• Aucun résultat trouvé

Chapitre III : Aménager et bâtir les Chasses

II- Les milieux cynégétiques

3- Les Eaux des chasses

L’eau à Rambouillet est liée aux animaux et à la chasse. Essentielle à la vie des animaux et des végétaux l’eau est aussi celle des chasseurs. Mares, étangs, flaques, boues, marais, petits cours d’eaux parcourent le domaine. Aucune voie fluviale ou navigable ne vient aider l’essor de la sylviculture. En revanche cette eau diffuse, toujours proche est parfaitement adaptée à la pratique de la chasse. Les points d’eaux nombreux, l’humidité de la forêt et du sol permettent au gibier de s’épanouir. Le sanglier et les cervidés apprécient les boues et les eaux pour se rafraîchir ou se nettoyer de leurs parasites. Le gibier d’eau lui vit des étangs et des marais qui constituent son biotope, son lieu de vie et donc son lieu de chasse. Rambouillet par ses eaux est fait pour les animaux autant que pour les hommes. Distinguons les deux modes d’usages cynégétiques de l’eau à Rambouillet. D’une part les eaux de vénerie, de l’autre les eaux des chasses à tir.

L’eau à l’état naturel ou faiblement transformée est essentielle aux animaux et donc à la chasse à courre des grands animaux. L’eau aménagée sous la forme des étangs est ensuite le cadre de deux grandes pratiques cynégétiques : la vénerie du cerf et la fauconnerie. Nombreuses sont les représentations de la dernière ruse du cerf dans l’eau. Appelé le bat-l’eau par les veneurs cette scène est un grand moment dans la cérémonie du laisser-courre. C’est un véritable spectacle aquatique, cynégétique et forestier. Aménager de grandes étendues d’eaux permet aux veneurs et aux spectateurs d’assister à ce grand spectacle où le cerf emmène ou est emmené par la meute dans l’eau. Utilisé par le cerf pour briser la piste odorante qu’il laisse autant que pour se refroidir, le passage dans l’eau peut constituer sa voie de sortie aussi bien que sa fin. S’il

297 VIAL Charles-Eloi, op. cit., p. 11.

298 MOLLIER Jean-Yves, REID Martine et YON Jean-Claude (dir.), Repenser la Restauration, Paris, Nouveau Monde éditions, 2005.

299 BOURRIEAU Paul, Le Monde de la chasse, Chasser en Anjou au XXe sièlce, op. cit. ; VIAL Charles-Eloi,

Le Grand veneur de Napoléon Ier à Charles X, op. cit. ; PÉOC’H Géraldine, « Les tirés de Napoléon III », art. cit. ; ESTÈVE Christian, « Le droit de chasse en France de 1789 à 1914 », Histoire & sociétés rurales, n°1,

traverse assez vite il peut distancer chiens, chevaux et veneurs, trop lent le cerf se fait prendre. Le récit de la chasse du 3 novembre 1771 met en scène un spectacle incroyable : depuis les terrasses du château de Saint-Hubert la cour de Louis XV assiste à un triple hallali. L’eau sert à mettre en scène le pouvoir royal sur les hommes, les éléments et les animaux de la forêt.

La chasse du gibier d’eau attire également les chasseurs à Rambouillet. Louis XVI chasse à tir au bord de l’étang du Moulinet le 24 août 1786. Les quatre-vingt-treize pièces qu’il y chasse sont probablement composée de gibier d’eau. Charles X, en digne successeur de son frère a même un projet monumental pour les étangs de Hollande. Celui d’un tiré d’eau. Documenté par un plan conservé à la bibliothèque municipale de Versailles il atteste de la folie des grandeurs cynégétique des princes. Daté e 1829, le plan figure le projet de création d’un layon central qui traverse les étangs depuis la digue de retenue des eaux sur les étangs de Saint- Hubert et de Pourras300. La révolution de 1830 empêche la réalisation du projet. La menée de

ce projet aurait probablement pu sauver le baron de Lage d’une déconfiture cuisante quelques années plus tard. « Mais de tout ce qui a été fait de plus curieux pour enrichir les chasses impériales et y apporter de la variété, c’est assurément le tiré de canards sur les étangs de Rambouillet, imaginé par le baron de Lage avec cet esprit d’initiative, cet amour de la chasse que nous lui connaissons301 ». Sur les bords des étangs de Hollande dans la fin des années 1850,

le baron de Lage fait placer par Adolphe de La Rüe deux cent canards de la Somme et un garde, nommé Dissous pour une chasse du gibier d’eau. L’élevage est une réussite : «la ponte et les éclosions réussirent parfaitement ; cinq à six cent canards se promenaient, prenaient leurs ébats, sur l’étang, venant tous les jours à l’agrainage au cri de celui qui les avait élevés ». Le jour de chasse fixé : le 3 août 1860, des bateaux sont transportés sur les étangs et attendent les invités de l’Empereur :

Sa Majesté fixa le jour de la chasse. L’Empereur et ses invités montèrent dans des bateaux rangés en ligne, comme pour une battue ; le bateau impérial était au centre. Toute la flottille s’avança en bon ordre sur les canards qui se laissèrent approcher, ne paraissant pas vouloir s’envoler. M. de Lage pria l’Empereur de tirer dessus. Toute la bande, une véritable nuée, s’enleva avec un étourdissant bruit d’ailes ; les tireurs de tous les bateaux firent feu en même temps de leurs deux coups, sans viser, tirant dans le tas, comme on dit. Une trentaine [33 exactement] de ces innocents oiseaux tombèrent en tournoyant ; les blessés se débattaient dans l’eau. Le gros des canards se reposèrent à cent pas des chasseurs ; à leur approche, ils se divisèrent en plusieurs bandes pour passer entre les bateaux et s’en allèrent en nageant à la rive où Dissous avait l’habitude de leur donner à manger. Le four était

