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Chapitre V. Introduction aux résultats

6.1 Trajectoires et motivations des mères d’intention

6.1.2 Un parcours qui fragilise le couple

Les récits des mères d’intention, bien que racontés à la première personne, témoignent en fait d’une expérience à deux. Souvent un peu en retrait, les conjoints des femmes sont tout de même présents comme accompagnateurs tout au long du processus. Pendant plusieurs années, leur vie conjugale se vit au rythme des calendriers d’ovulation de leur compagne, des rendez-vous en clinique de fertilité et des tests de grossesse mensuels.

Mon chum m’a toujours supportée. Il a toujours été là, mais en même temps, c’est moi qui leadais tout, qui drivais le bus : « Il faut que tu sois là à telle heure, tel rendez-vous, il faut que tu fasses ton don de sperme, il faut que tu viennes avec moi à mon rendez-vous ». Il suivait le bateau. À un moment donné, il m’a dit : « Jusqu’à quand, jusqu’où on va... ». Je pense qu’il était proche de la limite, après sept ans. Honnêtement, j’étais tellement déterminée. Il aurait vraiment fallu que quelqu’un m’arrête et me dise : « Tu ne peux pas, c’est interdit ». Je n’avais pas de fin. […] Ça vient me chercher [sanglots, long silence]. Je l’ai tellement voulu, cet enfant-là. (Louise, mère d’intention par don d’ovules)

Les femmes soulignent leur détermination inébranlable pour expliquer leur persévérance à vaincre l’infertilité, malgré les embûches et le temps qui passe. D’autres murmurent le mot « acharnement » pour témoigner de leur entêtement à poursuivre leurs démarches malgré la souffrance et la détresse, ainsi que l’inconfort grandissant de leur partenaire de vie. Les injections répétées, les traitements hormonaux et les effets secondaires des médicaments transforment corps des femmes en un champ de bataille qui les éloigne de leur amoureux. L’infertilité blesse leur chair, mais abime aussi leur couple.

Quand je suis revenue, il était ici. J’ai éclaté. J’ai braillé. « Je suis tannée des traitements... Ça fait mal, ça fait vraiment mal ». Mon chum m’a dit : « Moi aussi, je suis tanné ». Mais il n’osait pas me le dire et moi, je ne voulais pas le décevoir. (Élisabeth, mère d’intention par GPA)

Comme me le confie Élisabeth, l’ensemble du processus a fragilisé son couple, atteignant presque le point de rupture. Elle parle d’ailleurs des « trois D » de l’infertilité : doutes, déceptions et deuils, lesquels peuvent mettre à rude épreuve la plus robuste des relations; en doutant d’abord de soi-même, ainsi que de la justesse ou du bien-fondé de sa démarche. La peur de décevoir l’autre confine quant à elle les partenaires dans un mutisme, tandis que l’expérience

près d’une décennie de traitements, Marie-France a vu justement son couple sur le point de s’écrouler après une énième fausse-couche :

Mon conjoint et moi, on a failli se séparer à cette époque-là. Et ça, c’était vraiment…la quarantaine de mon chum, en même temps que les fausses-couches, la peine qui occupait toute la place…ça ne fonctionnait plus. On n’en pouvait plus. (Marie-France, mère d’intention par don d’ovules)

Sur le point de mettre fin à leur relation, plusieurs couples ont choisi de prendre une pause pour réfléchir à leur avenir et confirmer si le projet d’enfant était essentiel ou non à leur bonheur. Ce temps d’arrêt permet aux couples de réfléchir à l’importance d’avoir un enfant, de fonder une famille et d’être parents, ces trois éléments étant pour eux autant de facettes d’un seul et même désir. Soutenues par leur conjoint, la plupart des femmes que j’ai rencontrées ont traversé cette épreuve avec la conviction renouvelée que la vie de famille n’était pas une condition sine qua non à la poursuite de la relation conjugale.

Je lui ai dit, à ce moment-là : « Penses-y comme il faut. Si tu veux vraiment un enfant, ça se peut qu’avec moi, ça ne marche jamais. Sérieusement, va réfléchir. Consulte un psychologue, va penser ». On a annulé le mariage. Il a pris du temps, il a fait quelques rencontres, il a réfléchi. Il est revenu en disant : « Si j’ai un enfant, c’est avec toi que je veux l’avoir. Sinon, bien ça sera ça ». (Estelle, mère d’intention par don d’ovules)

Cela n’est toutefois pas le cas pour toutes, évidemment. Considérant mon objet d’étude, je n’ai pas rencontré de femmes séparées qui ont dû abandonner leur projet parental à la suite de leur rupture. Sur les treize mères d’intention rencontrées, une seule était nouvellement célibataire au moment de l’entrevue. Sachant qu’elle devait opter pour une alternative étant donné sa stérilité, Sabrina a proposé la gestation pour autrui à son conjoint comme mode d’entrée en famille et recours ultime. Ce dernier a refusé d’embarquer avec elle dans ce projet, puisque sa conception des liens familiaux et de la maternité excluait sa compagne du rôle de mère; pour le conjoint de Sabrina, la mère est la femme qui porte et accouche de l’enfant.

Je suis quelqu’un de fondamentalement positif et j’attendais juste son OK. Mais je n’ai pas eu son support là-dedans, parce qu’il ne savait pas comment gérer la peine. Des nuits entières à pleurer. Il me disait que si c’était pour être avec une mère porteuse, il ne pourrait jamais me considérer comme la mère de ses enfants. (Sabrina, mère d’intention par GPA)

Face à des traitements de fertilité infructueux et des démarches d’adoption les ayant laissées dubitatives, les femmes sont alors à un moment décisif : mettre de côté leur désir maternel ou explorer la possibilité d’être mère sans donner naissance, en adoptant un enfant.