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Chapitre V. Introduction aux résultats

6.3 Des trajectoires ancrées dans des représentations de la maternité

6.3.3 De la radicalité de la GPA génétique

En réunissant les composantes génétiques et gestationnelles de la maternité, les femmes porteuses impliquées dans une entente de GPA génétique mobilisent plusieurs éléments qui interpellent, voire dérangent les mères d’intention et les autres tierces, particulièrement la question du lien d’attachement et les normes familiales. En effet, selon la vision de ces dernières, la GPA génétique « ferait trop » de maternité, brouillant le découpage tripartite de l’enfantement lorsque trois femmes sont impliquées, ou déséquilibrant le rapport entre la mère d’intention et la tierce reproductrice aux dépens de la première.

Malgré ces réserves, deux éléments concourent à ce que des femmes choisissent tout de même la GPA génétique. Premièrement, les femmes concernées endossent une posture radicale face à l’enfantement à plusieurs, accolant le statut de mère uniquement à celle qui a formulé le projet parental de départ. « Ce n’est pas la génétique ni la grossesse qui fait la mère », résume

Zoé, précisant du même souffle qu’elle ne peut – et ne veut pas – prétendre à ce titre en tant que femme porteuse, même si l’enfant est issu de ces propres gamètes. La radicalité de ce point de vue doit être comprise ici comme une volonté de reconnaître la primauté fondamentale de l’intention dans les maternités assistées, faisant fi des autres considérations liées au lien utérin ou à l’attachement émotionnel, par exemple. La présence d’un rapport relationnel préexistant entre la femme porteuse et les parents d’intention ne semble pas non plus influencé ce choix, puisque trois des cinq femmes porteuses ayant vécu une GPA génétique ne connaissaient pas le couple avant le début du processus.

Ayant vécu l’expérience à deux reprises pour des couples contactés par le biais des réseaux socionumériques, Anne précise à ce sujet qu’elle ne s’est jamais projetée comme la mère des enfants :

Ce ne sont pas mes bébés, pas mon projet. Je ne suis jamais partie de l’idée que je veux les avoir. Même quand tu as une grossesse naturelle non planifiée, ce qui n’a pas été mon cas, durant la grossesse, tu te mets en « mode maman ». Tu sais que tu vas garder le bébé. Tu prépares son arrivée. Tout ça fait partie du lien d’attachement dans ma tête. Quand tu magasines un petit pyjama, tu vois le bébé dedans, tu te projettes. Je pense que toute cette préparation-là durant une grossesse va venir beaucoup jouer avec le lien d’attachement que tu as avec l’enfant. (Anne, femme porteuse)

Cette façon de concevoir sa place dans le projet de GPA ne signifie pas que ces femmes sont dénuées d’émotions ou souhaitent absolument créer une scission entre elles et le fœtus. Au contraire, elles sont d’avis que les femmes porteuses vivent toutes une forme d’attachement envers l’enfant qu’elles portent, mais que la nature de cet attachement diffère résolument de celui d’une mère. Toujours selon Anne, cela se rapproche davantage de la sollicitude que peut ressentir une gardienne ou une éducatrice envers les enfants qu’elle côtoie sur une base quotidienne. Elle ajoute :

Que tu portes un enfant pour quelqu’un d’autre, qu’il soit génétiquement le tien ou pas, quand tu es prête dans ta tête, ça ne fait pas de différence. Je savais que l’attachement serait le même. Moi j’ai toujours dit « Je suis sûre que je vais m’attacher à l’enfant ». Mais je vais m’attacher d’une façon différente, comme une gardienne qui l’a eu dans son ventre un certain temps. (Anne, femme porteuse)

Deuxièmement, les femmes souhaitent éviter de s’astreindre à un protocole médical d’aide à la procréation, qu’elles considèrent facultatif, trop dispendieux pour les couples d’intention ou nocif pour leur santé. Elles mettent alors à distance les milieux cliniques et leur lourdeur administrative, au profit d’une entente en contexte privé par insémination artisanale.

Éthiquement parlant, les cliniques et les agences trouvent cela trop difficile de prendre les ovules de la même fille, pour l’attachement, et tout ça. En bout de ligne, cela aurait coûté une fortune pour quelque chose que l’on peut facilement faire sans eux. Ce qui fait qu’on a conçu l’enfant à la seringue. (Florence, femme porteuse)

My friends wanted to keep things as simple as possible. They weren’t interested in going through this whole medical process. They were happy to go with a much more natural, organic approach. (Kate, femme porteuse)

En somme, la GPA génétique comporte une dimension subversive, puisqu’elle déroge au discours dominant sur la grossesse pour autrui porté à la fois par les couples d’intention et les femmes porteuses, mais aussi par les intermédiaires qui refusent d’inclure les ententes de GPA génétique dans leurs procédures et leur offre de services. Ce choix repose sur deux considérations, soit le projet parental comme pilier du processus d’enfantement et la mise à distance de l’aide médicale à la procréation.

6.4 Résumé du chapitre

Documenter les expériences des mères d’intention confrontées à la stérilité ou à l’infertilité permet de constater l’enchainement des événements qui jalonnent leurs trajectoires les menant jusqu’à la gestation pour autrui ou le don d’ovules. Face aux pressions sociales qui jaugent femmes à l’aune de leur capacité à enfanter, la conception non advenue instille chez les femmes concernées un sentiment d’échec et d’inadéquation. Fonder une famille ou avoir un nouvel enfant représente une quête dont elles assument les tenants et aboutissements, ce qui exacerbe leur charge mentale et fragilise bien souvent leur couple. Au regard des moyens explorés au fil de leurs trajectoires, il appert que les femmes souhaitent d’abord et avant contribuer le plus possible au processus d’enfantement, reléguant au second plan l’importance du lien biogénétique au profit de la prédominance du projet parental.

La pluralité des points d’entrée dans le processus d’enfantement des tierces reproductrices montre que leurs expériences sont variées, rendant caduques les tentatives d’en ériger un récit unique et homogène. L’inventaire de leurs motifs à participer au projet parental d’autrui offre un portrait nuancé, où s’entremêlent les besoins d’autrui, leurs intérêts personnels et leurs aspirations. Leurs représentations de la maternité orientent par ailleurs leurs trajectoires; l’importance accordée soit à la grossesse ou à la génétique vient influer leur décision de s’engager dans le processus en tant que donneuse d’ovules ou femme porteuse. Entre ces deux pôles se faufile une troisième voie incarnée par la GPA génétique, laquelle déroge aux normes familiales et de genre en remettant en question de façon radicale le présupposé de l’attachement par le lien utérin.

Chapitre VII. Un processus sous influences