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Chapitre 3 Méthodologie, terrain et analyse 63

3.5 Traitement et analyse des données

Écouter l’enregistrement et ensuite faire la transcription des entrevues enregistrées sont souvent considérés comme une tâche ardue qui prend énormément de temps. Pourtant, cette procédure comporte beaucoup d’avantages, qui dépassent la conservation des entrevues et des données :

Premièrement, l’enregistrement permet de conserver les entrevues et d’en tirer une analyse secondaire, si l’occasion s’y prête. Ensuite, écouter les bandes enregistrées aide à identifier et à corriger les défauts de mon style d’entrevue. En plus, la parole de la personne est fixée, telle qu’elle nous l’a communiquée, et le chercheur n’a pas à craindre que sa mémoire ne flanche : il pourra toujours revenir rapidement au texte de l’entrevue et la retrouver, telle qu’il l’a laissée (Deslauriers, 1987 : 146).

Les entrevues ont été écoutées et réécoutées, les expressions non verbales, telles que rire, soupir, hésitation, balbutiement, etc. ne sont pas négligées. Ces détails révèlent les émotions et les sentiments des interlocuteurs, facilitent la compréhension du contenu et contribuent à la construction d’une base de données fidèle et authentique. Cette écoute attentive et répétitive lui permet de saisir certains détails difficiles à percevoir et de mieux comprendre certaines situations subtiles. Le moment de réaliser la transcription marque un temps d’arrêt, une période de réflexion; il constitue aussi la première étape d’analyse (Deslauriers, 1987 : 146). Étant donné que les entrevues sont toutes réalisées en mandarin, la traduction de la transcription chinoise en français est

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nécessaire. La traduction, faite par la chercheuse, essaie de reproduire le plus fidèlement possible les sources verbales et les pensées des interlocuteurs ; elle est simple, facile de lecture tout en respectant les règles de la concordance grammaticale et orthographique de la langue française. Les deux dictionnaires « le Petit Robert [2010] » et « Dictionnaire Français-Chinois [Larousse 2010] » sont choisis comme livre de référence.

Avant d’effectuer la première analyse de contenu, un retour critique de données paraît nécessaire : l’ensemble de données recueillies par l’entrevue semi-dirigée sera mis en référence par le récit de vie, par la carte de réseaux et les notes descriptives. Ce regroupement des données brutes, en faisant l’état des extraits de la présente recherche, vise à avoir une appréhension la plus complète possible de l’ensemble des données, à construire progressivement un modèle d’analyse et à prendre en compte des données sur plusieurs plans. Ce retour critique s’inscrit dans une perspective qualitative qui vise à objectiver les données.

[qu’] il correspond à la capacité du chercheur d’objectiver les données recueillies. Le chercheur, entièrement impliqué dans sa recherche, ne peut prétendre à l’objectivité. Il cherche toutefois à fonder son analyse sur des données qu’il peut objectiver : il peut démontrer qu’elles ont été recueillies de façon systématique et il peut corroborer par le recours à certaines stratégies (Savoie-Zajc, 2012 : 29).

Caractérisée par un va-et-vient entre la collecte et l’analyse des données (Raab, 2015), la démarche d’analyse qualitative est progressive et itérative. Pour procéder aux analyses du corpus présent, on a fait appel à six grandes étapes de traitement des données développées par Pierre Paillé (1994), soit : la codification, la catégorisation, la mise en relation, l’intégration, la modélisation et la théorisation.

« La codification qui consiste à étiqueter l’ensemble des éléments présents dans le corpus initial ; la catégorisation, où les aspects les plus importants du phénomène à l’étude commencent à être nommés ; la mise en relation, étape où l’analyse débute véritablement ; l’intégration, moment central où l’essentiel du propos doit être cerné ; la modélisation, où l’on tente de reproduire la dynamique du phénomène analysé ; la théorisation, qui consiste en une tentative de construction minutieuse et exhaustive de la

« multidimensionnalité » et de la « multicausalité » du phénomène étudié » (Paillé, 1994 : 153).

Avec une posture critique et à l’aide du logiciel Excel, « une coupe verticale des données, où les entrevues sont considérées dans leur intégralité » a été d’abord effectuée (Deslauriers, 1987 : 148). Les traits distinctifs de chaque entrevue ont été discernés, la logique et la structure du discours ont été examinées. Les récits des répondants sont également découpés en suivant une démarche horizontale : les entrevues sont comparées d’une manière transversale les unes aux autres qui font ressortir les codes. Les points de repère transposables d’une entrevue à une autre font apparaître les récurrences. Le sens et la logique, attribués aux données, aux thèmes et aux sous-thèmes font apparaître à leur tour les catégories. Cette coupe horizontale « minimise les particularités et s’attarde aux propriétés communes » (Deslauriers, 1987 : 148). Ainsi, les constances, les idées récurrentes, les thèmes et les sous-thèmes se manifestent. Deux manières de exploiter les données permettent « de passer d’un plan relativement statique à un plan dynamique, de la constatation au récit, de la description à l’explication » (Paillé, 1994 : 171). À la fin, les propositions sont dégagées et transformées en concept et en théorie.