300 BM Versailles, Atlas 9, fol. 19, “Projet d’un tiré d’eau dans les étangs de Saint-Hubert pour les chasses du roi », 1829, plume, encre, lavis, 120 x 50 cm, accompagné d’un rapport de Girardin au roi, Paris, 23 mai 1830. Et VIAL Charles-Eloi, Le grand veneur, op. cit., p. 318-321.

complet. L’Empereur tordit sa moustache et dit en souriant, à M. de Lage, qu’il fallait compléter l’éducation des canards et leur apprendre à mieux voler. 302

Et pourtant le four avait été prévu par le garde Dissous « qui lui avait dit [au baron], plusieurs jours avant la chasse, qu’il faudrait absolument effrayer les canards, les rendre fuyards devant les bateaux en leur tirant des coups de fusil à poudre303 » c’est-à-dire sans munitions.

Cette chasse constitue le dernier projet réalisé autour des étangs de Hollande par un souverain français ou ses officiers. Les étangs de Hollande ont connu de nombreux aménagement royaux et impériaux : en 1685, Vauban et Louis XIV les font aménager pour les eaux de Versailles, Louis XV y fait bâtir le château de Saint-Hubert, inauguré en 1757, en 1809 Napoléon Ier s’y

installe avec le pavillon de Pourras. Puis Charles X et Napoléon III y viennent chasser. Oublié entre eaux et forêts, les étangs de Hollande sont l’un des rares patrimoine naturel avoir connu un tel investissement. Ils formaient un véritable paysage dynastique et un lieu familier des souverains au moins pour Louis XV, Louis XVI, Napoléon Ier et Charles X. Ainsi que le

souligne Léon Bertrand dans le Journal des Chasseurs en 1840-1841 : « les étangs de Saint- Hubert et de Hollande, ces magnifiques pièces d’eau, témoins de tant de hallali fameux, virent de nouveau se précipiter sur leurs rives tout ce torrent bondissant d’hommes, de chiens et de chevaux304 ».

Les monarchies et les empires n’ont pas réussi à établir une chasse du gibier d’eau à Rambouillet. Là où ils ont échoué, la république s’illustre. Il n’est plus question de tiré d’eau mais de passée aux canards. Elle est pratiquée à Rambouillet sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing jusqu’en 1995. Il s’agit également d’un véritable spectacle de chasse. Il faut attendre la fin des chasses présidentielles pour en avoir un récit :

En préambule à cette chasse, j’ai découvert la technique de l’élevage de canards pour réussir une « passée » à coup sûr. Vous prenez des canetons de quelques semaines. Vous les installez sur un étang dans une volière où vous venez les nourrir deux fois par jour au son d’une petite trompe de chasse. Quand ils commencent à voler, vous déplacez l’endroit où vous les nourrissez au son de la trompe, progressivement de quelques dizaines puis de quelques centaines de mètres jusqu’à les emmener à une grande volière située à un endroit stratégique à partir duquel les canards vont prendre l’habitude de retourner, en volant, vers leur étang habituel. Une bonne éducation au vol est importante et c’est tout l’art de l’agent chargé de cette tâche. Les canards sont ainsi dressés en utilisant le réflexe de Pavlov. Le jour de la chasse, vous fermez la volière après le nourrissage et vous ne l’ouvrez que lorsque les chasseurs sont en place à proximité de l’étang. Les canards, sont à leur habitude, s’envolent vers l’étang. Accueillis par des coups de fusil, les canards qui ont

302 Ibid., p. 196-197. 303 Ibid., p. 197.

304 BERTRAND léon, « Société des Chasses de Rambouillet », Journal des Chasseurs. Sporting magazine

la chance d’échapper, se mettent à tourner au-dessus de l’étang car ils veulent coûte que coûte venir se poser sur le plan d’eau qui est leur point de ralliement. […] C’est ainsi que va se dérouler cette première chasse présidentielle du septennat de François Mitterrand avec des canards élevés pour Valéry Giscard d’Estaing : un bel exemple de continuité de la fonction publique !305

Cette chasse est un spectacle animal et cynégétique et une vraie mise en scène pour les invités. Les chasses ont lieu à la passée c’est-à-dire à la tombée de la nuit et au lever du jour. C’est ce qui se passe naturellement sur un étang, les oiseaux décollent ou amerrissent à ces deux moments de la journée. A Rambouillet l’idée est de mettre en scène un « spectacle de la nature 306» en encourageant l’arrivée des canards par un lâcher d’élevage. A la place de

quelques canards, c’est une nuée qui vient tourner autour des étangs où sont postés les invités. Le tableau s’en ressent : les 7 et 8 août 1981 pour l’ouverture du septennat de François Mitterrand deux cent vingt-huit canards garnissent le tableau307.

305 WIDMER Jean-Paul, Dernières chasses présidentielles, op. cit., p. 19-20. 306 L’expression est reprise de SALVADORI Philippe, op. cit., p. 144. 307 ADR, 1er septennat 1/ 2.

Outline

Documents relatifs