• Aucun résultat trouvé

Chapitre III. Cadre conceptuel

4.3 La stratégie de recherche

4.3.3 La procédure de cueillette de données

De septembre 2016 à avril 2018, j’ai réalisé 45 entrevues individuelles avec 38 femmes impliquées ou ayant été impliquées dans une entente de procréation par tierces reproductrices au Canada (n = 38), soit treize mères d’intention, quinze femmes porteuses et dix donneuses d’ovules. La cueillette de données s’est déroulée en deux « vagues »; la majorité des entrevues ayant été menées lors de la première vague à l’automne 2016 et à l’hiver 2017. Une deuxième vague, plus modeste, a été réalisée l’année suivante, certaines entrevues étant des suivis (2e

entrevue) avec des participantes rencontrées lors de la vague précédente. Enfin, j’ai complété la collecte de données au printemps 2018 par deux dernières entrevues qui m’ont permis de confirmer la suffisance théorique.

Les entrevues se sont déroulées à la résidence de la personne ou dans un local d’une université québécoise, ainsi que par Skype ou par téléphone. Comme la théorisation enracinée implique que le processus de la recherche soit circulaire et flexible (Guillemette et Luckerhoof, 2009; Charmaz, 2014), les participantes ont été informées qu’il était possible qu’elles soient recontactées après la première entrevue si elles m’autorisaient à le faire afin d’approfondir certains aspects de leur expérience, au fur et à mesure qu’avanceraient la codification et l’analyse des données. Ce fut le cas pour sept d’entre elles, qui ont toutes accepté de me rencontrer à nouveau en personne, ou de répondre à mes questions lors d’un entretien téléphonique.

L’entretien comme lieu d’échange et de partage du pouvoir a été mené de manière à permettre aux participantes d’exercer une forme de contrôle, en choisissant par exemple le moment et le lieu de l’entrevue. De même, les femmes ont été considérées et accueillies comme des expertes du phénomène étudié, atténuant ainsi leurs réserves à se révéler à un inconnu et confortant leurs impressions que leurs propos étaient utiles et pertinents. Mills et ses collègues (2006) rattachent cette posture avec la notion de réciprocité, une responsabilité qui échoie selon ces autrices sur les épaules du chercheur désireux d’établir une relation de confiance entre lui et les participantes. Cette réflexion sur l’équilibre du pouvoir est cohérente avec la MTE constructiviste qui renonce au principe d’objectivité du chercheur et de la hiérarchie qu’un tel rapport engendre, au profit d’une relation de proximité entre les personnes engagées dans la discussion.

De façon concrète, je confiais toujours aux participantes en début de rencontre que j’estimais qu’elles étaient les mieux placées pour me décrire le processus de procréation assistée à l’aide de tierces, car, contrairement à elles, je ne possède pas un tel vécu expérientiel en tant qu’outsider (Corbin Dwyer et Buckle, 2009; Kerstetter, 2012). « Vous êtes les expertes de votre propre vécu, et personne ne peut en témoigner aussi bien que vous », leur mentionnais-je lorsque je leur précisais mes motivations à faire une thèse sur le sujet de la gestation pour autrui et du don d’ovules. Certaines en profitaient pour révéler qu’elles appréciaient le fait que je sois un homme « extérieur à tout ça [la gestation pour autrui ou le don d’ovules] », parce qu’elles avaient eu dans le passé des échanges houleux avec d’autres femmes, et qu’elles s’étaient alors senties incomprises ou jugées.

Cette attitude s’est avérée judicieuse pour la réalisation de cette étude, puisque je percevais que certaines femmes étaient réticentes au départ à me partager leurs expériences, par crainte que leurs propos soient dénaturés ou cités hors contexte, voire que l’appel à participation soit une supercherie fomentée par un journaliste dans le but de rédiger un article à saveur sensationnaliste. La polarisation du débat au Québec que j’ai décrite dans premier chapitre était un élément de contexte à prendre en considération dans le cadre de mon terrain de recherche, puisque les tensions ou les craintes de représailles qu’engendre cette polarisation ont certainement influencé le déroulement de ma recherche. Mon affiliation universitaire, le

certificat d’approbation éthique décerné par l’Université de Montréal (annexe 3) et l’utilisation d’un formulaire de consentement (annexe 4) ont alors été des outils utiles pour clarifier mon rôle et mes responsabilités comme chercheur et informer les participants de leurs droits. Plusieurs m’ont d’ailleurs confié s’être senties rassurées par ces procédures, conscientes dès lors des recours possibles en cas de problèmes ou d’insatisfactions.

Ces observations contrastent avec les critiques souvent exprimées à l’endroit de la lourdeur bureaucratique exigée par les comités d’éthique qui a pour effet, selon ses détracteurs, de nuire au déroulement de l’enquête de terrain et à la réalisation d’entrevues (Bosa, 2008). Utilisé de façon éclairée, le formulaire de consentement peut s’avérer être au contraire, selon mon expérience, un outil pour consolider la relation de confiance dans l’entretien compréhensif. Le défi réside dans la manière de le présenter pour que la personne interrogée en comprenne rapidement la pertinence, et que cette discussion plus formelle et régulée ne vienne pas empiéter sur le reste de la rencontre, qui se veut un moment d’échanges décontractés.

Les entretiens semi-dirigés m’ont permis d’orienter les échanges autour de thèmes préalablement établis, tout en favorisant l’émergence d’autres éléments liés aux contextes de vie des participantes (Savoie-Zajc, 2016). Au regard des objectifs de la recherche, trois thèmes principaux étaient abordés lors des entretiens, soit 1) la trajectoire personnelle et les motivations ayant amené la participante à solliciter l’aide d’une ou deux autres femmes pour fonder sa famille, ou à participer au projet parental d’autrui à titre de tierce reproductrice; 2) le rapport à l’enfant issu d’une entente de GPA ou d’un don d’ovules et 3) leur rapport à la maternité dans un contexte de fragmentation des composantes maternelles.

J’entamais l’entrevue par une question ouverte et très large, selon le profil de la participante : « Pouvez-vous me raconter ce qui vous a amené à vouloir fonder votre famille à l’aide de la gestation pour autrui, ou d’un don d’ovules? » ou « Pouvez-vous me raconter les circonstances vous ayant menée à porter un enfant pour un couple, ou à offrir vos ovules? ». Je concluais l’entretien en demandant à la participante de me partager ses idées et ses recommandations pour une éventuelle réforme des lois et des politiques au Québec et au Canada, ainsi que ses conseils pour les personnes susceptibles de s’engager dans un processus de GPA

Des entrevues dites « prétest » ont été conduites auprès de trois femmes correspondant aux caractéristiques désirées pour chaque sous-groupe afin de valider le canevas d’entrevue (Mayer et Saint-Jacques, 2000). Recommandée entre autres par Van der Maren (2010), cette mesure permet de cibler les modifications à apporter en ce qui concerne la passation, l’ordre des questions ou la longueur du guide d’entrevue. Au regard de mon expérience lors de ces entrevues, j’ai choisi d’inverser deux sections et de conclure avec les questions sur le rapport à la maternité, pour respecter le rythme de l’entrevue et enchaîner de façon plus fluide entre les sections. En effet, il m’est apparu plus pertinent de procéder ainsi, considérant le fil conducteur que je retrouvais dans les récits des femmes. Hormis cette modification, je n’ai apporté aucun autre changement significatif au guide d’entrevue (annexe 5). Ces trois entretiens ont été intégrés au corpus analysé.