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Les carrefours et la mise en scène d’un spectacle théâtral et cynégétique

La République reine d’un Petit Rambouillet (1870-1995)

II- Un mode de gouvernement : le parc de chasse

2- Les carrefours et la mise en scène d’un spectacle théâtral et cynégétique

Chaque route porte son propre nom, relatif à son histoire et sa localisation. Cela peut être tout simplement les directions qu’elle dessert : route des Deux-Châteaux ou route de l’Étang d’Or. Mais également aux usages : routes aux vaches (Saint-Léger la Forêt), aux personnages du domaine : route du Grand Veneur pour le comte de Toulouse, route Ducambard, officier des chasses du duc de Penthièvre. Cette toponymie croisée à celle des carrefours permet de suivre le parcours historique et environnemental de la forêt. Les toponymes inscrivent le nom des personnages, des animaux, des lieux, des usages ou même d’évènements dans le paysage et la cartographie.

2- Les carrefours et la mise en scène d’un spectacle théâtral et

cynégétique

Si les routes de chasse facilitent et organisent les circulations domaniales, les carrefours de chasse ne se résument pas à un usage pratique par les chasseurs. Le carrefour de chasse porte plusieurs noms selon la période, le lieu et la forme qu’il adopte : carrefours, étoiles, croix, rond. Ils sont un lieu central dans la pratique de la chasse à courre. Lieu de rendez-vous, de vision de la chasse, ils entrent dans une véritable mise en scène des spectacles cynégétiques curiaux. L’usage du rendez-vous au rond s’est également transmis dans les pratiques de chasse à tir. Sous la Restauration, le comte d’Artois puis sous le nom de Charles X donne toujours le même rendez-vous au Rond de la Chasseuse, en suivant cette pratique du rendez-vous de vénerie.

La mise en scène peut être abordée dans une optique large. Car les croix placées à Rambouillet incarnent la présence princière. Il s’agit d’un assemblage de bois en forme de croix, parfois une croix christique, mais il faut plutôt s’imaginer un pilier de bois en haut duquel on dispose une croix formée des panneaux indiquant le nom des routes ou du carrefour. Le comte de Toulouse fait dresser des croix peintes en rouge avec le nom du carrefour en bleu203.

Louis XVI fait nommer la plupart des carrefours. Les croix sont également peintes en rouge

avec des plaques bleus. Napoléon Ier fait poser en 1808 quatre-vingt-dix-sept poteaux de

carrefours204. La croix du Grand Veneur, nom donné en l’honneur d’Hercule et Louis de Rohan,

Grands Veneurs de France au XVIIe siècle est rétablie en 1813, en gris bleu, à lettre d’or sur

fond noir205. Exceptionnellement, les croix peuvent même être maçonnées. Charles X fait ainsi

édifier à la Croix Vilpert une croix en pierres maçonnées en 1827206.

Les carrefours ne possèdent pas tous le même usage et doivent être reliés aux routes qu’ils desservent. Les carrefours en damier structurent l’espace par des enceintes en quadrilatères. Composés de carrés réguliers comme dans le bois des Yvelines à l’Est de Rambouillet ou dans le Petit Parc ils témoignent également de l’usage sylvicole du bois. Le bois des Yvelines à l’est de Rambouillet est partagé entre différents propriétaires du XVIIIe au XXe siècle. Cela explique

la différence des tracés routiers en forêt. Le comte de Toulouse ne peut procéder comme à l’ouest du massif et doit demander l’autorisation du duc d’Uzès et de Rohan pour aménager la forêt. Ceux-ci autorisent l’implantation des routes sur leurs terres aux frais du comte. Le tracé est donc relativement simple et n’épouse pas la forme stellaire spécifique à l’aménagement cynégétique. La forêt de vénerie se distingue par des aménagements en étoiles. Le carrefour cynégétique comporte donc normalement plus de quatre branches (le carrefour sylvicole en damier est composé de deux axes). Le minimum est de cinq branches, soit trois routes forestières venant se croiser. Elles produisent une figure géométrique en forme d’étoile d’où son nom d’étoile de chasse207. Le terme apparaît au cours du XVIIe siècle. Une étoile parfaite

doit être composée d’un nombre pair de branches : six, huit, dix voire douze. Plus l’espace est grand plus l’étoile pourra comprendre de branches. A Rambouillet le nombre maximal est de huit branches au centre de l’étoile, au carrefour de Pecqueuse et de neuf au carrefour des Barrillets. A Fontainebleau, une étoile de dix branches forme le carrefour des Grands Feuillards (Ouest de Fontainebleau). A Compiègne, les grandes étoiles sont plus nombreuses, l’une d’elles le carrefour du Puits d’Antin comprend onze branches. Le nombre de branches peut être attesté par la toponymie puisque le carrefour des Grands Feuillards, composé de dix branches fait apparaître le terme de décagone dans la toponymie. Le nombre de bornes placées en guise de seuil ou de portail aux bords des chemins peut aussi affecter la toponymie : le carrefour des dix

204 Ibid., p. 44. 205 Ibid., p. 56.

206 CHAPERON André, op. cit., p. 95. Et voir Annexes.

bornes. Le carrefour de la Chasseuse à Rambouillet est ainsi doté de huit bornes, qui devait monter à dix avant la disparition d’une des routes du rond208.

