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Chapitre 1 État de la question, problématique et question de recherche 6

1.5 Entrepreneurs immigrants au Canada et au Québec 27

1.5.2 Choix de reprendre une entreprise en contexte québécois 35

Selon l’Institut de la Statistique du Québec (2016), en 2016, 18,1 % de la population était âgée de 65 ans et plus au Québec. Leur part continue d’augmenter et devrait se situer à 25 % en 2031. Suite au vieillissement de la population, on constate un manque à gagner de 14 000 entrepreneurs qui prendraient la relève d’entreprises gérées par les propriétaires de la génération du baby-boom

qui seront touchés par l’âge de la retraite d’ici 2020 dans la région de la Capitale-Nationale (Nadeau et Guilbert, 2014 : 111). Malgré le fait que le gouvernement vise à pérenniser les PME québécoises et que les organismes de développement économique interviennent dans le processus de reprise et de transmission d’entreprise, fermer l’entreprise est l’option retenue chez des propriétaires de petites entreprises qui n’ont pas encore réalisé leurs plans de transfert de l’entreprise (Fondation de l’entrepreneurship, 2010).

Connaître le phénomène de reprise d’entreprise exige d’aborder les différents modes de transmission. Le déploiement d’un projet de transmission se manifeste sous trois formes : transmission familiale, transmission interne et transmission externe (Cadieux et Brouard, 2009 : 37). Le terme « transmission familiale » désigne des transferts intergénérationnels caractérisés par une vision à long terme : « l’entreprise familiale répond plus aux besoins des membres d’une même famille et de ses partenaires directs. Le repreneur est descendant filial du cédant » (Cadieux, 2009 : 228). Pour une transmission interne, il y a des candidats disposant de l’expertise et de l’engagement à la relève de l’entreprise : « Une transmission interne représente la possibilité d’avoir le cédant pendant la période du transfert du leadership, et de préparer son départ de l’entreprise dans un horizon plus long » (Cadieux, 2009 : 228). D’ailleurs, il faut savoir que beaucoup d’entrepreneurs ont recours à la transmission externe, « une transmission faite à une ou à plusieurs personnes n’ayant aucun lien avec l’entreprise » (Cadieux, 2009 : 226). Pour les cédants, le transfert externe permet d’avoir de nouvelles ressources et de renouveler le capital humain : « Un apport de sang neuf est d’ailleurs souvent un atout non négligeable du point de vue stratégique » (Cadieux, 2009 : 231). Quant aux repreneurs, une transmission externe implique la nécessité de connaître le domaine de la reprise, d’obtenir de l’information fiable et de se donner des stratégies de négociation avec les cédants (ibid.).

Généralement, la transaction est marquée par la complexité du côté technique et gestion et par la difficulté d’entretien d’une bonne communication (Desrochers, 2013). La transmission d’entreprise constitue une période critique en raison de la situation particulière dans laquelle le cédant et le repreneur cherchent à combiner leurs projets différents : elle représente plus « une affaire de relations humaines entre le cédant et le repreneur qu’une simple sanction économique résultant d’un contrat » (Costes, 2012 : 104). Selon Jacques-Henri Costes (2012), « le processus d’interaction et de liaison qui unit ces deux acteurs “improbables” va de la rencontre initiale à la

construction de l’accord, passe par le transfert de rôles et se termine par la séparation définitive des deux parties » (Costes, 2012 : 107). Au cas où un propriétaire a choisi son repreneur, il doit fournir de l’aide sous divers aspects : « accompagner le successeur dans ses apprentissages, favoriser l’environnement d’intégration interne et externe de l’entreprise, transmettre les valeurs fondamentales de l’entreprise, voire offrir certaines souplesses dans le paiement de la part de successeur » (Cadieux et Brouard, 2009 : 45). Pour le repreneur, « le temps de préparation, la possibilité d’être accompagné par le [les] cédant [s], la capacité d’apprentissage, de gestion et de communication ainsi que la facilité d’obtenir le financement pour son [leur] projet augmentent les chances de réussite de la transmission » (Cadieux et Brouard, 2009 : 45). Pourtant, il est perçu que les cédants du Québec « s’imaginent mal quitter le navire et ne sont pas tous aussi enclins qu’ils le devraient à franchir ce premier pas, qui est d’identifier la relève » (Desrochers, 2013 : 16). Et cela n’est pas rare de voir que beaucoup de propriétaires qui n’ont pas encore réalisé les plans de transfert préfèrent fermer leur entreprise (Fondation de l’entrepreneurship, 2010). Selon Sonia Boussaguet (2008), les décalages entre les discours et les pratiques de cédant/repreneur durant la transmission de l’entreprise pourraient nuire à la reprise :

Les principaux défis que le repreneur va confronter ont trait à l’ambivalence du cédant, qui possède beaucoup de clefs d’intégration, mais qui peut vivre son propre départ avec difficulté ; à l’attentisme des salariés qui connaissent l’entreprise et disposent de savoirs clefs, mais qui pourraient avoir de la difficulté à accepter le changement ; et à l’impatience potentielle du repreneur qui peut avoir tendance à s’affirmer et à décider tout de suite plutôt qu’à s’appuyer sur son équipe (Boussaguet, 2008 : 58).

