, mais bien que les conventions n’aient aucune valeur au Québec et ne soient pas exécutoires, contrairement aux autres provinces canadiennes (Busby, 2013).

Une femme qui accouche au Québec est reconnue comme la mère de l’enfant. Le constat de naissance est ainsi combiné à la déclaration de naissance. Le premier est un formulaire remplit par le médecin ou la sage-femme qui confirme l’identité de la personne qui vient

14 Les centres régionaux désignés visent à offrir une partie des services de procréation assistée aux personnes qui habitent à l’extérieur des grands centres urbains. Quatre centres régionaux publics sont actuellement désignés, soit l’Hôpital de Chicoutimi du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Saguenay-Lac-Saint-Jean, le Centre hospitalier régional de Trois-Rivières du CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec, le Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke et le Centre hospitalier universitaire de Québec.

15 Considérés comme des centres spécialisés pouvant être assimilés à des services de troisième ligne, les centres de procréation assistée détiennent un permis délivré par le ministère de la Santé et des Services sociaux, et sont dotés d’un laboratoire d’embryologie et d’andrologie. Outre les trois hôpitaux universitaires (voir la note suivante), les centres de procréation assistée certifiés sont en cabinet privé : les cliniques Procréa de Montréal, Québec et Gatineau, la clinique Ovo à Montréal, le Centre de fertilité de Montréal, OriginElle clinique de fertilité et centre de santé de la femme (anciennement le Centre de reproduction de Montréal) et la clinique Fertilys à Laval.

d’accoucher, puis transmis au Directeur de l’état civil. Ce constat est nécessairement pour faire une demande de prestation auprès du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) pour le congé parental et de paternité, par exemple. La seconde doit être envoyée directement au Directeur de l’état civil au plus tard 30 jours après la naissance de l’enfant pour l’inscrire dans le registre. Cette inscription est nécessaire pour établir l’identité de l’enfant – prénom(s) et nom(s), marqueur de sexe (homme ou femme) – ainsi que sa filiation, de même que pour obtenir un certificat d’acte de naissance lui permettant d’accéder à différents programmes et services gouvernementaux.

Bien que le don d’ovules et la GPA soient considérés comme des pratiques de procréation assistée, ce sont pourtant les règles de filiation dites « par le sang » qui s’appliquent à la naissance (et non celles prévues par le régime de filiation par procréation assistée), et ce, peu importe si la femme qui accouche de l’enfant en est la génitrice ou non (Malacket, 2015). Ainsi, une femme qui a eu recours à un don d’ovules pour concevoir sera automatiquement reconnue comme la mère de son enfant, contrairement à celle qui a confié la grossesse à une autre femme. En pratique, lorsqu’un enfant naît d’une gestation pour autrui au Québec, il a initialement comme parents la femme porteuse et l’homme à l’origine de sa conception. Contrairement à l’état actuel du droit familial en Ontario et en Colombie-Britannique17, les

membres du couple d’intention ne peuvent pas être reconnus tous les deux comme ses parents légaux dès la naissance (Bureau et Guilhermont, 2011). Ils n’auront d’ailleurs aucun recours juridique si la femme porteuse change d’avis et décide de conserver sa filiation maternelle. De même, cette dernière ne pourra pas forcer un parent d’intention n’ayant pas un lien génétique à adopter l’enfant et à s’en occuper si l’entente est dissoute en cours de grossesse ou à la naissance du bébé. Pour régulariser la situation, c’est-à-dire pour que la filiation de l’enfant soit établie avec l’autre parent d’intention (mère ou père), le recours à l’adoption par consentement spécial est la voie utilisée (article 555 du Code civil du Québec).

17 En vertu du All Families Are Equal Act (gouvernement de l’Ontario, 2016) et du Family Law Act (gouvernement de la Colombie-Britannique, 2011), les parents d’intention d’un enfant né par GPA dans ces deux provinces peuvent, sous certaines conditions, être inscrits sur l’acte de naissance par une simple démarche administrative, sans devoir s’astreindre à un processus d’adoption ni recourir aux tribunaux.

La femme ayant donné naissance doit d’abord se départir de ses droits et responsabilités parentales en tant que mère légale et consentir à l’adoption de l’enfant. Elle dispose d’un délai de 30 jours pour retirer son consentement. Une demande d’ordonnance de placement peut ensuite être déposée, permettant au parent non statutaire de se prévaloir d’un congé d’adoption. Lorsque les conditions sont remplies et qu’aucune demande de restitution de l’enfant n’a été émise, le tribunal prononce une ordonnance de placement valable jusqu’à la fin du processus d’adoption pouvant durer entre trois à six mois. Cette ordonnance accorde à la conjointe ou au conjoint du père l’exercice de l’autorité parentale à l’égard de l’enfant. Après ce délai, un jugement d’adoption peut être rendu. Le tribunal doit alors trancher en fonction des lois existantes sur la filiation et de la jurisprudence en la matière. La figure suivante, adaptée du Manuel de référence sur la protection de la jeunesse (gouvernement du Québec, 2010, p. 50), présente les étapes du processus d’adoption par consentement spécial au Québec.

Figure 2. Processus d’adoption par consentement spécial au Québec

Au regard des décisions rendues depuis 2007, deux courants jurisprudentiels s’affrontent sur la question de l’établissement de la filiation d’un enfant né par GPA (Giroux, 2014; Tremblay, 2015). La position majoritaire soutient que le placement pour adoption constitue le meilleur intérêt de l’enfant. La seconde position affirme plutôt que de faire droit au placement

Cour d’appel, dans l’arrêt Adoption – 1445, a statué qu’un couple hétérosexuel pouvait procéder de cette façon pour faire reconnaître la filiation d’un enfant né par GPA, bien qu’elle considère qu’il s’agisse de la « solution la moins insatisfaisante » (Langevin, 2015). Le recours à cette solution a récemment été confirmé par un autre de ces arrêts, soit Adoption– 161 rendu en janvier 201618.

Cet imbroglio juridique incite plusieurs spécialistes à revendiquer une réforme en profondeur du droit de la famille (Carsley, 2018; Côté, et Sauvé, 2016; Langevin, 2010; Tremblay, 2018), afin que ce dernier assure le « meilleur intérêt » de l’enfant et la protection de la femme porteuse de manière adéquate, et reflète davantage les réalités familiales contemporaines.