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Chapitre 5 Situation de carrière actuelle : immigrants créateurs et repreneurs d’entreprise

5.3 Repreneurs immigrants d’origine chinoise et leur intégration au travail

5.3.2 Mise en œuvre : plan d’affaires soutenu par les réseaux familiaux et par les

Amasser les ressources financières suffisantes est une condition essentielle dans la phase de mise en œuvre du plan de reprise. Ces sources de financement sont incarnées par l’acquéreur et ses proches, par le vendeur, par une institution financière, par une société à capital de risque ou par un appel public à l’épargne (Cadieux et Brouard, 2009). Si les sources de financement peuvent être mixtes pour les repreneurs québécois natifs, les entrevues menées avec les repreneurs chinois révèlent que leurs liquidités proviennent généralement des membres de leur cellule familiale transnationale. Et les réseaux familiaux au Québec leur permettent plutôt d’accéder à des ressources humaines, plus précisément, du bassin de recrutement.

5.3.2.1 Soutien financier de la part de réseaux familiaux transnationaux

L’obtention du soutien financier représente un enjeu primordial chez les repreneurs, notamment durant l’étape d’élaboration de leur premier projet entrepreneurial. Parmi les treize participants repreneurs, il n’y a que deux personnes qui ont été capables de s’autofinancer. Tous les autres ont fait appel aux réseaux familiaux élargis pour réaliser leur investissement. Plusieurs repreneurs déclarent qu’ils cherchent de l’aide du côté de leurs parents. Frères et sœurs, cousins et cousines, ainsi que d’autres membres de la grande famille vivant en Chine se trouvent aussi sur leur liste de contacts.

« Quand j’ai décidé de reprendre ma première entreprise, ce sont mes parents qui nous ont envoyé de l’argent » (F9).

« Au moment de la reprise de notre entreprise, j’ai demandé l’aide de notre famille de Chine. Nous n’avons pas d’histoire de crédit dans les banques et on ne pouvait pas emprunter de l’argent dans les institutions financières québécoises. » (H8)

Devant l’obstacle du manque de financement, F2 a reçu l’aide de son cousin, qui possède une entreprise en Chine.

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« Lorsque j’ai appliqué mon plan de reprise, ma famille en Chine m’a beaucoup aidée. Mon cousin est entrepreneur en Chine depuis longtemps et c’est grâce à son aide financière que l’on a réussi la reprise de notre épicerie, qui est une grande surface située dans un quartier populaire. » (F2)

F1 a essayé de contacter quelques organismes qui offrent des fonds aux entrepreneurs. Elle n’a malheureusement pas eu de subvention. Elle s’est alors trouvée dans l’obligation de faire appel à ses réseaux familiaux pour obtenir du soutien financier.

« Je n’avais pas assez d’argent, et les organisations de prêts m’ont refusée. C’était autour de l’année 2006. Peut-être n’avais-je pas assez d’information sur les prêts. Donc j’ai laissé tomber mon idée de chercher de l’argent auprès des organismes. » (F1)

La majorité des repreneurs interrogés ont repris leur PME peu de temps après leur arrivée (référer au Chapitre 5, voir sous-section 5.1.2 Caractéristiques

sociodémographiques des entrepreneurs repreneurs). Au moment de chercher du

financement, ces derniers ne possèdent pas d’histoire de crédit au sein de la société d’accueil. La précarité de leur situation financière se définit comme un obstacle de taille ; c’est ainsi que les réseaux familiaux sont la source de financement la plus utilisée. C'est surtout leur grande famille transnationale, telle que mentionnée plus haut, qui joue un rôle déterminant afin de soutenir les membres engagés dans un projet d’entrepreneuriat.

