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Chapitre I. Problématique

2.3 L’encadrement normatif

2.3.1 Au niveau fédéral

Le droit et la société ne cheminent pas de façon simultanée; plus souvent qu’autrement, les changements juridiques surviennent après les avancées biotechnologiques et l’émergence de pratiques sociales et familiales inédites (Leckey, 2014). L’histoire de la régulation de la procréation assistée au Canada ne fait pas exception, comme le montre la longue route tortueuse menant à l’adoption de la Loi sur la procréation assistée (LPA) en 2004.

Dans la foulée du tapage médiatique entourant la naissance des premiers « bébés éprouvette »10 en Occident, la Commission de la réforme du droit en Ontario et l’Association

médicale canadienne sonnent la sonnette d’alarme aux débuts des années 1980, partageant leurs préoccupations respectives quant à l’absence d’encadrement des pratiques de procréation assistée, dont la gestation pour autrui et le don d’ovules (Cattapan, Gruben et Cameron, 2018). Sous la pression de militantes et de chercheuses féministes et de groupes professionnels préoccupés par la santé reproductive des femmes, le gouvernement fédéral met sur pied en 1989 la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction. Une vaste enquête sur « les progrès actuels et prévisibles de la science et de la médecine en matière de nouvelles techniques de reproduction, sur le plan de leurs répercussions sur la santé et la recherche, de leurs conséquences morales, sociales, économiques et juridiques » a alors été réalisée sous la présidence de Patricia A. Baird, menant à la publication du rapport intitulé Un virage à prendre en douceur (Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, 1993). Le principe de non-commercialisation est l’une des recommandations phares de ce rapport, perçu alors comme le moyen le plus efficace pour protéger les femmes de l’exploitation (Cattapan, 2014).

10 La Britannique Louise Brown, le premier enfant conçu à l’aide de la FIV au monde, est née en 1978. Au Canada et au Québec, les premiers « bébés éprouvette » sont quant à eux nés quelques années plus tard, soit respectivement en 1982 et en 1985.

Le rapport de la Commission a été tabletté pendant deux ans avant que le gouvernement fédéral émette finalement un communiqué suggérant un moratoire sur neuf technologies de la reproduction, dont la gestation pour autrui commerciale (mais non la GPA gratuite, ou altruiste). Différentes tentatives visant à proposer un encadrement à l’échelle canadienne ont été mises de l’avant, toutes mortes au feuilleton au fil des procédures législatives11. Ce n’est que des années

plus tard qu’un projet de loi reçu l’aval de la Chambre des communes et du Sénat, résultant à l’adoption de la Loi sur la procréation assistée le 29 mars 2004. Quatre ans plus tard, en 2008, le Procureur général du Québec conteste avec succès la validité constitutionnelle de certaines dispositions de la Loi devant la Cour suprême du Canada, sous prétexte que l’assistance à la procréation et les activités de recherche connexes relèvent de la compétence des provinces en matière de santé et de droits civils, et non de droit criminel, qui est de juridiction fédérale (Goubau, 2014).

Au terme de ce débat juridique en décembre 2010, les articles ultra vires, c’est-à-dire ceux excédant le pouvoir législatif du Parlement canadien, ont été abrogés, tandis que les articles relevant du Code criminel qualifiant les actes interdits12 ont été maintenus (Gruben et Cameron,

2014; Guichon, Mitchell et Doig, 2013). À l’heure actuelle, la Loi sur la procréation assistée autorise la concrétisation d’un projet parental à l’aide d’une GPA ou d’un don d’ovules du moment que les tierces ne soient pas rémunérées pour leur contribution. L’âge minimal est fixé à 21 ans pour les femmes porteuses, et à 18 ans pour les donneuses. En outre, ces dernières doivent consentir par écrit à la procédure menant au don, et peuvent retirer leur consentement du moment que leur matériau génétique ou l’embryon n’ait pas déjà été utilisé par autrui.

