• Aucun résultat trouvé

Chapitre 5 Situation de carrière actuelle : immigrants créateurs et repreneurs d’entreprise

5.3 Repreneurs immigrants d’origine chinoise et leur intégration au travail

5.3.4 Nouvelle direction: repreneurs chinois et leurs réseaux québécois

On le perçoit déjà, reprendre une entreprise dans un contexte migratoire et interculturel est parsemé de défis, que ce soit la recherche d’information nécessaire à la reprise, le recrutement d’employés, la collecte de fonds, la gestion des relations avec les employés, les fournisseurs et les autres partenaires, ou l’élaboration de stratégies pour faire face à la concurrence. Cependant, les repreneurs chinois ne sont pas passifs : beaucoup d’entre eux ont entretenu, voire créé, des réseaux d’entrepreneuriat québécois et ont obtenu des signes de reconnaissance de la société d’accueil.

5.3.4.1 Reconnaissance de la société locale

se lancent dans leur nouvelle carrière de repreneur avec beaucoup d’ouverture. Ils y investissent du temps et de la passion, et conséquemment, ils comprennent mieux le fonctionnement de la société d’accueil en arrivant à mieux maîtriser le français. Ils ont réussi à sortir du statut de sans-emploi et à éviter les difficultés de la recherche d’emploi. F2 dit qu’être repreneuse lui permet de nouer et de maintenir des contacts avec la société québécoise et elle trouve que son épicerie est un milieu actif de communication.

« Après avoir repris des entreprises, nous entrons davantage en contact avec la population locale. Quand nous marchons dans la rue, beaucoup de gens nous reconnaissent et nous saluent. Ils nous racontent beaucoup de choses de leur vie, et nos réseaux ne se limitent pas aux immigrants chinois. Quand nous avons construit notre maison, ce sont nos clients qui nous ont aidés à trouver des professionnels. Les clients nous ont même appelés pour donner des conseils sur l’achat de certaines marchandises. C’est notre plus grande réussite. » (F2)

H6, entrepreneur immigrant dans un petit village de la région de Québec, a reçu beaucoup d’invitations pour participer aux activités locales en tant que propriétaire d’entreprise et en tant que représentant immigrant. Son statut de repreneur lui apporte une fierté et une reconnaissance au sein de sa communauté.

« Les propriétaires sont très peu nombreux dans notre village et les repreneurs immigrants sont encore moins. Je suis souvent invité à participer à des activités gouvernementales et des activités portant sur l’immigration. » (H6)

La reprise d’une entreprise permet aux immigrants d’origine chinoise d’élargir leurs réseaux et de transférer des compétences et de l’expérience acquise à l’étranger. On l’a vu, être repreneurs d’une PME incite les immigrants à avoir des contacts avec la société locale, à mieux parler français, voire à participer aux différentes sphères d’activités sociales et culturelles. C’est surtout vrai en région, comme dans la région de Québec, ce qui peut parfois être plus difficile à réaliser dans la région métropolitaine de Montréal. Ainsi, les repreneurs perçoivent une reconnaissance de la part de la société locale, non seulement en tant qu’immigrants, mais aussi en tant que

159

dirigeants d’entreprise. Ayant les aptitudes et les qualifications requises pour reprendre une entreprise, beaucoup d’entre eux ne se limitent pas à être propriétaires d’une PME; certaines personnes parmi eux possèdent deux entreprises, qui se positionnent dans le même secteur d’activité ou non.