Lorraine Savoie-Zajc (2012) affirme que « le chercheur apprend de son site de recherche. Sa question et ses objectifs de recherche deviennent alors plus spécifiques, au fur et à mesure que la recherche progresse » (20). La chercheuse travaille avec les données d’une façon inductive, elle a lu et relu des extraits thématiques des entretiens tout en laissant les données parler par elles-mêmes. Et ensuite, elle alterne la lecture et les analyses de données, elle laisse reposer les données pendant une courte période de temps pour ne pas « se noyer ». Elle garde toujours la vigilance, l’induction et la réflexivité. La lecture minutieuse laisse voir que, parmi les vingt travailleurs qualifiés rencontrés, il y a deux différentes manières d’entreprendre et de développer des réseaux. Cette piste d’analyse a permis de mieux définir la problématique et plus concrètement, elle a axé les questions de recherche sur les différentes manières d’intégrer le marché du travail chez les immigrants chinois par création et par reprise

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d’une entreprise. S’approcher du terrain, se laisser imprégner des données descriptives contribue à compléter les connaissances acquises et à critiquer les premières versions de la problématique. C’est aussi dans ce contexte qu’on « sera en mesure de tracer l’histoire de sa recherche, d’indiquer quelles décisions ont été prises tout au long de l’étude et de les justifier » (idem).

Au fil de la transcription et de la codification, on a développé deux grilles d’analyse qui servaient à découper, à isoler et ensuite à classifier des données. La première grille est élaborée à partir des données collectées par la méthode de récit de vie : elle interroge d’abord la motivation d’immigration, le vécu durant le moment de transition ainsi que les premières expériences au travail chez les immigrants qui arrivent au Québec. Ensuite, une attention particulière est accordée à leur choix de l’entrepreneuriat dans la société d’accueil. La deuxième grille vise à traiter les données cueillies par l’entrevue semi-dirigée, qui portent spécifiquement sur les structures et le développement des réseaux sociaux. Durant les différents moments migratoires, ces réseaux possèdent des fonctions diverses, qui par la suite influencent le choix professionnel chez les immigrants ainsi que leur propre perception d’eux-mêmes.

Les deux grilles sont marquées par une ouverture — considérées comme support d’analyse, elles sont assez lâches pour laisser émerger de nouvelles idées. En même temps, leur structure reste rigide pour identifier et regrouper les données. Un modèle de « spirale » développé par Ayache Magali et Hervé Dumez (2011) a été adopté : la grille d’analyse vient de la problématique et des orientations théoriques, et elle y revient, mais en ayant « progressé dans la détermination du problème et des théories à partir du matériau empirique recueilli et traité » (Ayache et Dumez, 2011 : 39).

Comme Didier Demazière et Claude Dubar (1997) l’expliquent, le travail de compréhension « dépend à la fois de la volonté du sujet de se faire comprendre et de la capacité du chercheur à l’aider à le faire » (Demazière et Dubar, 1997 : 100). Avec une écoute attentive, des sourires, des regards et des mots d’encouragement, on a

essayé de montrer aux participants l’intérêt de leur récit. On s’assure d’accorder la liberté aux participants tout en respectant la confidentialité des informations recueillies et l’anonymat des personnes rencontrées. Cette relation égalitaire avec les participants forme « (un) outil méthodologique, (une) procédure de découverte par laquelle on rend significatifs des petits faits glanés presque au hasard » (Monsutti, 2004 : 77). Il n’est pas alors surprenant que, lors de la deuxième entrevue, la continuation de cette relation fidèle et mutuelle incite les participants à se raconter avec encore plus de spontanéité. Il arrive que quelques participants ajoutent certains détails dans leurs récits après avoir terminé l’enregistrement. Dans ces cas-là, ces informations étaient prises en note dans les notes de terrain, ou l’enregistreuse était remise en fonction. Ces propos s’interprétaient comme significatifs pour la compréhension en profondeur du phénomène de recherche. La liberté accordée aux immigrants dans le récit narré et dans l’entrevue semi-dirigée ainsi que la relation de co-construction entre les participants et la chercheuse, constituent « un contrepoids au risque de dérive technocratique inhérent à toute expertise commandée d’en haut » (Bertaux, 1997 : 120). Et la transcription de chaque entrevue est envoyée au répondant pour rassurer l’authenticité des ressources.

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