La dynamique de la transmission d’une entreprise peut considérablement varier en durée, mais se déroule généralement en quatre phases : la planification, la mise en œuvre, la transition et la nouvelle direction (Cadieux et Brouard, 2009 ; Cadieux et Deschamps, 2011; Cadieux et Morin, 2009). La phase de planification consiste en l’élaboration d’un projet relié à l’environnement commercial et à la capacité individuelle de l’entrepreneur. Le repreneur dans cette phase pense à différentes possibilités d’obtenir des informations de reprise qui sont fortement reliées aux offres potentielles. Il évalue le revenu, la future valeur de propriété, le secteur et la compétitivité d’entreprise afin de maximiser ses chances de succès. En effet, plusieurs repreneurs choisissent de rencontrer les courtiers et les réseaux de contact quotidien pour obtenir de l’information (Picard et Thévenard-Puthod, 2004). Pourtant, il semble qu’un certain nombre d’entre eux n’ont

pas l’habitude de développer leur plan commercial, ce qui crée un grand obstacle pour leur future demande de financement auprès des institutions correspondantes (Ramangalahy et al., 2002). La phase de la mise en œuvre du plan représente la concrétisation des projets individuels du repreneur. La négociation entre repreneur et cédant favorise la rédaction du contrat. Une fois la négociation réussie, le repreneur peut se préparer à acquérir l’entreprise, à recevoir la formation adéquate ou l’accompagnement offert par les institutions professionnelles ou par le cédant, et à faire face à plusieurs autres difficultés. Parmi celles-ci, le principal problème de reprise réside dans le manque de capital. Dans le cas des PME dont la situation économique est précaire, les difficultés de financement pourraient constituer « un frein majeur » (Audet et St-Jean, 2009 : 39). Le fait que les nouveaux arrivants n’ont pas de crédit bancaire dans leur pays d’accueil et que leur historique de crédit dans leur pays de départ n’est pas reconnu au Canada conduit à la perte de possibilité d’avoir un prêt dans la société d’accueil (Roy et al., 2014 : 31). D’ailleurs, tous les immigrants n’ont pas l’habitude de demander l’hypothèque bancaire, et ce, notamment dans la culture islamique : « that accessing capital may not be an option for newcomers from religions or cultures that prohibit paying or receiving interest from loans » (ibid.). Plusieurs organisations bancaires canadiennes coopèrent avec les experts de banques islamiques afin de créer un système de crédit qui correspond à la restriction religieuse sur les taux d’intérêt et d’accroître l’efficacité des programmes de partenariat avec les communautés ethniques (Roy et al., 2014 : 33). On voit aussi que, dans certaines situations, le cédant est prêt à prendre en charge certaines ressources pour faciliter la transaction telles qu’un solde de prix de vente ou une rémunération étalée sur plusieurs années (Cadieux et Brouard, 2009 : 183).

Au moment où le repreneur entre dans la phase de la transition d’entreprise, il se trouverait possiblement confronté à des difficultés en termes de leadership, de culture d’entreprise et de résistances de la part des salariés (Grazzini, 2009 : 154). Il doit également composer avec « l’héritage culturel que lui laisse le cédant »(ibid.), qui n’est pas forcément compatible avec les évolutions stratégiques qu’il projette de mener. Il ajuste, s’approprie son nouveau rôle de dirigeant afin de prendre sa place au sein de l’entreprise et de conquérir une légitimité.

Une fois la transmission terminée, le repreneur doit montrer son adaptabilité, « sa résistance contre la mauvaise foi, ses capacités de trouver la cible dans l’opacité, de recruter et de distribuer

les tâches aux employés » (Cadieux et Brouard, 2009 : 37). C’est une phase où le repreneur doit faire preuve « d’humilité et d’ouverture » (Cadieux et Deschamps, 2011 : 189), le repreneur pourrait contacter plus souvent les institutions professionnelles ou les cédants pour obtenir de l’aide, une formation adéquate et de l’accompagnement. Les employés clés permettent aussi au repreneur d’éviter les écueils et les pertes financières (Parker et Van Pragg, 2012). Enfin, le processus de transmission/reprise se termine avec l’entrée en poste officielle du repreneur, qui commence à développer ses propres réseaux.

