• Aucun résultat trouvé

Le thanatopouvoir pour tous ? : la République à la chasse 1844 et

Populations de grand gibier dans le Grand Parc de Rambouillet (1809-2001)

III- Un biopouvoir cynégétique : du gouvernement à la gestion du vivant

2- Le thanatopouvoir pour tous ? : la République à la chasse 1844 et

1844 est une année considérable dans l’évolution du gouvernement cynégétique. La loi du 3 mai 1844 instaure le permis de chasse qui permet d’exercer le droit de mort sur les animaux. Sans forcément ouvrir la chasse à tous, elle supprime les restrictions de classe sociales ou d’ordre politique. Il faut être propriétaire ou locataire, détenir le permis, qui coûte 25 francs et le sujet doit être jugé apte par les autorités municipales et préfectorales pour chasser488. Un

élément de cette loi est central pour ce nouveau thanatopouvoir partagé : « le propriétaire ou possesseur peut chasser ou faire chasser en tout temps, sans permis de chasse, dans ses possessions attenantes à une habitation et entourées d’une clôture continue faisant obstacle à toute communication avec les héritages voisins ». Cela facilite le thanatopouvoir des

possesseurs de parcs murés par exemple, aux premiers desquels les fils du roi Louis- Philippe qui chassent dans les domaines royaux. « La loi de 1844 répond donc bien aux inquiétudes de l’époque : la protection des récoltes, la sécurité publique et la sauvegarde du gibier par une lutte accrue contre le braconnage489 ». Le temps de la chasse est également

structuré : la saison de chasse commence à l’automne et se termine à la fin de l’hiver. Le Second Empire est une période de transition à la fois pour la France mais également pour Rambouillet. Le 23 juillet 1863, le pays est séparé en trois zones : Nord, Centre, Midi qui fixent les dates d’ouverture et de fermeture. Donner la mort est à la fois une responsabilité, un pouvoir et une forme de souveraineté. C’est pour cette raison que les princes se sont arrogés la violence entre le XVIe et le XXe siècle : désarmement, interdiction totale ou partielle de la chasse, pacification

culturelle et pédagogique, criminalisation juridique et morale de la violence et de la mort. Il faut noter que le gouvernement absolu et pastoral refuse le droit de chasse au peuple, seuls le roi et les nobles y ont le droit. Déléguer le pouvoir de donner la mort est un grand changement. A partir de 1844 le peuple propriétaire commence à capter le droit de chasse, ce qui lui ouvre également le gouvernement cynégétique. Le souverain et l’État y perdent de leur souveraineté. Le propriétaire chasseur se fait maître chez lui, plus qu’un propriétaire non-chasseur puisqu’il a droit de vie et de mort sur son domaine. Le droit de chasser est un thanatopouvoir : celui de donner la mort à certains animaux.

Il faut attendre 1870 pour que la chasse commence à s’ouvrir aux non-princes à Rambouillet. L’ouverture est très progressive et très relative à Rambouillet, qui reste une chasse de Grands. En 1867, Napoléon III autorise l’équipage du Comte de La Rochefoucauld et du Duc de Luynes à suivre les cerfs levés sur les terres du duc à Dampierre et allant en forêt impériale de Rambouillet. La mort des deux maîtres d’équipage dans le cours de l‘année 1870 marque la fin de l’équipage. La seconde date à mentionner est celle de 1872, où la forêt du domaine de Rambouillet devient forêt domaniale. Pêche et chasse sont soumises à adjudications. Mais Rambouillet sur l’ensemble du XIXe siècle est une chasse de hautes

personnalités. Une première location avant l’heure permet de le confirmer. Entre 1832 et 1853, la forêt et le domaine sont loués490. Toutefois la situation sociale et politique de ces locataires

empêche d’avancer la césure : il s’agit d’aristocrates qui ne correspondent pas à cette proposition d’ouverture relative de la forêt de Rambouillet. Chassent à Rambouillet le baron