11 Pour une analyse approfondie du parcours législatif ayant mené à l’adoption de la Loi sur la procréation assistée au Canada, voir les travaux de Nelson (2013) et Rivard et Hunter (2005), ainsi que l’ouvrage collectif Surrogacy in Canada: Critical Perspectives in Law and Policy, sous la direction de Vanessa Gruben, Alana Cattapan et Angela Cameron (2018).

12 En vertu des articles 5 à 9 de la Loi reconnus en matière criminelle, les actes interdits comprennent entre autres la vente de gamètes ou d’embryons, la publicité pour encourager ce type de commerce, l’utilisation de gamètes ou d’embryons in vitro sans le consentement du tiers, ainsi que l’obtention de gamètes d’une personne mineure, sauf pour la préservation de la fertilité (avant d’entamer un traitement de chimiothérapie oncologique, par exemple).

La Loi interdit le don d’ovules et la gestation pour autrui à titre onéreux, de même que la rétribution d’une personne qui publicise de tels services en tant qu’intermédiaires. Toute personne qui contrevient à ces interdictions est passible d’une amende maximale de 500 000 $ et un emprisonnement de 10 ans, ou l’une de ces deux peines13. Toutefois, la Loi autorise le

remboursement des dépenses encourues faisant l’objet d’un reçu (Petropanagos, Gruben et Cameron, 2018). Les conditions particulières de chaque entente font en sorte qu’il est difficile de déterminer quelles dépenses sont admissibles ou non, et dans quelles circonstances les reçus sont requis (McLeod, 2018). Les règlements de l’article 12 de la Loi qui encadrent les dépenses admissibles n’ont toujours pas été adoptés (Baylis, Downie et Snow, 2014; Gruben et Cameron, 2014), ce qui signifie qu’il n’y a toujours pas de politique officielle pour guider les personnes impliquées, tant les parents d’intention que les tierces, dans l’élaboration de leur entente et sa teneur sur le plan monétaire.

Ainsi, une femme ne peut pas être rémunérée pour donner ses ovules ou porter un enfant pour autrui, mais peut se faire rembourser les dépenses liées au processus de don ou à sa grossesse telles que les médicaments et les déplacements pour les rendez-vous médicaux, les vêtements de maternité, etc. Une femme porteuse peut également se faire rembourser une perte de salaire pendant la grossesse, si elle doit être alitée pour préserver sa santé ou celle du fœtus. Dans un tel cas, un avis signé d’un médecin doit être obtenu. Ces exemples sont actuellement d’usage courant au Canada (Petropanagos, Gruben et Cameron, 2018).

L’Agence canadienne de contrôle de la procréation assistée, l’autorité fédérale responsable jusqu’alors de l’élaboration des politiques relevant de la Loi sur la procréation assistée et de leur application, a été abolie officiellement en 2012 (Baylis et Downie, 2013). Bien qu’ayant depuis pris le relais, Santé Canada ne dispose pas de mécanismes pour vérifier la conformité des ententes de procréation assistée par autrui au regard des dispositions de la Loi. Selon plusieurs observatrices et observateurs (Cattapan, 2013; Lavoie et Côté, 2018a; Nelson, 2018), le « flou juridique » qui perdure quant au remboursement des dépenses et l’inaction des

13 Depuis 2004, une seule personne a été condamnée pour avoir enfreint plusieurs articles de la Loi. Leia Swanberg (anciennement dénommée Leia Picard) s’est vue imposer une peine de 60 000$ en 2013 pour avoir entre autres orchestré de manière lucrative des ententes de procréation assistée pour autrui, en plus

autorités fragilisent l’expérience des personnes concernées. « The law is incomplete, out of date, and in urgent need of reform », estime d’ailleurs la juriste Erin Nelson (2016, p. 124) qui, à l’instar de plusieurs analystes, critique la désuétude et l’inadéquation de la loi. En réponse à cet appel de réforme, Santé Canada a entrepris en 2016 des démarches de consultation en vue de renforcer la LPA. Néanmoins, la volonté de changements sur le plan politique demeure toujours incertaine (Cattapan, Gruben et Cameron, 2018). Au moment d’écrire la thèse, une consultation à l’échelle nationale est toujours en cours.