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Chapitre III. Cadre conceptuel

4.3 La stratégie de recherche

4.3.2 Les stratégies de recrutement

Une étape préalable visant à consolider la transparence de ma démarche de recherche et sa diffusion a été réalisée avant le début du recrutement : la création et mise en ligne d’une page Web26 qui présentait, en français et en anglais, le projet de recherche et mes coordonnées

(annexe 1). Sur cette page rattachée au Centre d’études et de recherche en intervention familiale (CÉRIF) de l’Université du Québec en Outaouais, une photo de moi et de ma directrice ainsi que nos notices biographiques permettaient aux personnes l’ayant consultée de connaître l’équipe de recherche ainsi que nos travaux respectifs. Ces mesures ont permis de fournir des informations claires et de garantir nos statuts en tant que chercheurs universitaires, en plus de favoriser une relation de confiance avec les membres des communautés en ligne ou des organismes sollicités dans le cadre du recrutement.

Dans le but de ne pas teinter la perception des participantes potentielles ou orienter la teneur des échanges avec elles, j’ai évité le terme de « mère » et ses dérivés dans l’appel à participation. J’ai plutôt opté pour une description des trois profils recherchés, précisant au

26 Intitulée « Étude MATRICES » (maternités assistées par tierces reproductrices), la page Web de la recherche est accessible en ligne à l’adresse suivante [cerif.uqo.ca], sous l’onglet « Recherche / Parents »

passage les scénarios possibles comme mode d’entrée dans le processus de procréation assistée à l’aide de tierces (figure 4). Je voulais permettre aux femmes de s’identifier elles-mêmes lors de l’entrevue (par exemple : mère/femme porteuse ou gestatrice, donneuse/fournisseuse d’ovule, etc.), sans que je leur colle moi-même une étiquette en tant que chercheur. Ce choix s’est avéré plus ou moins judicieux. En effet, selon les femmes rencontrées, les formulations utilisées n’étaient pas faciles à comprendre. Plusieurs d’entre elles m’ont confié avoir eu de la difficulté au départ à se reconnaître dans la description des profils, jugés trop étriqués. « C’est tellement un réflexe d’universitaire de compliquer les affaires comme ça », s’est exclamée une participante en début d’entrevue, visiblement amusée par mes hésitations à qualifier son rôle comme femme porteuse.

Trois stratégies de recrutement ont été déployées de façon complémentaire pour rejoindre et recruter les participantes. Premièrement, j’ai eu recours aux réseaux socionumériques pour diffuser l’appel à participation, notamment à travers divers groupes Facebook francophones voués à la procréation assistée par autrui et aux réalités familiales. Conformément aux recommandations formulées par Thoër et ses collègues (2012) à propos des méthodologies et de l’éthique de la recherche en ligne, plusieurs mesures ont été déployées pour assurer l’intégrité de ma démarche. D’abord, j’ai soumis une demande d’adhésion pour chaque groupe, laquelle a toujours été acceptée par l’une des administratrices. Je lui ai ensuite écrit en privé pour lui demander l’autorisation du publier mon appel à participation. Ce premier contact a été l’occasion de présenter mon projet de recherche et de préciser les moyens qui seront mis en œuvre pour assurer l’anonymat des participantes et l’intraçabilité des échanges lors de la diffusion des résultats. Ma proposition a reçu un accueil favorable et enthousiaste de la part des administratrices. Par la suite, j’ai publié un message sur le Mur des groupes dans lequel je m’identifiais clairement comme doctorant en sciences sociales, en joignant un lien vers la page Web du CÉRIF. Les femmes interpellées par mon projet ont répondu à l’appel à participation en communiquant avec moi par message privé ou par courriel. Nous fixions ensuite un rendez- vous téléphonique pour que je puisse valider à nouveau leur intérêt et vérifier qu’elles correspondaient bel et bien aux critères de sélection (annexe 2). Seize participantes ont été recrutées grâce à cette stratégie.

Deuxièmement, différentes organisations québécoises en santé reproductive ou offrant des services à l’intention des couples infertiles ont été approchées afin qu’elles sollicitent leurs membres correspondant aux profils recherchés. Les participantes ont ainsi été sollicitées sur une base volontaire par l’entremise de contacts établis par les représentantes de ces associations. Étant donné le tabou entourant la procréation assistée par tierces reproductrices, ce mode de recrutement en recherche qualitative est utilisé afin de rejoindre des populations difficiles à recruter (Ouellet et Saint-Jacques, 2000). Cette stratégie s’est avérée peu fructueuse, puisque seulement cinq femmes ont répondu à l’appel et se sont montrées intéressées par le projet de recherche.