489 Ibid., p. 24.

490 EGLEMME Albanne, L’État en location : la location privée d’un château délaissé. Le domaine national de

Rambouillet entre 1832 et 1852, Mémoire 1 d’histoire, sous la direction d’Éric Mension-Rigau, Université Paris-

Schikler, le duc de Plaisance, le comte Duchâtel, le comte de La Rochefoucauld, et le cercle de la Rue Royale. En 1867, c’est toujours le cas avec l’équipage La Rochefoucauld-De Luynes. Et Rambouillet reste un lieu de prestige pour la chasse. Les mots de Christian Estève sont faits pour Rambouillet : « Dans les grandes forêts louées, il s’agissait au début d’individus et non d’associations telles qu’on les connaît aujourd’hui. Le nombre des locataires était donc réduit. Et, parmi ceux-là, force est de constater la domination des particules !491 ». Et dès 1871, c’est

l’équipage du duc d’Uzès qui prend le relai du précédent. Fort connu, ce nouvel équipage n’est autre que le Rallye Bonnelles. En 1878, à la mort de son mari, une Diane prend les rênes de l’équipage : la duchesse d’Uzès et ce jusqu’en 1933. La duchesse Anne de Rochechouart de Mortemart duchesse d’Uzès détient le plus long règne en tant que maître d’équipage du Rallye Bonnelles, soient 55 ans. Au fur et à mesure, les chasseurs à tir entrent dans la forêt et en loue la chasse, non sans quelques contestations. Christian Estève évoque qu’au début de la Troisième République les lapins font rage en forêt de Rambouillet. Marcel Habert et Gauthier de Clagny adressent une plainte au ministre de l’Agriculture ce qui permet de réduire les baux de neuf à cinq ans et les lots sont réduits de 497 à 298 hectares492. De plus, la chasse du sanglier à tir y

est autorisée et le nombre de fusils admis est triplé. Puis à partir de 1899, la forêt s’ouvre également aux non-chasseurs, date à laquelle « l’administration des eaux et forêts fit valoir de la sorte qu’autour de la capitale, « tout promeneur, même accompagné d’un chien non tenu en laisse, aura le droit de pénétrer dans les taillis, à la condition de ne pas y commettre de dégâts ni d’action de chasse493 ».

Rambouillet reste aujourd’hui encore une forêt réservée aux chasseurs fortunés. Aucune étude ne permet malheureusement d’être plus précis sur l’ouverture de la forêt mais les échanges lors des enquêtes de terrain ont permis de saisir que la forêt est fragmentée entre plusieurs adjudicataires. Le privilège est donné au Rallye Bonnelles qui peut chasser sur l’ensemble du massif ouest, c’est-à-dire la forêt dite de Saint-Léger. L’apparition de propriétés de chasse à l’est et la fragmentation due à la route nationale 10 y bloquent les circulations des veneurs.

Les présidents de 1880 à 1981 restent maître chez eux dans le domaine de Rambouillet qui se resserre au Grand Parc et au Petit Parc. Puis après 1918 au seul Grand Parc, renommé également Parc des Chasses Présidentielles. Certains présidents ont toujours ce goût pour la

491 ESTEVE Christian, « La location du droit de chasse en forêt domaniale au XIXe siècle », Forêt et chasse. Xe-

XXe siècle, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 294.

492 Ibid., p. 294-295. 493 Ibid., p. 295.

vénerie et vont assister aux laisser courre en forêt domaniale avec la duchesse d’Uzès et le Rallye Bonnelles : Félix Faure ou Vincent Auriol entre autres. Les présidents de la République ne deviennent à Rambouillet que des propriétaires chasseurs par exemple. Cette ouverture progressive du droit de chasse transforme la souveraineté et le gouvernement de l’État sur ses terres. Ce bouleversement cynégétique fait évoluer le monde de la chasse et se corrèle à un processus conjoint : l’émergence d’autres gouvernements de la faune. Des découvertes scientifiques, populaires et de nouvelles mentalités sur la faune en France et dans les colonies commencent à transformer le regard sur les animaux : histoire naturelle, écologie et biologie, préoccupations environnementales mènent à la troisième phase du biopouvoir.

Outline

Documents relatifs