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De la création/reprise d’entreprise à la « prise » des valeurs québécoises

Chapitre 6 Dynamique d’entrepreneuriat chez les immigrants créateurs et repreneurs

6.2 Perception durant le parcours d’entrepreneuriat et d’immigration

6.2.4 De la création/reprise d’entreprise à la « prise » des valeurs québécoises

Par l’intermédiaire des espaces de rencontres et d’interactions, les immigrants entrepreneurs s’adaptent à la vie sociale et culturelle québécoise tout en composant leur vie avec les deux systèmes de valeurs, retenant des valeurs du pays d’accueil et d’autres du pays de départ. H2 affirme que ses valeurs du pays d’origine se juxtaposent maintenant avec les valeurs québécoises qu’il a adoptées. Il déclare que la mobilité est son rêve depuis l’enfance et que le savoir-vivre québécois fait partie des valeurs qu’il a adoptées.

« J’ai gardé certaines valeurs chinoises et j’ai aussi appris des valeurs québécoises. Selon la mentalité chinoise, il faut travailler fort et acquérir un certain statut social, mais je ne veux pas garder cette valeur en moi. Je veux la changer. La pensée chinoise valorise seulement les gens qui sont capables de grimper au sommet de la montagne, alors qu’ici j’ai appris à avoir confiance en moi malgré que je ne sois pas capable d’aller jusqu’au sommet. Même dans le domaine financier, je suis influencé par la culture québécoise. Je ne suis plus comme les Chinois qui économisent toute leur vie et qui n’osent pas dépenser. J’ai changé ma mentalité traditionnelle et je suis influencé par l’optimisme de la culture québécoise. Au lieu de travailler tous les jours, je prends aussi des vacances. » (H2, repreneur)

La culture chinoise démontre une valorisation de la richesse et l’atteinte d’un statut social élevé. Les postes du travail moins bien payés et les statuts sociaux inférieurs mènent à une intégration sociale médiocre dans la société chinoise. H3 éprouve des doutes vis-à-vis de cette valeur chinoise et il manifeste de l’intérêt envers la culture du pays d’accueil. À la croisée de deux perspectives culturelles, il a réussi à saisir celles qui lui paraissent importantes.

« En Chine, tout le monde court après l’argent et après le statut social supérieur, cette pression et cette ambiance sociales dirigent la vie de tout le monde, y compris la mienne. Mais dans la région de Québec, on ne juge

pas les autres selon leur vie matérielle, ni selon leur capacité économique, comme les Chinois le font. D’après moi, au Québec, même les bénéficiaires de l’aide sociale ne sont pas jaloux de la vie des millionnaires. Prends un autre exemple : lorsqu’un homme chinois prend du temps pour soi et pour sa famille, il est très mal vu par le public. En effet, les Chinois ont tendance à dire que ce monsieur n’a pas d’ambition dans son projet professionnel. Alors qu’au Québec, les hommes travaillent fort et en même temps, ils investissent beaucoup de temps dans la famille, s’occupent des enfants. Je suis d’accord avec ce mode de vie. À Québec, j’ai pu trouver la paix spirituelle. » (H3, repreneur)

Dans différentes sociétés, les attentes des travailleurs envers leur emploi ne sont pas les mêmes. Dans le cadre de son travail, F4 se rend compte de l’opposition bien connue entre les « attitudes » de travail chinoise et québécoise. Elle apprécie les différences entre les deux valeurs et elle combine les bons côtés des deux cultures dans son travail.

« Moi, je cherche de belles valeurs de deux cultures. Les Québécois ils ont beaucoup de sens d’humour, alors que les Chinois sont sévères. Quand il y a des projets à mettre en œuvre, les Chinois vont penser seulement à la faisabilité du projet, alors que les Québécois vont trouver les points intéressants du projet. Je suis en train de changer ma façon de travailler : je voudrais être à la fois logique et humoristique. J’aimerais avoir plus d’amis et de partenaires d’affaires québécois. Je souhaite qu’ils me considèrent comme quelqu’un d’optimiste et d’intéressant. » (F4, repreneuse et créatrice)

Plusieurs immigrants ont fait des commentaires sur le système d’éducation chinois. F7 évoque que le modèle éducatif pour les jeunes en Chine ressemble plus à un cycle vicieux et controversé selon lequel « avoir de meilleurs diplômes représente une entrée dans les grandes entreprises et avoir une vie heureuse » (F7). Elle souligne l’importance de passer de bonnes valeurs à son enfant, donc celles de la société d’accueil.

