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Chapitre 1 État de la question, problématique et question de recherche 6

1.5 Entrepreneurs immigrants au Canada et au Québec 27

1.5.1 Entrepreneur, réseau familial et réseau ethnique 32

Sans représenter exhaustivement les rapports entre les immigrants et leurs réseaux de nouveau, il convient de mettre en lumière certaines dimensions. On ne peut parler des entrepreneurs ethniques sans mentionner les membres de leurs communautés. Beaucoup d’entrepreneurs ethniques n’ont pas accès aux ressources formelles au moment de se lancer en affaires et ils font appel aux réseaux ethniques pour avoir accès au soutien financier et à la main-d’œuvre à faible coût (Light et Bhachu, 1993 : 31; Robichaud, 2002b : 2). Après avoir réalisé des études spécifiquement sur les entrepreneurs d’origine chinoise qui vivent dans différents quartiers ethniques canadiens, Gabrielle A. Brenner et ses collaborateurs (2000) déclarent que les réseaux familiaux mettent à la disposition des immigrants des avantages compétitifs en matière

d’acquisition du capital, de connaissances nécessaires à la création et à la survie de l’entreprise, de recrutement de la main-d’œuvre et de gestion des relations avec les clients et les fournisseurs. Une autre recherche révèle que les entrepreneurs chinois ont tendance à avoir recours aux ressources monétaires de leur famille et à créer leur entreprise là où leur communauté est dominante (Filion et al., 2007). L’étude sur les entrepreneurs d’origine portugaise à Montréal laisse voir que même pour les immigrants qui décident de s’installer à l’extérieur de l’enclave ethnique, les réseaux familiaux sont cruciaux (Robichaud, 2002b : 5). La mise en commun des ressources familiales et le travail acharné des membres familiaux permettent souvent aux entrepreneurs de réussir à assumer les charges et les responsabilités inhérentes au développement d’une entreprise (Robichaud, 2004; 2002b). À cela s’ajoute la famille élargie, liée par la parenté et les liens claniques. La plupart des immigrants qui arrivent au Canada se sont mariés; ce faisant, l’appui de la part de la famille facilite leur recherche du capital et leur gestion d’entreprises dans la concurrence (Green et al., 2016).

Le marché ethnique est souvent perçu comme le premier marché avant d’élargir la clientèle. Les enclaves ethniques « de grandes dimensions offrent plus de secteurs non traditionnels pour la réussite professionnelle que les régions avec peu de communautés ethniques caractérisées par une inertie commerciale » (Razin, 1999 : 8). Comparés à des entrepreneurs immigrants des régions périphériques qui se regroupent dans les créneaux traditionnels, tels que la restauration et le commerce de détail, et qui ont des perspectives de croissances limitées, ceux qui travaillent dans des enclaves larges ont l’occasion de s’investir dans des niches traditionnelles et dans d’autres activités diversifiées. Autrement dit, un réseau ethnique établi de longue date, possédant une certaine dimension géographique et des interactions entre les individus, favorisera la création d’institutions, la mobilité de l’emploi, renforcera les liens entre les intervenants ethniques ou non ethniques, facilitera l’ascension de membres de la communauté vers les hautes sphères de la société d’accueil et permettra aux entrepreneurs d’avoir accès à des ressources de valeur impossibles à obtenir à l’intérieur du réseau formel d’accueil (Robichaud, 2002b : 2). Dans sa recherche sur les diasporas commerçantes parisiennes, l’ethnologue Anne Raulin (2000) remarque que l’existence des réseaux ethniques des commerçants ethniques favorise non seulement la reconnaissance de leur histoire propre, leur sens du commerce, leur religion, leurs traditions culturelles et leurs activités familiales, mais aussi l’intégration des immigrants dans la société d’accueil. L’exotisme de leurs événements festifs et leurs produits culinaires engendrent