5.3.4.2 Pratique du Guanxi implantée dans la région de Québec

La reprise avec succès ainsi que le développement et l’agrandissement de l’entreprise demandent au repreneur de faire appel à des ressources externes et internes. Cela renvoie aux manières de penser et aux pratiques qu’ont apprises les immigrants dans le pays d’origine et qui s’avèrent, dans la situation migratoire, un savoir potentiellement efficace et pertinent. C’est ainsi que les repreneurs chinois ont implanté à Québec des réseaux traditionnels chinois « Guanxi ». La construction et le maintien du Guanxi permettent aux repreneurs chinois d’avoir le plaisir de socialiser et d’assurer un échange pragmatique, tout en gérant de façon sélective les réseaux d’affaires auxquels ils accordent une importance centrale. La pratique du Guanxi est mise en avant surtout par les repreneurs chinois. H6, repreneur débutant qui n’est pas en mesure d’embaucher d’autres employés et qui travaille seul six jours par semaine dans son épicerie, insiste sur l’importance des liens d’entraide entre propriétaires d’épicerie d’origine chinoise. Quand une certaine marchandise de l’épicerie est vendue et qu’il ne lui en reste plus, ses contacts informels lui permettent d’en recevoir sans sortir de chez lui. En fait, il a établi une collaboration de type Guanxi avec deux autres entrepreneurs et ces trois personnes échangent entre eux des marchandises afin d’avoir toutes les catégories de produits à tout moment. Il indique que son réseau de Guanxi avec les autres propriétaires chinois est à la fois économique et efficace en cas d’urgence.

« Le plus grand défaut d’une épicerie est que, lorsque certains produits sont populaires, ils sont tous vendus, mais le propriétaire ne peut en racheter et en recevoir à temps. Nous, les propriétaires chinois, décidons d’échanger des produits dans ce cas-là. Par exemple, s’il me manque quelques produits, je vais les chercher chez mes amis. S’ils n’ont pas

certains produits, ils viennent les chercher chez moi. C’est une aide réciproque. » (H6)

Dans son quartier résidentiel, H2 échange des cadeaux pour créer des liens d’amitié ; dans le cadre du travail, il partage son passe-temps favori avec des fournisseurs québécois. Il mentionne que sa pratique avec les voisins et les fournisseurs lui permet de s’intégrer vite dans son quartier résidentiel et de recevoir plus de bénéfices commerciaux.

« Mes voisins québécois m’ont beaucoup aidé au moment où je suis arrivé. Pour les remercier, je leur offrais des cadeaux. Quand je leur offrais des poissons pêchés, ils me donnaient des légumes. Je pense qu’aider les autres est une bonne chose. Après avoir repris l’entreprise, j’ai créé mes réseaux d'affaires. Je connais les fournisseurs québécois avec qui on partage les mêmes passions : on pêche et chasse ensemble. J’ai chassé un caribou une fois et je leur ai offert une grande pièce de viande. En échange, ils m’ont offert des produits à bas prix, que les autres propriétaires ne peuvent pas avoir. » (H2)

La confiance mutuelle favorise le bon déroulement des échanges commerciaux. H3 raconte ses démarches entreprises pour créer un réseau de confiance reposant sur le Guanxi et pour maintenir les liens avec son partenaire québécois.

« J’ai un partenaire québécois avec qui j’ai travaillé. Quand notre projet s’est terminé, j’ai gardé mon argent dans son compte au lieu de le retirer. La raison est que cela prouve ma confiance en lui. Bien sûr, je n’ai pas non plus besoin de cette somme d’argent pour l’instant. Voilà qu’il va coopérer encore avec moi malgré son projet de retraite. » (H3)

Que ce soit l’échange de cadeaux, ou de produits, de confiance ou de respect, le Guanxi est revendiqué et implanté dans la société québécoise comme catalyseur qui facilite la création de relations sociales et le bon déroulement entrepreneurial pour les repreneurs immigrants d’origine chinoise. En effet, la construction et la continuation du Guanxi, tout en permettant d’assurer un échange pragmatique et d’avoir le plaisir de socialiser, comme on le constate dans les témoignages ci-dessus mentionnés, répondent à l’intérêt mutuel entre les parties prenantes, qu’elles soient chinoises ou

161

québécoises. L’existence du Guanxi contribue à tisser des liens entre les acteurs de différentes origines ethniques, favorise la compétitivité des repreneurs chinois sur le marché québécois et la réussite de leurs entreprises. En créant des réseaux locaux, cette pratique culturelle implantée au cours du processus d’immigration à la fois assure la reconnaissance de l’individu par ses partenaires et renforce son propre sentiment d’appartenance à la société québécoise.