« Selon les valeurs traditionnelles chinoises, ce sont les études, les diplômes qui comptent le plus. Le système éducatif chinois priorise le parcours d’études des gens et il faut avoir de grands diplômes pour décrocher un bon emploi. Et les jeunes n’ont pas de liberté pour faire ce qu’ils veulent et ils ne sont pas toujours heureux. Nous allons passer à nos enfants des valeurs québécoises : ils n’ont pas besoin d’avoir toujours de

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bonnes notes, d’aller étudier dans les meilleures universités et de travailler dans les grandes compagnies. Selon moi, ce sont les enfants qui décident où ils vont travailler, où se trouvent leur intérêt et leur place. Tous ces facteurs comptent plus que le revenu. » (F7, créatrice)

F4 remarque que beaucoup d’immigrants chinois étudient ou travaillent dans des domaines auxquels ils s’intéressent plus ou moins. Selon elle, les choix professionnels des Chinois s’accordent plutôt aux besoins du marché du travail. Elle s’attache plus aux valeurs culturelles du pays d’accueil plus tolérantes aux préférences des personnes.

« Je me suis rendu compte qu’ici, la façon d’éduquer les enfants est différente comparativement à la Chine. En Chine, on encourage les enfants à étudier dans les programmes les plus populaires sur le marché du travail. Ici, les gens essayent de savoir ce qui les intéresse le plus avant de faire leurs études. Et c’est leur intérêt et leurs efforts qui mènent à la réussite. Pour beaucoup de Chinois, après l’immigration, ils essaient d’étudier ou de travailler dans leur ancien domaine ou dans des secteurs où il est plus facile de trouver du travail, que cela corresponde à leur intérêt ou non. Je suis contente d’avoir réussi à trouver ce que j’aime et je suis chanceuse de ne pas avoir suivi les autres immigrants chinois. » (F4, repreneuse et créatrice)

H1 manifeste aussi de l’intérêt envers la culture du pays d’accueil. Il a remis en question l’importance que les Chinois accordent aux réseaux sociaux. D’un côté, entretenir les réseaux sociaux en Chine demande beaucoup de temps et d’investissement; de l’autre côté, l’existence du grand réseau familial ne lui accorde pas de respect ni de liberté, et ce, surtout concernant sa situation maritale. Le fait qu’il reste célibataire est depuis longtemps un sujet discuté par sa famille élargie et cela lui a créé beaucoup de stress. Il souligne qu’il a déjà adopté la valeur québécoise, notamment la liberté d’être célibataire.

« Les réseaux sociaux chinois sont multiples et omniprésents. Voire étouffants. Ici le monde accepte le fait que je suis célibataire. Lorsque je rentre en Chine, tous les membres de la famille essaient d’aborder mon statut matrimonial avec mes parents. Et mes parents vont ensuite faire pression sur moi pour me marier. D’ailleurs, en Chine, je dois me forcer à entretenir des liens sociaux en investissant du temps et de l’argent. Sur ce point, moi j’adopte les valeurs québécoises. » (H1, repreneur)

L’impact du choix d’immigrer et d’entreprendre sur la vie des travailleurs qualifiés d’origine chinoise pourra s’étendre sur leur développement personnel et sur leur propre image de soi. Qu’ils soient créateurs ou repreneurs, le fait d’immigrer et d’entreprendre dans leur pays d’accueil génère un nouveau dynamisme dans leur vie. Plus qu’une reconnaissance de leur capacité personnelle et professionnelle, ces immigrants font preuve d’une grande autonomie et une forte aspiration d’apprentissage. Ils démontrent une forte capacité d’adaptation et de résilience. D’ailleurs, il est intéressant de constater que les immigrants chinois comparent différentes valeurs et systèmes entre leur société de départ et d’arrivée avant de faire leurs propres choix. Que ce soient créateurs ou repreneurs, tous les entrepreneurs sont capables d’aménager des aspects ethnoculturels en fonction des exigences migratoires, et cela, malgré leur différente perception envers le choix de l’entrepreneuriat.

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