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Chapitre 3 Méthodologie, terrain et analyse 63

3.1 Approche ethnologique et parcours de vie 63

La présente recherche vise à retracer le parcours migratoire des immigrants chinois, à connaître les particularités des travailleurs qualifiés, leur processus d’intégration en emploi ainsi que le changement de leurs réseaux sociaux avant et après l’immigration et l’entrepreneuriat. Pour bien comprendre le déploiement de leur transition et pour démontrer les façons par lesquelles ces personnes vivent la migration, il paraît indispensable de faire appel à une approche descriptive et explicative, qui permet d’identifier des aspects saillants de leur parcours en mouvement et en développement. L’approche qualitative comme méthodologie de recherche est privilégiée. Elle cherche à appréhender de l’intérieur l’expérience des sujets, leur perception et leur conscience individuelle, ainsi que tout ce qui influence leur comportement. Alex Mucchielli (1996) considère que la pertinence originale de cette approche peut être évaluée à trois niveaux du processus de recherche : elle est épistémologique, avec une distance réduite avec le phénomène étudié, elle est souvent en quête du sens des événements; elle est collaborative, proche des gens et des milieux d’études ; elle est inductive, puisque « la compréhension du phénomène à l’étude se dégage progressivement du contact prolongé de la situation et en l’absence du propos normatif ou de grilles opérationnelles » (Mucchielli, 1996 : 159).

L’analyse de Mucchielli (1996) indique que l’approche qualitative permet aux chercheurs de s’approcher des sujets de recherche, de les comprendre en profondeur et ainsi d’obtenir des

données de première main. Cette approche se prête bien à comprendre le déploiement des processus sociaux, à démontrer les façons par lesquelles les personnes et les groupes les vivent et à accéder aux données issues des systèmes vivants. D’ailleurs, cette approche ancrée dans le temps réel et proche du terrain s’assure d’accéder à certains types de données authentiques et réfléchies, notamment « des données descriptives, tirées de la perception et de l’expérience des individus » (Mayer et al., 2000 : 188). Dans cette optique, les émotions, les paroles ainsi que les regards de l’intérieur des immigrants sont pris en considération, les données exhaustives concernant leurs dynamiques migratoires sont assemblées.

La trajectoire des individus est influencée par leur parcours personnel et le contexte social, ainsi que leur propre interprétation des circonstances dans lesquelles ils sont engagés. Il s’agit ici de chercher à comprendre le vécu des individus dans une perspective ethnosociologique, à extraire leurs expériences de vie dans un modèle autobiographique. Sur ce point, Marlène Sapin, Dario Spini et Eric Widmer (2007) proposent un cadre d’analyse du développement personnel — « parcours de vie », il le définit en cinq principes fondamentaux :

1) Tout d’abord [...] seule la perspective à long terme permet de dégager les processus de développement. [...] (L) es gains et les pertes sont insérés dans des processus qui se déroulent de la naissance à la mort.

2) Il importe aussi de tenir compte de l’insertion des vies dans un temps historique et dans un lieu.

3) La temporalité des événements de la vie postule dans les événements de vie des antécédents et des conséquences, des transitions, des modèles de comportement qui varient en fonction de l’âge biologique, psychologique et social.

4) Le principe des vies liées souligne que les trajectoires individuelles se déroulent dans des interactions de personnes proches (parents, conjoints, amis, voisins, collègues). Les influences du contexte historique s’expriment à travers ce réseau de relations partagées.

5) Enfin, l’intentionnalité ou la capacité d’agir exprime la capacité des individus d’être acteur de leur vie, de ne pas subir passivement les influences du contexte social et des contraintes structurelles, mais au contraire, de faire des choix et d’accepter des compromis face aux alternatives qui s’offrent (Sapin et al., 2007 : 33).

La perspective de parcours de vie met en lien les personnes elles-mêmes, le contexte institutionnel dans lequel elles vivent, les réseaux sociaux où se produisent les interactions, leurs expériences personnelles et leur capacité de résilience. « La vie d’un individu, fortement liée aux

besoins et aux décisions de ceux qui les entourent, est marquée par des réarrangements continuels qui créent des ouvertures vers de multiples possibilités. L’individu devient le producteur de son réseau relationnel et bénéficie d’une marge de manœuvre, il fait des choix » (Carpentier et al., 2013 : 282). « D’un côté, un individu interprète les événements de vie en suivant ses propres pensées intrinsèques influencées souvent par des antécédents et des conséquences ; d’un autre côté, la perspective de parcours de vie s’ancre dans les environnements interactifs et contingents » (Carpentier et White, 2013 : 283).

Les démarches de recherche qualitative visent à bien comprendre le déploiement des processus sociaux et à démontrer les façons par lesquelles les personnes et les groupes les vivent. Cette approche s’ajuste bien aux études ethnologiques, dont les sujets de recherche portent sur les êtres humains.

La méthode qualitative vise à comprendre comment les gens construisent et interprètent la situation sociale dans laquelle ils sont engagés, comment cette

compréhension et cette interprétation sont construites à partir des expériences passées et des savoirs acquis, et, comment cette compréhension et cette interprétation

influencent leurs attitudes et leurs comportements dans les interactions présentes et futures (Guilbert, 2007 : 17).

Les ethnologues, qui agissent en tant qu’observateurs, procèdent à des analyses « [...] grounded in a commitment to the first-hand experience and exploration of a particular social or cultural setting on the basis of (though not exclusively by) participant observation » (Atkinson et al., 2001: 4). L’approche qualitative privilégie aussi une logique épistémologique qui sert d’assise méthodologique pour étudier les microsystèmes au sein desquels il existe des facteurs susceptibles d’être reproduits. S’approchant au terrain, cette méthode qui « scrute plus le processus que le résultat » (Guilbert, 2007 : 17) vise à identifier les aspects révélateurs du sujet d’analyse profondément ancrés au terrain. Descriptive et inductive, l’approche ethnologique apporte une certaine souplesse envers les éléments de recherche. En plus d’aider les ethnologues à obtenir des réponses de manière exploratoire, cette approche laisse émerger de nouvelles idées qui, quelquefois, sont au-delà de l’information prévue.

Parcourir le terrain et s’en laisser imprégner permet non seulement d’y trouver des réponses : on se butte aussi à des questions imprévues, qui se révèlent souvent les plus intéressantes du projet. Certains pensent qu’il faut connaître sa destination exacte avant de s’aventurer. Je prétends plutôt le contraire : l’ouverture d’esprit et la

disponibilité stimulent davantage la nouveauté que l’idée fixe. Comme pensait Héraclite, seuls ceux qui espèrent rencontrent l’inespéré. L’ambiguïté n’effraie pas le chercheur qualitatif, mais l’encourage : il y voit la confirmation de la chatoyante réalité (Deslauriers, 1987 : 145).

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