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Chapitre V. Introduction aux résultats

6.1 Trajectoires et motivations des mères d’intention

6.1.3 Envisager puis renoncer à l’adoption

Souvent en concomitance avec leur parcours en clinique de fertilité, les mères d’intention que j’ai rencontrées ont toutes évalué la possibilité d’adopter un enfant résident au Québec ou à l’international. Dès lors, leur but n’est pas nécessairement d’avoir à tout prix un enfant qui leur soit lié génétiquement, mais bien de fonder une famille.

Dans ma tête, c’était clair : « Si je veux des enfants, je vais devoir adopter. Ou faire le choix de ne pas avoir d’enfants ». Mais ça, ce n’était même pas une option. Il y a tellement de possibilités. Je vais adopter à l’international, ou je vais adopter ici, ou je vais devenir une famille d’accueil. Peu importe, mais il fallait qu’il y ait des enfants dans ma vie. (Judith, mère d’intention par GPA)

Par-delà le souhait initial d’accueillir un enfant et de l’adopter, plusieurs embûches font toutefois obstacle au projet dès la phase d’exploration. Les critères d’admissibilité établis par les pays où résident les enfants tels que l’âge des personnes candidates, leur statut matrimonial, leurs revenus et l’absence de situations de handicap font en sorte que l’adoption est inaccessible, ou du moins, représente un contexte d’accès à la parentalité perçu comme étant très compliqué. Pour mettre toutes les chances de leurs côtés, certains couples vont tout de même se marier, voire apprendre la langue du pays ciblé. Les délais d’attente et l’issue incertaine du processus en rebutent néanmoins plusieurs.

Au début, tu penses que ça va être simple. On est un couple marié, de bons revenus…mais non. Les délais d’attente sont épouvantables. Bien souvent, à cause de notre âge – ils prennent les deux : mon âge et celui de mon chum – on n’est pas admissibles, ou ce sont des enfants plus âgés qu’ils te proposent. On a aussi entendu des histoires de corruption dans certains pays, des enveloppes brunes qui circulent. Bref, tu ne sais pas trop dans quoi tu t’embarques. Ça m’a fait peur. (Louise, mère d’intention par don d’ovules)

Je ne suis pas apte à adopter dans plusieurs pays, parce que je suis sourde. Pour le pays qu’on avait choisi, ils ont changé les critères à la dernière minute. C’était vraiment compliqué. Le psychologue à la DPJ nous avait dit : « Ne touchez pas à ça ». Ça fait qu’on a arrêté nos démarches. (Élisabeth, mère d’intention par GPA)

En parallèle à leurs démarches pour l’adoption internationale, la majorité des couples ajoute leurs noms à la liste pour une adoption régulière au Québec. Considérant la rareté des enfants confiés en adoption dès la naissance, les délais d’attente pour cette filière incitent les couples à s’y inscrire, tout en étant conscients que la probabilité que leur rêve se réalise de cette façon est pour ainsi dire nulle. Ils se tournent alors vers le programme Banque-mixte des centres jeunesse28. Plusieurs ont assisté à une rencontre d’information, en prévision d’un dépôt de

candidature comme famille d’accueil. La pluralité des démarches entreprises s’avère toutefois incompatible avec l’accueil d’un enfant pris en charge par la protection de la jeunesse :

Après ça, on s’est tournés vers la Banque-mixte. On est allés à des rencontres. Je pense qu’on aurait pu être un bon profil de couple, avec notre situation familiale et tout ça. Mais, ils nous ont dit : « Si vous êtes en traitement de fertilité, terminez d’abord votre processus. Vous viendrez ici après. Ça demande trop. On ne peut pas faire les deux en même temps ». (Estelle, mère d’intention par don d’ovules)

Tout comme pour l’adoption internationale, les couples sont échaudés par la lourdeur administrative, les pratiques institutionnelles et les critères d’admissibilité jugés restrictifs. La crainte de se faire retirer la garde de l’enfant si les parents d’origine le réclament après plusieurs années au sein de la famille d’accueil demeure néanmoins la principale préoccupation des mères d’intention. Pour elles, cette éventualité présente une menace suffisamment sérieuse pour mettre de côté définitivement le projet d’adoption.

28 L’accueil et l’adoption d’un enfant résident au Québec peut s’effectuer par l’entremise du programme Banque-mixte des centres jeunesse (Pagé, 2012). Le processus s’échelonne généralement sur plusieurs années et comprend des séances d’information, la complétion du dossier de candidature, des évaluations psychosociales individuelles et de couple et une période d’attente lorsque l’évaluation des personnes postulantes a été jugée favorable. Ces dernières deviennent d’abord une famille d’accueil pour un enfant jugé à haut risque d’abandon qui leur sera confié par la direction de la protection de la jeunesse (DPJ), en raison de maltraitance dans le milieu familial d’origine. Le placement de l’enfant peut être temporaire ou à long terme (jusqu’à sa majorité, par exemple), voire mener à l’adoption au plan juridique par les parents d’accueil.

J’ai regardé au Québec en premier. De manière régulière, c’est six à huit ans. C’est très long. La Banque-mixte, il y a toujours une chance qu’ils reviennent pour prendre l’enfant. Je trouvais qu’avec mon plus vieux, ça ne se faisait pas d’amener un bébé ou un jeune enfant et lui dire : « Ça va être ton petit frère ou ta petite sœur, mais ça se peut qu’il s’en aille après deux ans ». S’attacher ou ne pas s’attacher. Je trouvais que ce n’était pas une option. (Rachel, mère d’intention par GPA)

En somme, les femmes ont toutes envisagé l’adoption comme moyen de fonder une famille, puis y ont renoncé, étant donné les délais d’attente importants, la lourdeur administrative et, surtout, la crainte que l’enfant soit repris par ses parents d’origine. Ainsi, tant pour l’adoption internationale que pour l’accueil d’un enfant par l’entremise du programme Banque-mixte des centres jeunesse, des barrières s’érigent sur le chemin vers l’accès à la maternité, faisant dévier les trajectoires des femmes.