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Chapitre V. Introduction aux résultats

6.1 Trajectoires et motivations des mères d’intention

6.1.4 Se résigner à faire appel à une autre femme pour avoir un enfant

L’aide médicale à la procréation et l’adoption étant désormais des possibilités caduques aux yeux des mères d’intention, la procréation par tierces reproductrices représente alors leur dernier espoir avant de mettre définitivement une croix sur leur désir d’enfant. Dans le couloir des modes d’entrée en famille, la GPA et le don d’ovules sont néanmoins les dernières portes entrebâillées par les couples.

On s’est dit : ça ne marche pas avec nos propres moyens, mais peut-être qu’on pourrait mettre notre bébé dans une bedaine et le faire grandir. On n’a jamais fermé totalement les portes. S’il y en avait une qui se fermait, on cognait pour en ouvrir une autre. (Josée, mère d’intention par GPA)

Qu’est-ce qui est plus important pour moi, être enceinte ou avoir un bébé? Do I want to be right, or do I want to win? C’était tellement facile comme décision. I want a child. (Jennifer, mère d’intention par GPA)

Contrairement aux idées reçues, le recours à ces pratiques n’est pas motivé nécessairement par le besoin intrinsèque d’un lien biogénétique avec son enfant. La prise en considération de l’adoption internationale ou locale plus tôt dans le processus montre que le désir d’accueillir et de prendre soin d’un nouveau-né surpasse chez les femmes concernées celui

Au départ, on avait même envisagé l’adoption d’un embryon qui n’avait aucun lien génétique avec nous. Le lien génétique n’était pas si important que cela. Ce qui était important pour nous, c’était d’avoir un enfant ensemble. (Sylvie, mère d’intention par don d’ovules)

Chez les mères d’intention, le désir d’enfant implique surtout le besoin de contribuer par tous les moyens possibles au processus d’enfantement. « The more, the better » résume à ce propos Jennifer. Cette volonté transige alors par différentes pratiques et usages du corps, que ce soit le prélèvement d’un ovule ou l’expérience de la grossesse, mais aussi la présence physique aux rendez-vous médicaux, le peau-à-peau après l’accouchement, ainsi que l’allaitement. Chacune de ces pratiques conforte le sentiment chez les femmes d’avoir été partie prenante du processus, consolidant leur légitimité en tant que mères. En ce sens, le choix entre le don d’ovules et la gestation pour autrui est guidé d’abord et avant tout par les potentialités que recèle le corps des mères d’intention.

Avoir recours au don d’ovules permet de porter soi-même son enfant et de lui donner naissance, facilitant du même coup l’allaitement en période postnatale. Peu connue du grand public, cette technique est souvent partagée sous l’initiative du médecin :

Le fertologue m’expliquait : « C’est l’âge de tes ovules ». Parce que dans le fond, je n’avais pas de problème à porter un enfant. L’utérus n’a pas d’âge, c’est juste que je ne pouvais pas féconder. Notre embryon ne se développait pas. Il y avait donc une autre option : le don d’ovules. Je ne connaissais pas trop ça, mais je savais que ça se faisait. Mon chum était ouvert à l’idée. Il m’a dit : « Écoute, c’est encore mieux qu’adopter : c’est toi qui va porter l’enfant ». L’option idéale, ça aurait été d’avoir un enfant par nous- mêmes. Mais le second bet, je pense, c’est qu’avec le don d’ovules, je portais l’enfant, et mon chum avait aussi une partie de lui. (Louise, mère d’intention par don d’ovules)

Or, cette éventualité n’est pas exempte de craintes chez les receveuses. L’angoisse de ne pas être en mesure d’aimer pleinement son enfant ou de s’y attacher réfrène les ardeurs chez certaines femmes :