D’autres formes de paysages cynégétiques sont produites par l’aménagement appelé patte d’oie. Il s’agit d’une place rectangulaire sur laquelle se rejoignent trois axes209. A Rambouillet,

il existe deux pattes d’oie. La première qui porte ce nom se trouve dans le Grand Parc et constituait la voie d’accès des chasseurs dans le parc. Bâtie par Fleuriau d’Armenonville entre 1699 et 1706 elle est entretenue par les différents propriétaires. Elle offre une vue et une voie directe entre le château et le parc avant que la création du jardin du président et la destruction du pont, ne viennent annuler la perspective qui organisait tout le parc selon un axe nord-ouest, sud-est : Rondeau, jardins français, château, Fer à cheval, Patte d’Oie, Route de Poigny. Le pont des canaux s’est notamment écroulé au passage de Napoléon Ier le 12 août 1811210. La

deuxième patte d’oie qui n’est pas inscrite dans la toponymie est créée par le comte de Toulouse sur les canaux de Rambouillet. La place centrale est constituée par le jardin entre les canaux et le château et trois branches aquatiques viennent constituer une patte d’oie. Ce paysage atteste de l’influence de la chasse dans la composition et l’organisation du parc de Rambouillet.

Ces étoiles et ces paysages divisent et organisent l’espace en triangles. Il ne s’agit pas simplement d’organiser géométriquement la forêt ou la nature. Comme l’explique Jérôme Buridant « la structure stellaire, alliée à un parcellaire triangulaire, permet alors d’optimiser la gestion de l’espace, deux observateurs seulement pouvant cerner un triage dans son entier211 ».

« Les principaux carrefours permettent d’abord d’observer la traversée du gibier afin de lancer au bon moment les relais212» Le but est aussi de faciliter la circulation des voitures, des

carrosses et des personnes qui suivent ou participent à la chasse à courre. Et l’ouverture de larges perspectives dans la forêt permet de garantir aux participants une vision permanente du laisser-courre. Placé au centre de l’étoile de chasse, le veneur ou le spectateur peut suivre le cerf ou l’animal traqué, qui se déplace dans les différentes enceintes boisées, suivi de la meute puis des veneurs. Cri, sons, courses animales et humaines animent l’espace forestier dans un grand spectacle cynégétique qui met en scène tous les acteurs de la chasse.

Le rond est aussi le lieu du rendez-vous, c’est à dire le lieu de début et de fin de la chasse. Dans le Traité de Vénerie de d’Yauville et dans le Livre des Chasses de Louis XVI

208 Visite de terrain du 03/05/2019.

209 BURIDANT Jérôme, « La forêt et la chasse au XVIe siècle », Les chasses princières dans l’Europe de la

Renaissance, Paris, Actes Sud, 2007, p. 161.

210 « AN O3 1209, d. 1 lettre de Famin à Costaz, Versailles, 14 août 1811 », VIAL Charles-Eloi, op. cit., p. 47. 211 Ibid., p. 163.

apparaissent l’ensemble des rendez-vous et des relais de la forêt de Rambouillet qui servent à la vénerie de 1783 à 1870213. Ces rendez-vous sont appelés dans le deux documents les

assemblées, ce qui atteste du caractère public et du nombre d’invités qui peut parfois être grand

pour cette cérémonie cynégétique. Au rond ou au rendez-vous, se réunissent les veneurs pour le rapport au début de la chasse. Le matin de la chasse mais pas trop tôt dit d’Yauville, les valets de limiers sont chargés d’aller au bois. Le veneur commence alors sa quête : la recherche d’un animal. Suite à sa quête le veneur retourne sur le rond faire son rapport au premier ou Grand Veneur qui fait à son tour le rapport au roi. Plusieurs valets sont envoyés dans les bois pour sélectionner l’animal du jour. Le carrefour est un lieu tactique de la chasse, un centre de décision et un point de repère pour les veneurs. A différents carrefours sont organisés les relais. Choisis en fonction du rendez-vous matinal, il s’agit de placer les meutes de chiens au bon endroit pour prendre le relai une fois la première meute fatiguée ou distancée. Le carrefour peut aussi être le lieu de la fin de chasse en cas de curée chaude. Si l’animal forcé est donné aux chiens en pleine forêt, la curée, le repas des chiens est donné en public autour du rond, ce qui constitue l’acte de fin de chasse et de cérémonie. En cas de curée froide, l’animal est emmené jusqu’au château. La forêt de Rambouillet accueille également une Table du Roi au carrefour de la Rotonde. Les autres domaines royaux sont dotés de ces tables, il s’agit d’une table circulaire avec des bancs, les plus luxueuses sont en marbre et sert aux haltes du roi en forêt. Cette halte forestière permet de prendre un moment de repos ou une collation. La toponymie rambolitaine informe également que ce carrefour était doté du temps de Louis XV d’une rotonde qui accueillait les dames de la cour pendant les chasses royales autour de sa résidence de Saint-Hubert.

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