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Chapitre I. Problématique

1.1 Un débat social et théorique polarisé

1.1.2 Le discours public comme révélateur de tensions sociales

Le débat entourant la GPA et le don d’ovules s’anime et gagne en intensité de façon cyclique, selon les événements qui ponctuent l’actualité et les propositions politiques de l’heure (Paterson, Scala et Sokolon, 2014). Commissions parlementaires, procès, annonces médiatiques de personnalités artistiques, consultations publiques, documentaires et reportages journalistiques sont autant d’occasions pour aviver les discussions et remettre la procréation assistée à l’avant-scène (Forget, 2012; Mennesson et Mennesson, 2010; Tatu, 2017). Le fameux cas de « Bébé M »6, de même que le procès opposant le couple Calvert contre Anna Johnson en

Californie7, ont marqué les esprits et teinté durablement les discussions aux États-Unis, mais

aussi ailleurs dans le monde (Dillaway, 2008; Maule et Schmid, 2006).

6 Le cas de « Bébé M » a opposé devant les tribunaux dans les années 1980 le couple William et Elizabeth Stern à Mary Beth Whitehead, la femme ayant accepté de porter leur enfant dans le cadre d’une entente de GPA génétique, c’est-à-dire une grossesse issue de la fécondation par insémination avec le sperme du père biologique et l’ovule de la femme porteuse. Après l’accouchement, cette dernière a refusé de remettre le nouveau-né au couple, malgré l’entente signée entre les parties. Ce désaccord a provoqué une suite de procès très médiatisés, mettant en lumière les enjeux entourant l’établissement de la filiation en contexte de procréation assistée par autrui. Au final, la fillette a été confiée à son père, avec des droits de visite pour Mary Beth Whitehead. À sa majorité, Melissa Stern a mis fin à ces visites et a été adoptée par Elizabeth Stern, sa mère d’intention.

7 Dans cette cause opposant le couple Mark et Crispina Calvert à la femme porteuse Anna Johnson, l’enjeu de la remise de l’enfant était encore une fois au cœur du litige. Dans cette situation, la femme porteuse portait un embryon conçu à partir des gamètes des parents d’intention. Elle avait accepté de leur remettre le nouveau-né en échange de 10 000$US répartis de façon mensuelle pendant la grossesse. À un certain point, elle leur a exigé le paiement complet du reste de la somme, sous menace de garder l’enfant. Le juge a toutefois tranché en faveur du couple Calvert, estimant que la filiation devait être établie en vertu du projet parental de départ, et non de l’accouchement. L’intentionnalité devenait ainsi en Californie le facteur décisif pour désigner les parents d’un enfant conçu par GPA. La dimension raciale mérite ici d’être relevée, considérant l’insistance des médias de rappeler qu’Anna Johnson, une Afro-Américaine, avait donné naissance à un enfant perçu comme blanc (d’un père blanc et d’une mère philippine). Selon Merino (2010, p. 39) : « This ethnic disparity likely played a role in the public

Plus récemment, l’accès à la maternité de femmes ménopausées grâce au don d’ovules fait les machettes (Campbell, 2011), plusieurs s’interrogeant sur les enjeux éthiques soulevés par la dénaturalisation des limites de la fertilité liées au vieillissement ovarien (Bühler, 2014). Les discours qui circulent à propos de la procréation assistée à l’aide de tierces mettent alors en lumière les enjeux de pouvoir et le positionnement des actrices et des acteurs à l’égard de la régulation sociale de la famille (Markens, 2011). Comme le remarque Faith Merino (2010, p. 3), l’unité familiale n’est plus seulement une affaire privée, mais fait désormais l’objet d’une attention particulière dans la sphère publique :

Few elements of human life are so protected and difficult to govern politically as the family unit. This is due, in part, to the prevailing belief that human life is bifurcated into two separate domains: public life (work) and private life (family). Historically, the two have been maintained as distinct areas of human existence that do not (or should not) overlap. But with increasingly rapid developments in reproductive technology, the family unit is being thrust into the public eye as politicians, the legal system, the media, and the scientific and religious communities are asked to determine what constitutes a family.

Plus près de nous, la mise en place du programme de procréation assistée par le gouvernement québécois en 2010, puis sa refonte cinq ans plus tard sont deux événements ayant avivé le débat. L’accès aux services d’aide à la procréation, ses visées de santé publique, mais aussi les inégalités sociales que le programme engendre selon les critères d’admissibilité établis pour la couverture de santé et ses remboursements sont au nombre des préoccupations évoquées par les groupes d’intérêt. La consultation publique ayant précédé l’adoption puis l’entrée en vigueur en 2015 de la Loi favorisant l’accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée et modifiant diverses dispositions législatives en matière de procréation assistée (gouvernement du Québec, 2015) a été l’occasion de constater la pluralité de leurs positions au regard des mémoires soumis, des lettres d’opinion et des articles publiés dans les journaux.

« Le débat sur les mères porteuses ressurgit : un vide juridique est dénoncé lors de la consultation publique sur la procréation assistée », pouvait-on lire à la une du journal Le Devoir il y a cinq ans (Daoust-Boisvert, 2013). Au même moment, une journaliste de La Presse se questionnait à propos des répercussions juridiques et sociales de la GPA, notamment le retour d’une forme de bâtardise accolée à la filiation des enfants ainsi nés et dont la filiation demeure source de litige (Leduc, 2013). Au printemps 2014, l’annonce du projet parental par GPA d’un

artiste québécois a déchaîné les passions sur la place publique, cette fois-ci en conjuguant les idées reçues à propos du « phénomène des mères porteuses » et l’homoparentalité masculine (Pidduck, 2018). Le discours d’un certain « droit à l’enfant » fait surface, notamment pour disqualifier les désirs parentaux des uns, les comparer entre eux et les hiérarchiser. La journaliste Judith Lussier (2014) en retrace d’ailleurs les principaux arguments dans un court essai intitulé L’aide à la procréation au Québec. Plus récemment, le projet de loi privé déposé à la Chambre des communes au printemps 2018 par le député libéral Anthony Housefather a enflammé l’opinion publique. En proposant entre autres de lever l’interdit concernant la rémunération des femmes porteuses et des donneuses d’ovules établie au Canada depuis 2004, le député fédéral a réanimé le débat sur la régulation des pratiques de procréation assistée, ainsi que sur la marchandisation et l’indisponibilité du corps des femmes. Ce projet de loi survient quelques mois après que Santé Canada (2018) ait mené une consultation publique pour le renforcement de la loi canadienne sur la procréation assistée.