Troisièmement, la méthode « boule de neige » m’a permis de compléter mon terrain de recherche (Mayer et Deslauriers, 2000), en rejoignant dix-sept femmes supplémentaires. Cette méthode est jugée utile et pertinente dans le cadre de recherches portant sur des sujets sensibles (Boeije, 2010), et pour le recrutement de populations difficiles à rejoindre (Browne, 2005). Elle consistait à demander aux femmes rencontrées de parler de ma recherche à d’autres femmes de leur entourage correspondant à l’un des profils recherchés. Une participante pouvait, si elle le désirait ou était à l’aise de le faire, me recommander à l’autre femme impliquée dans la dyade ou la triade d’enfantement; par exemple, une donneuse d’ovules qui, après notre entretien, transmet mon appel à participation à la receveuse qui a pu fonder une famille grâce à son don. Bien qu’il ne s’agît pas d’un prérequis pour participer à la recherche ni un objectif spécifique de ma thèse, le fait de recueillir les expériences de plusieurs femmes impliquées dans le même processus a permis d’enrichir le matériau et, ultimement, de mieux comprendre la construction du rapport à la maternité grâce à la complémentarité de leurs points de vue.

Ce faisant, sur les 38 participantes, trois sont membres de la même triade (mère d’intention, femme porteuse et donneuse d’ovules), et douze font partie de six dyades différentes : quatre dyades de GPA (mère d’intention et femme porteuse), et deux formées en vue d’un don d’ovules (mère d’intention et donneuse). Le reste de l’échantillon (23 participantes) représente des récits individuels. Le tableau suivant présente la catégorisation des profils des participantes recherchés selon les groupes ciblés dans l’étude (figure 4), leur désignation dans la thèse, ainsi que le nombre de femmes rencontrées pour chaque scénario.

Tableau II. Catégorisation des profils de participantes recherchés lors du recrutement Désignation

dans la thèse

Profils recherchés lors du recrutement

Scénarios possibles comme mode d’entrée dans le processus de procréation assistée

Mère d’intention

Femme ayant formulé un projet parental qui requiert

l’apport (gamètes et/ou gestation) d’une ou deux

autres femmes pour le concrétiser

1. Femme ayant confié son embryon à une femme porteuse (GPA gestationnelle). (n = 3)

2. Femme ayant formulé un projet parental impliquant au moins une tierce (GPA génétique). (n = 4) 3. Femme ayant reçu un don d’ovules afin d’être en

mesure de porter et de donner naissance à son enfant. (n = 6)

Femme

porteuse Femme ayant porté un enfant pour le compte d’autrui

4. Femme ayant porté pour autrui un enfant conçu à l’aide de l’ovule d’une autre femme dans le cadre d’une entente de GPA gestationnelle. (n = 10) 5. Femme ayant porté un enfant conçu à l’aide de son

propre ovule dans le cadre d’une entente de GPA génétique. (n = 5)

Donneuse

d’ovules Femme ayant offert ses ovules

6. Femme ayant offert ses ovules lors d’un don dirigé, c’est-à-dire lorsque la donneuse et la receveuse se connaissent et se rendent ensemble pour procéder au prélèvement et à l’implantation. (n = 10)

Femme ayant offert ses ovules lors d’un don croisé, c’est-à-dire lorsque la donneuse accompagne une receveuse à la clinique pour y faire un don, lequel sera remis à une autre receveuse ayant fait la même démarche. (0)

Femme ayant offert ses ovules de façon individuelle à une clinique ou une banque de gamètes. (0)

Les cliniques de fertilité, tant publiques que privées, et les agences spécialisées en GPA basées en Ontario n’ont pas été sollicitées directement pour participer aux efforts de recrutement. Ce choix se justifie de trois façons. D’abord, chaque partenariat avec les institutions médicales aurait nécessité l’obtention d’une approbation éthique, ce qui aurait considérablement retardé et prolongé la période de cueillette de données. Ensuite, certaines organisations exigent des frais considérables pour avoir accès à leur milieu, et ce, sans garantie que le recrutement soit « rentable » en termes de personnes rencontrées. Ne disposant pas d’un

budget conséquent me permettant d’explorer cette possibilité, j’ai rapidement abandonné ces démarches. Enfin, les réseaux socionumériques étant très populaires chez l’ensemble des personnes concernées par la GPA et le don d’ovules sans égard à leur milieu de provenance (Lavoie et Côté, 2018b), j’ai pu me rabattre sur cette stratégie de recrutement pour rencontrer des personnes ayant choisi différentes filières d’accès, assurant ainsi une diversité de bon aloi pour mon échantillonnage.