5.3.2.2 Soutien de la famille dans la région de Québec : bassin de ressources humaines

Alors que la grande famille offre du soutien financier au début du lancement du projet de reprise, le soutien de la famille dans la région de Québec contribue au développement de l’entreprise en offrant plutôt des ressources humaines. Souvent, les PME reprises par les immigrants sont gérées par la famille, au moins durant les premières années de la reprise. Ce n’est qu’au moment où les entreprises prennent de l’expansion que les repreneurs recrutent plus d’employés en dehors de leur réseau familial. Après la reprise, les membres du réseau familial sont censés être conscients

que leur coopération contribue au bon déroulement de l’entreprise. Quelquefois, non seulement les couples repreneurs, mais aussi leurs enfants participent à la conciliation de la vie familiale et entrepreneuriale.

« On n’avait pas d’employés au début. Il n’y avait que mon mari et moi qui travaillions du matin jusqu’au soir et qui nous occupions en même temps de notre enfant. Quand on ouvrait nos yeux, on devrait aller

travailler, on ne fermait nos yeux que pour dormir. Plusieurs années après, on a eu des employés. Maintenant, mon mari travaille avec les employés à l’épicerie, et moi j’ai repris un café. Il travaille longtemps chaque jour, et moi je suis beaucoup plus libre qu’avant. Je consacre plus de temps à la famille. » (F9)

« Reprendre une PME demande beaucoup d’heures de travail et la coopération de toute la famille. Être repreneur d’une entreprise signifie que l’on n’aura pas de temps à nous et que gérer l’entreprise fait partie de notre vie quotidienne. J’ai contribué beaucoup à la gestion, j’ai le leadership et la passion, et c’est moi qui distribue les tâches à tout le monde. Quand l’employé prend son congé ou quand l’on a besoin, mes enfants viennent pour nous aider, car c’est une obligation pour eux. » (F2) Le soutien de la part des réseaux familiaux voire des réseaux ethniques facilite la gestion des repreneurs chinois. H5 évoque que les réseaux familiaux élargis fournissent des employés avec qui il partage la même langue et savoir-faire. Ils se comprennent, se font confiance et coopèrent étroitement. Ces facteurs contribuent à la réussite de la mise en œuvre du projet.

« Quand tu as réussi à fonder ton entreprise et que tu penses à développer tes affaires, tu dois construire une équipe de gestion. Nous préférons choisir des Asiatiques ; cela faisant, on a plus de facilité à se comprendre. La culture et l’idéologie au sein de l’équipe sont les plus importantes. La façon la plus réaliste est de construire un réseau familial. C’est une méthode directe et efficace. À Québec, l’environnement commercial est bon, mais il nous manque de réseaux familiaux. » (H5)

Le créateur H7 était auparavant repreneur. Il raconte aussi les difficultés que sa famille a vécues lorsque sa femme et lui travaillaient dans une épicerie. Le manque de soutien fait partie des raisons pour lesquelles il a quitté ce domaine.

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plus, j’allais faire des commandes deux jours par semaine dans les grands supermarchés. Ma femme était obligée de travailler seule et personne ne s’occupait de nos enfants quand ils finissaient l’école. Ils étaient tout le temps devant la télé et ce n’était pas ce que je voulais. Je change de travail pour donner plus de temps à mes enfants. » (H7)

5.3.2.3 Soutien de la part des ressources externes durant la mise en œuvre des projets de reprise

Chez les repreneurs immigrants de la présente étude, les ressources externes les plus prisées sont le comptable, le courtier, le fiscaliste, le notaire et l’avocat. F9 fait beaucoup appel aux ressources externes, que ce soit sur le plan commercial ou familial.

« Quand j’ai repris le café, j’ai cherché de l’information gouvernementale, aussi j’ai connu un avocat, avec qui j’ai toujours gardé contact. C’est-à-dire que quand j’ai eu des incompréhensions sur des lois et des règles de commerce et quand j’ai voulu changer les noms des enfants39,

j’ai appelé cet avocat. » (F9)

H3 insiste sur le fait que la présence de notaires durant le transfert de l’entreprise est nécessaire.