5.4 Conclusion

Ce chapitre a permis d’illustrer le déploiement des parcours entrepreneuriaux des immigrants chinois en s’attardant à leurs caractéristiques sociodémographiques et à leurs réseaux sociaux. Ce n’est qu’à partir de leur expérience de travail et d’études dans la société d’accueil que les créateurs d’entreprise chinois ont réussi à saisir des occasions d’affaires. Ils réorganisent leurs réseaux en joignant leurs partenaires québécois de façon autonome et volontaire. Ils prennent des initiatives dans leur domaine de spécialité et ils socialisent activement avec leurs partenaires locaux. Souvent, leurs connaissances sur la culture chinoise les aident à cibler des opportunités d’affaires. Leur capacité d’apprentissage et d’adaptation permet à leur entreprise une certaine compétitivité sur le marché non ethnique. On constate aussi qu’il y a des immigrants qui ont trouvé des opportunités de créer une entreprise durant le processus de reprise. Il est intéressant de souligner que la création d’entreprise chez les immigrants met en valeur la culture du pays d’origine ainsi qu’un ensemble d’expériences socioprofessionnelles vécues avant et après la migration.

Il est pertinent d’accorder un intérêt au réseautage des repreneurs. À la phase de mise en œuvre de leur projet d’entrepreneuriat, la majorité de repreneurs bénéficient de l’aide financière de la part des réseaux familiaux transnationaux. Et seulement une repreneuse a eu la chance d’avoir une certaine souplesse dans le remboursement des prêts offert par le cédant. En offrant de l’aide financière, les réseaux transnationaux permettent aux repreneurs immigrants de s’engager dans les projets de reprise qui ne pourraient pas voir le jour en raison de leur absence d’histoire de crédit et de

financement dans la société d’accueil.

Construire des réseaux au sein de la société locale conditionne de manière importante l’intégration économique des entrepreneurs immigrants. En tant qu’approche interpersonnelle, le Guanxi facilite les échanges entre les entrepreneurs chinois et les cédants, mobilise des ressources locales ainsi que des réseaux professionnels, contribue à la réussite de leur projet de reprise dans la société d’accueil. On constate que, au lieu de se plier sur leurs réseaux ethniques, plusieurs repreneurs chinois implantent le Guanxi, comme des savoirs d’action et d’entrepreneuriat. les repreneurs immigrants ont également créé entre eux des réseaux virtuels où l’on s’échange de l’information sur la gestion et sur le transfert d’entreprise et où les nouveaux et les anciens entrepreneurs d’origine chinoise peuvent se communiquer entre eux en mandarin. Définis et élaborés en fonction des besoins réels des cédants et des repreneurs, ces réseaux virtuels sont des outils adaptés à la réalité du secteur commercial, qui permettent de combler d’une façon informelle les besoins d’information, de formation et de diffusion. À l’aide des réseaux virtuels, les immigrants reçoivent du soutien technique et informationnel avec une grande efficacité.

Cependant, plusieurs repreneurs ont mentionné qu’ils avaient des difficultés à créer des réseaux locaux, en raison du manque de temps et de financement. Ces derniers consultent plus leurs réseaux ethniques et leurs réseaux virtuels pour s’entraider et s’accompagner mutuellement. L’absence des contacts locaux pourraient causer des imprévus et des obstacles éventuels qui entravent le développement de leurs projets d’entrepreneuriat.

163

Chapitre 6 Dynamique d’entrepreneuriat chez les immigrants créateurs et

Outline

Documents relatifs