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Chapitre 6 Dynamique d’entrepreneuriat chez les immigrants créateurs et repreneurs

6.3 Perception des immigrants à propos de leur choix d’entreprendre

Malgré le changement dans le domaine professionnel, les participants ne se reconnaissent pas comme victimes de l’immigration. Plusieurs d’entre eux ont mis en valeur leur adaptabilité et leur capacité de se relever dans différentes conditions sociales. L’entrepreneuriat s'avère un choix de carrière qui leur permet d’avoir plus de contrôle sur leur vie et de reconstruire le rapport au choix professionnel en fonction de la possibilité d’obtenir des promotions sociales et d’obtenir un avancement dans leur carrière. Mais ce ne sont pas tous les immigrants chinois qui possèdent l’intérêt pour entreprendre. Accablé par des difficultés de trouver un emploi correspondant à sa formation sur le marché du travail québécois, H6 n’a pas d’autres choix que la reprise d’une entreprise. Au lieu de s’investir dans son projet d’affaires, H6 accorde la priorité à sa vie culturelle dans la région de Québec, dont celle d’écrivain.

« Dans ma vie culturelle, j’aime la littérature et l’histoire. J’écris et je me sens fier quand j’ai terminé de longs paragraphes. Reprendre des épiceries est un moyen de s’intégrer au marché du travail; je n’ai aucune envie de devenir entrepreneur. » (H6, repreneur)

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Le repreneur H1 exprime aussi ses inquiétudes face à la décroissance du commerce de détail. Il a vu fondre ses économies après l’achat de son épicerie, mais cet investissement ne lui rapporte pas autant qu’il pensait. Il remet en question sa décision d’entrepreneuriat.

« Le contexte économique est défavorable et même les chauffeurs de taxi m’ont dit que cette année n’est pas une bonne année. Je me sens frustré face à l’affaiblissement de l’économie et je ne sais pas où est mon avenir. Les Chinois ont repris les épiceries des Québécois. Si c’est un secteur florissant, pourquoi les cédants québécois quittent ? Travailler dans une épicerie demande du temps et de l’argent. Tu y investis beaucoup, mais le bénéfice est très marginal. » (H1, repreneur)

Si certains repreneurs éprouvent plus de difficultés en se mettant à leur compte, d’autres n’hésitent pas à montrer leur intérêt particulier envers le commerce. F2 a repris sa première épicerie peu de temps après son arrivée au Québec. Si en Chine, elle est « une goutte d’eau », transparente et inexistante pour les autres, à Québec, elle est « madame la propriétaire d’épicerie », acceptée et connue du public de son quartier. Elle déclare qu’elle va continuer à se battre dans le domaine des affaires et compte faire plus d’investissement.

« Mais je suis très contente d’immigrer et de changer mon mode de vie. En Chine, quand on marche dans la rue, personne ne nous connaît : on est comme deux gouttes d’eau transparentes. Ici, dans la rue, tout le monde nous parle et les gens nous connaissent. Mon conjoint et moi, nous apprenons petit à petit à parler français et à faire des ventes. Nos expériences servent à notre prochain investissement commercial. Avant mon 50e anniversaire, je planifie investir dans d’autres domaines, comme

l’immobilier, les hôtels ou motels. Je suis très prudente quand je fais des investissements. J’ai parlé avec beaucoup d’autres investisseurs : certains réussissent bien, mais d’autres ont perdu de l’argent. » (F2, repreneuse)

S’inscrivant dans une perspective gestionnaire, le récit de H4 laisse voir qu’il entreprend stratégiquement. Être repreneur d’épicerie lui permet de mieux connaître le fonctionnement du secteur commercial québécois, d’avoir du temps pour lui-même et des fonds pour investir dans d’autres domaines. Selon lui, la reprise d’épicerie constitue une base solide pour son futur projet.

« Travailler pour notre propre entreprise, c’est se battre pour notre avenir. Nos connaissances professionnelles se développent au fur et à mesure que l’entreprise s’agrandit. En fait, mes futurs projets d’investissement et d’apprentissage sont tous basés sur mon expérience de travail dans mon épicerie. Ils sont très réalistes et faisables. » (H4, repreneur)

H2 a raconté son parcours de reprise d’entreprises à différentes époques dans plusieurs villes québécoises. Le démarrage et l’exploitation du projet d’entrepreneuriat font partie de sa passion depuis toujours. S’insérer dans le marché de l’épicerie lui permet de développer son capital économique et son capital social. Comme gestionnaire, il a du temps pour lui-même, il concilie avec facilité sa vie familiale et professionnelle. Présentement, il est en train de planifier son projet de retraite. Il avoue que pour lui, être repreneur est son meilleur choix socioprofessionnel.

« J’ai 48 ans cette année et cela fait plus de 10 ans que je travaille dans les épiceries. Je planifie prendre ma retraite dans quelques années ; je vais louer mes épiceries aux autres et je vais faire le tour du monde avec mes parents. J’ai travaillé dans la première épicerie durant deux ans, et ensuite je l’ai vendue. Cette expérience m’a aidé à accumuler des fonds pour reprendre la deuxième. Durant trois ans, j’ai travaillé dans ma deuxième épicerie. Maintenant c’est ma troisième épicerie. » (H2, repreneur)

Si une partie des repreneurs montrent des attitudes positives découlant de leur expérience d’exploitation d’occasions d’affaires et de leurs interactions avec le marché local, il y a aussi quelques repreneurs qui possèdent des perceptions différentes.

Le récit de H9 porte sur l’adaptation à son nouveau rôle d’entrepreneur. Selon H9, l’entrepreneuriat est une avenue bénéfique et profitable si l’entrepreneur est capable de balancer le temps de travail et la rentabilité. D’ailleurs, le développement des ressources humaines est un défi et une aventure pour lui, entrepreneur immigrant qui a encore un grand chemin à parcourir pour développer leadership et compétences interculturelles. Son idée consiste à éviter le piège d’échanger de l’argent contre du temps et à maximiser la contribution de tous les employés.

