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Chapitre I. Problématique

2.5 Les expériences vécues

2.5.3 Donner des ovules et désincarner le gamète

Documentée de façon moins approfondie que le vécu des mères d’intention ou des femmes porteuses étant donné l’apparition récente de la FIV (Almeling, 2015), l’expérience psychosociale des donneuses d’ovules a tout de même fait l’objet de quelques recherches, lesquelles ont été réalisées principalement en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Les recensions des écrits produites par Bracewell-Milnes et ses collègues (2016) et Purewal, et van den Akker (2009) montrent que les travaux ont jusqu’à maintenant portés principalement sur les réponses face aux interventions cliniques, les considérations entourant l’anonymat des gamètes et les motivations des femmes à offrir ou donner leurs ovules. Puisque l’encadrement législatif en vigueur influence grandement les expériences documentées dans chaque pays, on dénote certains contrastes dans les résultats. Par exemple, dans les pays où la pratique est commercialisée, la motivation première des donneuses s’avère être un besoin financier. Le don altruiste s’inscrit pour sa part davantage dans une dynamique relationnelle de proximité, où la donneuse souhaite aider une femme de son entourage (sœur, cousine, amie) à devenir mère. Peu importe leur motivation première, les donneuses évoquent toutes leur sensibilité à l’égard de la détresse causée par l’infertilité comme moteur d’engagement dans le but d’y remédier.

Le don d’ovules demeure une pratique méconnue, dont la narration reste ambiguë. Selon Almeling et Willey (2017), les femmes qui s’astreignent aux traitements médicaux et à la ponction pour une autre femme auraient tendance à décrire la FIV comme étant une procédure simple et sans douleur, comparativement aux femmes qui le font pour elles-mêmes dans le but d’enfanter, lesquelles relèvent davantage l’intensité de la démarche dans leur compte-rendu rétrospectif. Pour les chercheuses, la motivation de départ des femmes serait l’élément prépondérant quant à la perception du processus et de son intégration dans leur récit de procréation assistée. À partir des données récoltées dans le cadre d’une enquête par questionnaires auprès de 80 donneuses étasuniennes, Kenney et McGowan (2010) remarquent

quant à eux un décalage entre la conscience des risques avant le premier don et les répercussions avérées sur le plan physique et psychologique tel que rapporté par les donneuses. Bien que la majorité s’estime satisfaite de leurs expériences, plusieurs femmes confient avoir été surprises et mal préparées face aux aléas du processus, ne sachant pas trop à quoi s’attendre.

Dans le cadre de leur engagement dans le projet parental d’autrui, les donneuses tendent à réduire leur contribution génétique à sa plus simple expression, c’est-à-dire un matériau pouvant désormais s’extraire du corps d’une femme dans le but d’aider une autre femme à devenir mère. Bestard et Orobitg (2009) conceptualisent cette dynamique par la notion de « désubstantialisation », soit un processus psychique de désincarnation de l’ovule. Selon Bestard (2004), le caractère abstrait du partage de la substance biogénétique est sans doute insuffisant pour instiller un quelconque sentiment maternel chez les donneuses d’ovules. En vertu d’une approche mécaniste du don, les donneuses auraient plutôt tendance à assimiler de manière analogue les gamètes à toutes autres substances corporelles, par exemple le sang. La sociologue Dominique Mehl (2008, p. 163-164) cite à ce propos un extrait d’entrevue réalisée avec Véronique, une donneuse française :

Je fais le rapprochement avec le don de sang ou le don de plaquettes. […] On me dit souvent : mais tu n’as pas peur de croiser tes enfants? Ce ne sont pas les miens, je ne les ai pas portés et je ne les ai pas voulus. Et puis même, si je croise un enfant qui me ressemble, je ne vais pas me demander si c’est avec mon ovocyte qu’il a été conçu. Ça ne me perturbe pas plus que de savoir que mon sang coule dans les veines de quelqu’un d’autre ».

Dans le cadre de ses recherches ethnographiques sur les dons de gamètes aux États-Unis, Rene Almeling (2011) remarque que le discours des donneuses n’est pas toujours aussi uniforme. D’un côté, elles présentent leur apport au projet parental d’autrui comme « un simple ovule », désincarnant ainsi leurs gamètes et minimisant leur importance et, de l’autre, soulignent du même souffle qu’il s’agit d’un « don immense ». Selon la sociologue, cette contradiction découle en partie des tensions provoquées par les injonctions de genre, lesquelles incitent les donneuses à abdiquer toute prétention au titre de mère, mais aussi à construire simultanément un discours sur le don comme source de fierté et d’accomplissement personnel (Almeling, 2014).

Le don d’ovules n’est pas le déclencheur d’une identité maternelle chez les donneuses, puisqu’elles ne l’associent pas directement à la création d’un fœtus (Almeling, 2011; Shaw, 2007). Selon Almeling (2011, p. 159), deux raisons sous-tendent leur posture :

First, egg donors routinely break out reproduction into multiple stages, differentiating conception, pregnancy, birth, and caregiving. Second, […] women evinced more awareness of the people to whom they were donating than did men. In fact, nearly 70 % of the women pointed out that their eggs would go into another woman’s body, a detail noted by just 5 % of the sperm donors.

La consécration de l’utérus à titre de marqueur symbolique de la maternité contribue à consolider le mouvement de désincarnation. Les donneuses rencontrées par Almeling (2011, p. 161) divisent le processus procréatif en plusieurs étapes contingentes, comparativement aux donneurs de sperme qui associent plus directement leurs dons à la naissance d’un bébé : « Egg donors are more likely than sperm donors to specify their donation as eggs, which are mixed with sperm, which might result in the creation of embryos, which might implant in another woman’s uterus, which might result in a successful pregnancy, which might result in the birth of a child ». En concevant leurs dons sur un plan séquentiel dont l’issue est imprévisible et incertaine, les donneuses construisent un discours qui sied à leurs aspirations de mise à distance de la maternité. Selon Delaisi de Parseval et Collard (2007), le caractère éthéré de la composante génétique de la maternité contribue par le fait même à ce que les femmes qui donnent leurs ovules soient désignées comme des « fées » par les parents d’intention lorsque ces derniers racontent à leurs enfants la genèse de leur naissance.