Le médecin nous a dit : « Plus de ponctions pour toi. Ta réserve ovarienne est trop basse, ça ne donnera rien. Tu as un risque de faire des infections à nouveau, on ne veut pas prendre le risque. Tout ce qu’il te reste, c’est le don d’ovules ». Sur le coup, c’est comme : « Ouain…OK [ton qui exprime le malaise], je vais porter un enfant qui vient de quelqu’un d’autre ». Déjà, avec toutes mes questions « Est-ce que je vais aimer autant le prochain que le premier »…là, en plus, ça va être l’ADN d’une autre, mélangé avec celui de mon

chum. Qu’est-ce qui va arriver? À qui cet enfant-là va ressembler? Je voulais tellement être enceinte et avoir un autre bébé dans mes bras, mais j’étais terrorisée. (Estelle, mère d’intention par don d’ovules)

Si le ventre arrondi et l’allaitement attestent hors de tout doute du lien maternel entre la mère et son enfant, l’apparence physique éventuelle de ce dernier est source de questionnements et d’appréhensions. Les traits phénotypiques de l’enfant sont souvent mentionnés par les mères d’intention concernées, certaines craignant par exemple que la dissemblance physique déclenche des rumeurs d’adultère dans le quartier.

La gestation pour autrui représente une autre option envisageable pour les femmes qui, pour des raisons de santé par exemple, ne sont pas en mesure de mener à terme une grossesse. Certaines d’entre elles fourniront leurs propres ovules dans le cadre d’une entente de GPA gestationnelle, comme c’est le cas de Sofia :

Dès le début, je trouvais que c’était la meilleure des solutions, considérant les circonstances. La solution idéale aurait été que je le porte moi-même. Au début, je n’étais pas sûre si ce serait nos gènes ou pas. On a découvert que nous étions fertiles tous les deux, on n’avait zéro problème pour faire un embryon. Puisque je ne pouvais pas porter et qu’il fallait trouver une autre solution, celle-là était la bonne. (Sofia, mère d’intention par GPA)

D’autres femmes devront aussi avoir recours à un don d’ovules, en plus de solliciter l’aide d’une femme porteuse. C’est entre autres le cas de Jennifer, dont le deuil de la grossesse est prégnant dans son récit, mais est apaisé par le rêve, désormais accessible et non plus seulement fantasmé, d’avoir un enfant et de le prendre dans ses bras.

You know, je voudrais être enceinte parce que it’s a beautiful experience. Toutes mes amies ont trouvé ça très cool. C’est beau. Je trouve que les femmes enceintes sont tellement belles. Je trouve ça vraiment spécial. Oui, c’est plate, mais je n’ai pas… [silence]. I want a child more than I need to be pregnant. J’ai pris une décision, et la minute que je l’ai prise, c’est fait. I’m not wistful. (Jennifer, mère d’intention par GPA)

Tout comme pour le don d’ovules, c’est souvent le médecin traitant de la femme qui lui suggère d’explorer la GPA comme recours ultime. Cette suggestion est toutefois accompagnée de mises en garde concernant l’absence d’encadrement législatif ou le retrait de la gestation pour

autrui du panier de services de la clinique. Le vernis de dangerosité que revêt cette option en laisse plusieurs dubitatives, comme ce fut le cas pour Élisabeth :

La médecin m’a dit : « Élisabeth, tu en as assez fait. Tu as eu six embryons en tout, et ça n’a jamais fonctionné. À un moment donné, ça suffit ». J’avais pris cinquante livres, avec toutes les hormones. Elle a ajouté : « Au pire des pires, il y a les mères porteuses, mais nous, on ne le fait pas ici ». Parce que les zones grises, au Québec…eux autres, ils ne voulaient pas toucher à ça. Elle nous a dirigés vers une autre clinique. On ne savait pas trop quoi faire. (Élisabeth, mère d’intention par GPA)

Malgré les informations parfois contradictoires recueillies à propos de la GPA et l’issue incertaine du processus, des couples d’intention décident tout de même d’aller de l’avant et de s’engager dans une telle démarche. Ils devront dès lors choisir la filière d’accès qui s’arriment le mieux à leurs besoins et à leurs conditions de vie, une séquence du processus d’enfantement discutée dans le prochain chapitre.