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« La qualité de vie n’a pas de lien direct avec le revenu, mais elle est en lien avec notre choix professionnel. Les gens travaillent dans des conditions différentes : certains échangent leur revenu contre leur temps, alors d’autres gagnent de l’argent et ont du temps pour eux. Mais c’est toujours difficile d’atteindre cet équilibre. Ce que j’aimerais faire, c’est de travailler moins, diminuer le stress et avoir du temps à moi. Trouver de bons employés et équilibrer le travail et le loisir, c’est mon prochain objectif. » (H9, repreneur)

Immigrer dans un autre pays comporte des obstacles et des défis, dont celui du déclassement professionnel. F9 a travaillé dans un poste moins qualifié par rapport à ce que son niveau d’études et son ancienne expérience de travail en Chine auraient permis. Cependant, elle est consciente que le déclassement est un phénomène temporaire. Le choix d’entreprendre lui offrirait l’occasion de connaître une ascension professionnelle dans le futur.

« En Chine, mon travail me permet de rencontrer les cadres des grandes compagnies alors qu’au Québec, je travaille dans le secteur de vente et j’ai eu des contacts plutôt avec différents milieux sociaux. La plupart des gens sont gentils, mais il y a toujours des gens qui te critiquent. Je ressens ce décalage du statut social. Mais je vais faire des efforts pour le diminuer, comme ce que beaucoup d’immigrants chinois ont fait. Le déclassement est temporaire, l’important c’est d’avoir des stratégies, d’avoir des projets de travail et d’avoir des plans pour le futur. » (F9, repreneuse)

Les récits de vie montrent que tous les créateurs ont des attentes à propos de leur projet d’entreprendre, que ce soit pour sortir du statut de déclassement ou pour avoir un statut social plus élevé. Et une partie des repreneurs aspirent à élargir leur horizon d’investissement et à débuter leur carrière de gestionnaires. Cependant, on constate que les immigrants chinois au sein du groupe des repreneurs n’ont pas la même propension d’aventure ni le même degré de tolérance au risque. D’ailleurs, leur capacité et leur intérêt en gestion et en administration varient. Quelques-uns deviennent repreneurs pour sortir du statut de chômeur et pour ne plus subir les désavantages liés au statut de nouveaux arrivants; d’autres s’intéressent à l’entrepreneuriat et veulent explorer ce domaine.

6.4 Conclusion

Le choix d’entreprendre se fait à partir des interactions entre des éléments externes et internes qui favorisent l’entrepreneuriat. À travers l’analyse de leur parcours migratoire, on est d’avis que l’existence des barrières, telles que le manque d’expérience de travail au marché local, la non-reconnaissance des diplômes acquis dans le pays de départ, le faible développement de réseaux locaux et le niveau de langue insuffisant affaiblissent l’intégration des nouveaux arrivants. On voit que les immigrants chinois ne sont pas de simples victimes, mais des acteurs qui évoluent dans le système d’entrepreneuriat, qui écartent l’exercice direct du métier déclassé par la stratégie d’entreprendre et qui luttent contre les contraintes à la suite du choix de la migration.

Dans l’optique de mieux comprendre les motifs du choix d’entreprendre des immigrants chinois, il est important de considérer leurs différentes figures. La présente recherche révèle qu’il n’y a qu’un très petit pourcentage de travailleurs qualifiés qui sont venus au Canada avec un projet d’entrepreneuriat. Les contraintes d’intégration et les occasions d’entreprendre se manifestent surtout durant les premières années après leur arrivée au Québec (voir Chapitre 4, sous-section 4.2

Premières expériences d’immigration dans la société d’installation). Ainsi, l’analyse

sur les motifs d’entreprendre d’une personne immigrante ramène un éclairage sur leur expérience de recherche du travail, sur la réalité de leur processus d’entreprendre et sur leur propre perception du moment de bifurcation. Pour la plupart d’entre eux, le choix d’immigrer les incite à développer des stratégies et des compétences pour s’adapter au marché du travail et les motifs derrière leur décision de se mettre à leur propre compte sont divers et multiples, une même personne pourrait invoquer plusieurs types de motifs pour entreprendre.

En ce qui a trait aux perceptions décelées par les créateurs et par les repreneurs, on note une forte volonté d’entreprendre parmi les créateurs. Ces derniers se déclarent se lancer en affaires pour démontrer leur autonomie, leur passion et leurs compétences,

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pour saisir de belles occasions d’affaires et pour découvrir une nouvelle carrière. Contrairement aux créateurs, des repreneurs ont une tendance à contourner les difficultés sur le marché du travail par la stratégie de reprise. Leur intérêt en gestion et en administration, leur capacité de repérer et saisir des occasions d’affaires sont à voir différemment.

Les perceptions des immigrants entrepreneurs dressées dans ce chapitre indiquent que les personnes immigrantes ne forment pas un bloc monolithique. Leurs parcours migratoires, leurs motifs d’entreprendre, leur vécu et leurs réseaux de socialisation entretenus dans la société québécoise mettent en lumière la complexité inhérente à la situation socioprofessionnelle immigrante qui a des répercussions sur leur propre perception de soi. Par exemple, un immigrant est capable de rapidement intégrer le marché du travail en tant qu’entrepreneur alors que d’autres personnes rencontrent plus d’obstacles au niveau des fonds, du repérage des occasions d’affaires et de la gestion, ce qui peut les conduire à revoir leur projet migratoire et professionnel. Ce point sera mis en lumière dans le prochain chapitre.

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