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Chapitre 1 État de la question, problématique et question de recherche 6

1.4 Immigrants et réseaux 24

Aujourd’hui comme hier, des liens interpersonnels relient « les migrants, les non-migrants du pays d’origine, les zones de passages et de destination à travers un ensemble de réseaux parentaux, amicaux et communautaires » (Massey, 1988 : 396). Chaque nouveau départ représente une ressource potentielle qui facilite les autres exils et différents réseaux migratoires constituent les principaux moyens de reproduction et d’amplification de la migration. Michèle Vatz Laaroussi et Claudio Bolzman (2010) concluent que les réseaux migratoires tendent à

17Le Chinatown est une enclave chinoise qui se différencie géographiquement et culturellement du reste du territoire urbain et qui vise à faire

s’élargir et à se densifier, jouant un rôle multiplicateur qui permet la réalisation des projets de ses membres et la préservation du lien communautaire avec la société d’origine. Ces réseaux, « [...] construits par les immigrants entre pays d’origine, pays traversés durant le parcours migratoire, pays, régions et localités d’accueil et pays de diaspora de la famille élargie et de la communauté d’origine » (Vatz Laaroussi, 2009 : 86) assurent aux immigrants une continuité temporelle et spatiale dans leur vie souvent fragmentée par une mobilité géographique et parfois sociale. Stéphanie Arsenault (2010) constate que chez beaucoup d’immigrants réfugiés colombiens, les pratiques transnationales sont centrées sur les réseaux familiaux. Les réseaux, marqués par la stabilité et la pérennité, assurent la réalisation des projets d’intégration de leurs membres.

Les familles peuvent recourir à des réseaux transnationaux à travers différents types de rapports. Elles peuvent premièrement le faire en concevant ce réseau comme une stratégie d’insertion dans laquelle les liens forts avec la parenté restée au pays jouent un rôle affectif en appui indirect au projet d’insertion et où ce réseau familial se distingue clairement du réseau social, composé, lui, de liens faibles directement utiles à l’insertion et à la vie quotidienne. Une deuxième catégorie de familles utilise un type de réseaux transnationaux dans lequel les liens forts à distance constituent au contraire un véritable tuteur de résilience, un appui rassurant et incontournable permettant d’envisager l’avenir et de poursuivre le projet de vie sur les plans identitaire et familial (Arsenault, 2010 : 54).

Pour certains immigrants, les réseaux transnationaux développés dans le parcours migratoire sont doublement investis en raison du développement de stratégies socio-économiques fines et complexes ou de la limitation socioprofessionnelle du marché du travail (Simon, 2008; Vatz Laaroussi, 2009). C’est le cas des femmes immigrantes originaires de Roumanie qui s’installent à Toronto et qui choisissent de se mettre à leur compte pour contourner des difficultés sur le marché du travail fluctuant. Elles font reposer leur activité sur une clientèle principalement roumaine dans les niches ethniques, et leurs petites entreprises sont développées dans le domaine des services tels qu’agences de voyage, agences immobilières et commerces ethniques, qui permettent de relier ici et là-bas (Nedelcu, 2005). Chez d’autres personnes, les réseaux transnationaux, en tant que canal privilégié de circulation d’argent et de services, peuvent constituer des formes de soutien et de solidarité à distance (Monsutti, 2004; Mujahid et al., 2011). Alessandro Monsutti a étudié les réseaux transnationaux des immigrants afghans et ses recherches laissent voir que les immigrants ne sont pas passifs et victimes, mais qu’ils sont acteurs de leur destin : ils utilisent leur éparpillement géographique et leurs réseaux pour trouver

des ressources monétaires et matérielles (Monsutti, 2004). Une recherche récente laisse voir que les parents originaires de Chine continentale sont enclins à faire un effort pour pratiquer un « transnational parenting or grandparenting practice » au Canada. Ils voyagent régulièrement entre la Chine et le Canada afin de prendre soins de leurs enfants et petits-enfants. Leurs services « enable the children to pursue their career aspiration and economic advancement through participation in the labour force. The prevalence of grandchildren and the general acceptance of this arrangement provides a space for the development of transnational parenting, grandparenting practice »18(Mujahid et al., 2011: 195). D’ailleurs, le développement de nouvelles technologies,

la communication régulière à distance et la démocratisation des voyages contribuent aux dynamiques des réseaux transnationaux (Arsenault, 2010). La circulation d’informations et de produits commerciaux entre le local et le global permet aux immigrants de penser et de se sentir ici et là-bas, de comprendre différents styles de vie et manières d’agir (Vatz Laaroussi et Bolzman, 2010). Les réseaux transnationaux sont devenus véritablement un acteur efficace de la mondialisation migratoire, tout en aidant ses membres à développer des activités dans une ou plusieurs sphères sociales.

En ce qui concerne les réseaux entretenus par les immigrants dans leur pays d’accueil, de nombreux travaux sont axés sur l’effet bénéfique du réseau ethnique sur le bien-être psychologique des immigrants. Les « kins », composés de la famille, des proches et des amis de la même ethnicité aident les nouveaux arrivants à gérer leurs émotions négatives associées à l’expérience migratoire (Aroian, 1992; Arsenault, 2009; Schweizer et al., 1998). Cette relation sociale avec les membres de la même communauté ethnique est d’une grande importance, surtout à la première phase d’installation dans la société d’accueil, en raison des besoins de soutien social et du manque de liens (Aroian, 1992 : 202). Cette perspective rejoint également celle des immigrants s’installant en Gaspésie, qui considèrent que des membres de la communauté d’origine ou encore des personnes ayant aussi vécu le processus de migration sont des personnes-ressources auprès de qui ils peuvent recevoir de l’aide (Arsenault, 2009). Quant aux femmes immigrantes, la communauté ethnique, qui possède un sens et une valeur fonctionnels pour l’adaptation aux nouvelles situations rencontrées en terre d’immigration, leur sert de pôle de revendication identitaire (Vatz Laaroussi, Guilbert et al., 2007). En effet, elles sont les

18En Chine, la croyance confucéenne en la piété filiale demande « grandparents, especially grandmothers, often help to care for

principales agentes du développement de réseaux sociaux, au sein des groupes à la fois ethnique et local. « Les ressources de voisinage, d’entraide, de garde, d’éducation des enfants et des soins de santé » (Vatz Laaroussi, Guilbert et al., 2010 : 96) répondent bien à leurs besoins et favorisent leur intégration dans le pays d’accueil. Quant aux mères immigrantes, une recherche menée au sein de familles réfugiées de trois générations (fille, mère, grand-mère) au Québec mentionne que la mère, la génération du milieu, est l’actrice pivot de la circulation des savoirs et de la construction de nouvelles pratiques entre ces générations de femmes. Les échanges intergénérationnels sont importants pour l’insertion des divers membres des familles immigrantes (Vatz Laaroussi, Guilbert et al., 2012). Plusieurs chercheurs indiquent que les opportunités d’apprentissage, d’acquisition de nouvelles connaissances et d’expériences sont aussi nées en contexte de mobilité et d’insertion dans les nouveaux réseaux (Guilbert, 2005; Vatz Laaroussi, Guilbert et al., 2010). Les contacts avec les amis locaux, le (a) conjoint(e) québécois(e), les employeurs, les collègues de travail, le voisinage et les personnes qui œuvrent au sein d’institutions permettent aux immigrants de se sentir acceptés et appréciés (Arsenault, 2009).

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