une réponse positive de leur clientèle qui ne se limite pas à leur propre groupe ethnique. Au Québec, le recours aux réseaux de connaissances et particulièrement aux réseaux ethniques constitue la voie d’insertion la plus utilisée chez les Maghrébins ayant connu des difficultés au marché du travail conventionnel. « Les immigrants maghrébins au Québec considèrent les économies ethniques comme une planche de salut, quoique les conditions de travail dans les entreprises ethniques ne soient pas les meilleures et que certains employeurs exploitent des employés compatriotes » (Belhassen-Maalaoui, 2008 : 217). Brahim Allali (2010) constate aussi que chez les immigrants maghrébins au Québec, leur décision de démarrer une entreprise est souvent prise après que leurs compatriotes aient détecté une occasion provenant de leur communauté ethnique. Louis Jacques Filion indique que « contrairement à la séquence de l’entrepreneur classique, qui décide de se lancer en affaires puis crée une entreprise autour d’une occasion d’affaires découverte par la suite, l’évaluation du potentiel d’une occasion d’affaires chez les immigrants précède généralement la décision de se lancer en affaires » (53).

Le réseau social développé par les entrepreneurs immigrants avec les consommateurs ethniques est aussi profitable grâce au partage de la même culture et de la même sensibilité ethnique. Les nouveaux arrivants à la société d’accueil font partie de la clientèle à qui des entrepreneurs offrent des produits et des services reproduisant la vie du pays d’origine (Robichaud, 2002b). Chez les immigrants maghrébins au Québec, « les opportunités au sein de la communauté ethnique telles que servir les compatriotes, satisfaire leur demande de matériels du pays d’origine, influencent souvent leur décision d’établir une entreprise » (Allali, 2010 : 28). En desservant une clientèle ethnique, les actions et les valeurs culturelles des entrepreneurs contribuent directement au développement de la communauté où les commerces, les institutions et les organismes communautaires inhibent leur sentiment de solitude, renforcent leur identification culturelle (Robichaud, 2004; 2002). Les immigrants obtiennent du soutien émotionnel qui leur permet de communiquer avec la société d’accueil et de faire face aux problèmes reliés à l’isolement culturel, socio-économique, psychosocial et politique (Bertot et Jacob, 1991; Robichaud, 1999). Chez les employés ethniques, on constate une relation positive entre l’engagement affectif et des comportements positifs qui dépassent les attentes normatives pour aller jusqu’à l’identification organisationnelle (Chrysostome et Arcand, 2009).

professionnel des individus (Livingston, 2006; O’Donnell et al., 2001). L’accent mis sur les liens forts avec les gens de même ethnie limite la construction et le développement des liens faibles avec les résidents et les institutions à l’extérieur de la communauté. Pour les immigrants, leurs ressources personnelles diminuent au fur et à mesure que leurs réseaux rétrécissent. Une recherche à l’échelle canadienne montre que les immigrants chinois doivent faire plus d’efforts pour s’adapter à l’environnement institutionnel et social et qu’ils sont dans l’obligation de participer activement dans les activités de la société d’accueil (Ramangalahy et al., 2002). La limitation des réseaux sociaux a un impact néfaste surtout sur les femmes immigrantes (Hagan, 1988 : 65). Même si les femmes se sont réintégrées professionnellement au sein de la communauté ethnique à l’aide de réseaux familiaux, il est constaté que beaucoup d’entre elles se bornent aux emplois déclassés qui ne permettent plus d’ascension professionnelle. Cela est dû au fait que les immigrantes manquent de liens horizontaux d’échange et de réciprocité avec les personnes à l’extérieur de la communauté et que les opportunités de travail à l’intérieur des réseaux ethniques sont souvent informelles (Hagan, 1988; Livingston, 2006). En effet, O’Donnell

et al. (2001) notent que les réseaux personnels et interorganisationnels sont deux facteurs

incontournables pour la réussite des entrepreneurs ethniques et qu’il importe pour ces derniers de développer un réseau de relations qui comprend des personnes issues d’horizons sociaux variés. Enfin, l’importance du réseau ethnique est amplifiée par le fait que les entrepreneurs immigrants recourent peu aux associations d’affaires locales et services gouvernementaux (Brenner et al., 2000; Filion et al., 2003 : 10 ; Toulouse et Brenner, 1990; Waldinger et al., 2006). Louis Jacques Filion, Gabrielle A. Brenner, Lionel Dionne et Teresa V. Menzies (2007) conviennent que l’appartenance à différents réseaux engendre plus d’accès aux liens sociaux et aux occasions d’affaires. Ces réseaux sont d’autant plus utiles à l’entrepreneur qui ignore les conditions locales de la société d’accueil et qui désire acquérir de l’information pour repérer des occasions d’affaires.

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