« Quand j’ai signé le contrat de reprise, j’étais accompagné par le notaire. Ce n’était pas une dépense inutile – c’est vrai qu’il y a des gens qui ne cherchent pas de ressources externes. Ça ne signifie pas que je ne crois pas au partenariat. Au contraire, c’était pour encourager notre coopération l’un avec l’autre. » (H3)

Si le recours aux conseillers externes est considéré par certains repreneurs comme le levier le plus sûr pour obtenir du soutien et de l’accompagnement avant, durant et après le transfert de propriété, d’autres immigrants qui vivent les barrières linguistiques et financières et qui manquent de temps pour créer des réseaux locaux se déclarent incapables de créer ou d’entretenir des liens avec la société québécoise. Recevoir des amendes, avoir des conflits avec clients, rencontrer des pièges commerciaux fait partie des défis auxquels ils sont confrontés durant leur adaptation.

Dans une note dépréciative, H8 raconte ses expériences vécues après la reprise. « Moi, en tant que propriétaire de PME, je travaille pour recruter des gens, payer les factures... parce que la main-d’œuvre ici coûte trop cher. Mon entreprise ne reçoit aucune subvention ni aucune aide. Au contraire, j’ai de moins en moins de profit à cause de la concurrence et le changement de réglementations sur le commerce. Il me manque beaucoup de connaissances sur les lois locales et à cause de ça, je reçois souvent des amendes. Par exemple, j’ai dû payer 2000 dollars pour ne pas avoir caché le mot « cigarette », affiché sur le mur par l’ancien propriétaire (soupir). J’ai besoin d’un avocat, mais je n’en ai pas, payer un avocat coûte trop cher. Comme employé et aussi dirigeant de PME, je n’ai pas de temps pour aller au procès ; en plus, mon français n’est pas assez bon. À cause de tout cela, je me sens très mal. » (H8)

L’influence néfaste du manque de réseaux externes se fait surtout sentir chez les repreneurs immigrants lors de la mise en action de leur projet de reprise. H6, débutant en entrepreneuriat, est obligé d’affronter des défaites et des échecs d'affaires dû au manque de bonne information sur l’entreprise avant la reprise.

« À côté de chez moi, un concessionnaire d’automobiles a décidé de construire une épicerie six mois après ma reprise (d’épicerie). Nous (répondant et un agent immobilier d’origine chinoise) sommes des immigrants étrangers; personne ne savait que l’autre voulait ouvrir une épicerie. Beaucoup de gens du village considèrent cette affaire immorale, car le propriétaire de cette nouvelle épicerie et mon cédant sont de la même famille. Sur mon contrat ce qui était écrit, c’est que le propriétaire lui-même ne peut pas ouvrir une épicerie dans un rayon de 5 km autour de son épicerie vendue. Mais je ne le savais pas... (soupir). Si je veux m’adresser aux tribunaux, je dois prouver que mon cédant savait le plan d’affaire de son proche, mais c’est très difficile. Depuis que la nouvelle épicerie est ouverte, je ne peux même pas payer ma facture d’électricité. Je n’ai pas d’autres choix que de couper mes employés et de travailler 6 jours par semaine. Le revenu annuel de mon épicerie a perdu 50 %. La vie est devenue stressante. » (H6)

Manque de connaissances et d’expérience, les repreneurs immigrants ont souvent des difficultés pour éviter les pièges commerciaux, notamment au début de leur carrière d’entrepreneuriat.

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j’ai été trompé par des partenaires locaux, car j’ai trop idéalisé l’environnement commercial et je croyais en mes partenaires. » (F1)

On trouve, en effet, qu’un nombre limité d’entre les repreneurs immigrants font appel aux ressources externes pour le transfert de la PME, bien qu’ils vivent autant, même plus, de concurrence et de risques que les repreneurs locaux. La mise en action du projet de reprise est encore plus complexe due à leur difficulté à obtenir de l’information commerciale par des voies formelles et informelles, à leur capacité linguistique et financière de niveau faible. Les immigrants ont besoin de déployer plus d’efforts pour construire des réseaux locaux et pour élargir des réseaux tissés avec la société québécoise.

5.3.3 Transition : plans d’affaires renforcés par la coopération des cédants, des

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