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Chapitre I. Problématique

1.3 La présente recherche

La présente thèse vise à construire une compréhension du rapport à la maternité en contexte de procréation assistée par autrui comme fait social. Pour ce faire, je propose de repenser le « devenir mère » au contact des expériences des femmes directement concernées par la gestation pour autrui et le don d’ovules. Penser le rapport à la maternité à l’aune de sa fragmentation par les techniques de reproduction assistée implique de réfléchir à l’adéquation entre une certaine vision traditionnelle de la maternité et les pratiques familiales émergentes.

Contrairement à la langue anglaise qui dispose de deux termes bien établis et reconnus – maternity et motherhood – pour désigner à la fois le processus de la grossesse et de l’accouchement et l’expérience des femmes dans l’espace de la famille, la langue française ne possède que le mot « maternité » (Quéniart, 1988), hormis le terme « maternage » qui demeure somme toute très niché. Pour ma part, je m’intéresse aux séquences qui parsèment le processus de reproduction, ce qui s’approche davantage de la maternity anglaise.

1.3.1 Question et objectifs de recherche

« Chaque société, chaque période fixe les combinaisons qui encadrent les représentations de qui est parent, détermine le socle autour duquel la collectivité, confortée ou non par la loi, définit les droits et devoirs des auteurs de l’enfantement puis des partenaires de la prise en charge du quotidien et de devenir des nouvelles générations » conclue Dominique Mehl (2008, p. 295) dans son ouvrage Enfants du don. Prenant appui sur les scénarios procréatifs découlant des ententes de gestation pour autrui et du recours au don d’ovules au Canada, je souhaite mieux comprendre le processus d’enfantement décrit par la sociologue, sous l’angle du vécu et des pratiques sociales. Ainsi, la présente recherche vise à répondre à la question suivante :

Comment les expériences des femmes directement concernées par le don d’ovules et la gestation pour autrui permettent-elles de mieux comprendre la construction du rapport à la maternité dans un contexte de fragmentation de ses composantes?

Dans le prolongement des recherches sur la GPA et le don d’ovules visant à proposer une théorisation enracinée dans les données empiriques (Berend, 2016a; Cailleau, 2013; Teman, 2010), ma démarche de recherche se décline en trois objectifs spécifiques : 1) comprendre la manière dont les femmes impliquées dans une entente se représentent leur apport respectif dans le projet parental par GPA ou don d’ovules; 2) identifier les pratiques d’appropriation et de mises à distance de la maternité déployées par ces femmes selon leurs positions situées, ainsi que les facteurs personnels, sociaux et normatifs qui favorisent ou inhibent leur émergence et 3) mettre en lumière la dimension processuelle de l’enfantement à plusieurs.

1.3.2 La pertinence de l’étude

« Il n’est pas simple de réfléchir sur un ‘objet’ qui n’est ni une chose, ni un concept, mais une pratique, un mode de relation possible entre les individus » rappelle avec justesse Sylviane Agacinski (2009, p. 129) dans son livre Corps en miettes. Mais contrairement à la philosophe, je ne situe pas mon propos sous l’angle de la morale, pour savoir « si cette relation doit être socialement acceptable ou non » (p. 129), mais plutôt dans une approche relationnelle et pragmatique du processus de procréation assistée par tierces reproductrices.

De fait, je m’intéresse à la « scission de la maternité » observée entre autres par Neyrand (2004, p. 36), mais aussi aux liens qui se tissent ou se délient entre les principales protagonistes, leurs motivations à avoir recours aux techniques de reproduction assistée ou à participer au projet parental d’autrui, et les répercussions de cette décision sur leurs trajectoires de vie. La dimension relationnelle, de même que l’intérêt pour leurs expériences subjectives comme sources de savoirs légitimes trouvent naturellement écho en sciences humaines appliquées et dans les métiers de la relation d’aide, où ces préoccupations sont présentes au quotidien dans la pratique (Higginbottom et Lauridsen, 2014).

Considérant que les femmes se positionnement dans une certaine mesure en rupture avec les attentes normatives liées à la féminité et à la maternité, il m’apparaît pertinent de chercher à comprendre comment elles se perçoivent et naviguent à travers ces systèmes normatifs. De fait, ces situations agissent comme des révélateurs des conceptions et des valeurs qui participent à maintenir et à reproduire des normes liées au genre et à la famille dans notre société. L’ancrage féministe de la recherche prend alors tout son sens, puisque cette dernière représente à la fois un projet de constructions de savoirs scientifiques, de même qu’un projet sociopolitique visant à questionner l’institution de la maternité (Ollivier et Tremblay, 2000). Ma démarche vise justement à mettre « la marge » au centre de l’analyse en relayant les voix des femmes, tout en en considérant l’influence des structures sociales.

À ma connaissance, aucune recherche n’a encore croisé les expériences des mères d’intention, des femmes porteuses et des donneuses d’ovules impliquées dans une entente de procréation assistée au Canada. Une telle triangulation peut offrir un regard inédit sur le

phénomène, puisqu’il met en dialogue les points de vue des actrices directement impliquées dans le processus. L’étude aborde ainsi un aspect négligé de la recherche sur les réalités familiales et la procréation assistée (Markens, 2016). Dans un contexte où l’actualité récente témoigne de l’acuité des enjeux juridiques, éthiques et sociaux liés à la GPA et au don d’ovules, les résultats permettront d’alimenter les réflexions entourant leur régulation à partir de données empiriques, rejoignant ainsi les recommandations formulées à l’intention du Législateur québécois par divers acteurs publics.