Sans distinguer les entrepreneurs immigrants et non-immigrants, des chercheurs se sont penchés sur les différentes manières d’aborder l’entrepreneuriat et diverses modalités de développer des entreprises. Parker et Van Praag (2012) ont étudié les entrepreneurs néerlandais ainsi que leurs façons de démarrer une entreprise. Ces chercheurs conviennent que fonder sa propre compagnie ou reprendre une entreprise existante sont deux options principales pour ceux qui visent à débuter une carrière d’entrepreneur. Ils ont aussi constaté que reprendre une entreprise n’était pas un choix marginal parmi les participants et que plus de la moitié des entrepreneurs amorçaient leur projet entrepreneurial en rachetant une entreprise. Selon eux, les facteurs qui influencent le mode d’entrée en affaires des entrepreneurs sont l’influence familiale, les expériences précédentes, les motivations, le niveau d’éducation et le capital de démarrage. Parmi les deux catégories d’entrepreneurs, les créateurs valorisent en général leur formation scolaire alors que les repreneurs ont tendance de mettre en avant leur expérience de gestion, leur fonds de démarrage et leur capacité d’évaluer et de prendre des risques (Parker et Van Pragg, 2012). Joern Block, Roy Thurik, Peter Van der Zwan et Sascha Walter (2013) constatent que l’âge pourrait avoir un impact sur le choix de la carrière entrepreneuriale et surtout dans le choix de la reprise d’entreprise. La recherche d’Arnold C. Cooper et William C. Dunkelberg (1986) soulignent qu’« en général, l’intensité entrepreneuriale est plus prononcée d’abord chez les créateurs, ensuite chez ceux qui reprennent des entreprises, puis chez les successeurs familiaux et enfin chez ceux devenus entrepreneurs suivant une promotion ou une assignation au sein de leur entreprise »21. En

comparant les profils, les comportements ainsi que les contributions de différents types d’entrepreneurs, Deniz Ucbasaran, Gry Agnete Alsos, Paul Westhead et Mike Wright (2008) révèlent que de grandes différences existent entre les créateurs et les repreneurs, réparties en

21Citation originale en anglais : “In general, entrepreneurial intensity seems to be greatest for starters, then for those who purchase firms, then

quatre dimensions : leurs attitudes envers la réputation de l’entreprise, leur capacité de transfert des expériences de travail antérieures, leur style de gestion ainsi que leur dépendance aux réseaux sociaux pour accéder aux informations et aux autres ressources. Les créateurs ont plus tendance à mettre l’accent sur la réputation de leur entreprise et ils sont plus proactifs dans la recherche d'informations et d'opportunités d’entreprendre. Leurs projets d’entrepreneuriat sont en général motivés par leur besoin d’indépendance et d’autonomie. Quant aux repreneurs, ces derniers déclarent que leur réseau d’affaires a été amélioré par leur ancienne expérience gestionnaire, ils sont plus susceptibles de dire qu’ils étaient motivés par la création de richesse et le défi de posséder une entreprise. Au sein de l’entreprise, ils occupent un poste de direction et ils coopèrent avec leurs partenaires et leurs employés au sein d’un système bien établi, bien planifié et contrôlé.

Par rapport à une attitude réticente exprimée par les cédants québécois, il semble que les immigrants sont prêts à combler les besoins de relève dans le contexte de la diversité culturelle croissante au Québec. Considérant spécifiquement les immigrants d’origine chinoise, les médias ont constaté que beaucoup d’entre eux s’intégraient au marché du travail québécois en reprenant des petites et moyennes entreprises locales (PME) : « Au Québec, un dépanneur sur six est géré par un immigrant chinois » (Mazataud, 2012), « En cinq ans, 86 dépanneurs ont été achetés par des Chinois dans les régions de la Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches » (Lemieux, 2015). Les immigrants chinois expriment de plus en plus leur volonté de s’investir dans la carrière d’entrepreneur. Ils cherchent à acquérir des compétences stratégiques et opérationnelles en coopérant avec le cédant, les anciens employés et les partenaires extérieurs. Pour pallier les lacunes des recherches existantes, on s’attarde à ces immigrants jeunes et qualifiés qui tiennent à entamer leur apprentissage de la culture d’entreprise, à entrer en poste de direction et à saisir les stratégies de gestion.

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