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Rambouillet, un domaine de l’exception : le droit et la lo

Chapitre I : Acquérir et parquer

1- Rambouillet, un domaine de l’exception : le droit et la lo

Rambouillet est le royaume de l’exception. Et ce, à plus d’un titre. D’abord, le statut juridique propre de Rambouillet fait de ce domaine une exception. Les terres domaniales et royales sont elles-mêmes des exceptions vis à vis des terres environnantes : la terre du roi, de l’empereur ou du président est marquée du sceau de l’exception. La propriété de la terre peut être considérée comme un royaume à elle seule : le chasseur est maître sur ses terres jusqu’à un

82 ESTÈVE Christian, « Le droit de chasse en France de 1789 à 1914 », Histoire & sociétés rurales, n°1, 2004 ; BOURRIEAU Paul, Le Monde de la chasse, op. cit., « Chapitre I. Le chasseur maître chez lui ? », p. 19-52.

certain point. Le temps long permet de suivre cet effacement du chef de l’État face à la loi, toutefois, il reste maître chez lui et peut se permettre des facilités et des aménagements.

En 1783, Rambouillet ne dépend pas de la Couronne, ni de la Monarchie ou de l’État. Louis XVI crée à Rambouillet un statut exceptionnel pour son domaine de chasse. Il fait de Rambouillet un domaine privé du roi, gouverné par le Comte d’Angiviller (1730-1810), qui est également Directeur général des Bâtiments, Arts, Jardins et Manufactures de France depuis 177483. Le gouvernement du domaine est donc assez similaire à celui des autres domaines mais

il n’entre pas dans la norme royale de la fin du XVIIIe siècle. Il est soumis à un gouvernement

propre tant au niveau des Bâtiments que de la Chasse. Rambouillet n’est pas une capitainerie des chasses toutefois le comte d’Angerviller est Capitaine des chasses selon une tradition locale. Les Bourbon-Penthièvre ont également un gouverneur du château et un capitaine des chasses. Les règlements tels qu’ils sont reflétés dans les travaux de Jean Duma apparaissent comme très proche d’une capitainerie des chasses : exclusivité de la propriété et de la chasse, dégâts et débordements de gibier, personnel de gardes des Eaux et Forêts.

Trouvant le statut non conforme, la Révolution légifère en 1791 et surtout en 179384. Réuni

à la Liste Civile du roi en 1791, Rambouillet ne peut être selon le gouvernement révolutionnaire un domaine privé, il doit appartenir à la Couronne c’est-à-dire au patrimoine foncier du roi, de la monarchie française et indirectement de l’État. La suppression de la monarchie constitutionnelle en 1792, puis l’exécution du roi mènent le gouvernement révolutionnaire à faire de Rambouillet un bien de l’État sous la dénomination de Bien National à partir de 1793.

Rambouillet est soumis à un régime exceptionnel de la propriété. La propriété fait du chasseur un maître absolu sur ses terres sous l’Ancien Régime, il ne dépend que du roi. Or à Rambouillet, c’est le roi lui-même qui est propriétaire et il ne dépend plus que de Dieu, étant absolu des lois des hommes. Il peut chasser quand il veut autant qu’il veut sur son domaine. L’érection de parcs est aussi à voir comme une exception juridique qui est confirmée entre le XIXe siècle et le XXe siècle : les propriétaires d’un espace clos par des murs ou un grillage sont

exemptés du permis de chasse selon la loi du 8 mai 184485. Détenir un enclos ou un parc permet

de pouvoir gérer différemment son gibier, la loi y est plus souple, car l’espace étant clos, le gibier ne peut plus circuler et devient res propria, la propriété du propriétaire foncier. A partir de 1844, le chasseur doit posséder un permis de chasse. Il n’a pas été possible de vérifier si

83 BAUDEZ Basile, « Le comte d’Angiviller, directeur de travaux : Le cas de Rambouillet », Livraisons de

l'histoire de l'architecture, n°26, 2013.

84 LORIN Félix, op. cit., p. 268. 85 BOURRIEAU Paul, op. cit., p. 22-23.

Napoléon Ier était possesseur du permis de port d’armes comme l’exigent les lois de 1810 et

1812 et si Napoléon III détient un permis de chasse lors de ses venues à Rambouillet86. En

revanche, les Présidents de la Ve République, représentés par le responsable des chasses

présidentielles, veillent à ce que leurs invités aient bien un permis de chasser en règle pour le département des Yvelines87. « Les chasses présidentielles de Rambouillet » insistent sur le

cadre légal de leurs pratiques : « les Présidents et leurs invités ont toujours strictement respecté les dates légales d’ouverture et de fermeture. Le permis de chasser y est même obligatoire » dit le chef du secteur des chasses. Et « c’est ainsi qu’au mois d’août dernier, lors de la première chasse au canard du septennat [1981], tous les invités présents durent acquitter le montant du timbre spécial gibier d’eau88 ». Les invitations stipulent la détention obligatoire du permis pour

participer aux chasses sous les mandats de François Mitterrand (1981-1995). Mais les ambassadeurs étrangers de passage peuvent se voir assister dans leurs démarches par la présidence89. Le domaine de Rambouillet se régule avec le temps et épouse les règles et les lois

nationales sur la chasse et le port d’arme.

Toutefois, Rambouillet reste et doit rester une exception cynégétique à tous les points de vue. Cet aménagement de la chasse à Rambouillet s’est fait dans le cadre légal à la fin du XXe

siècle, mais non sans heurt. Le premier élément qui doit être respecté dans le régime démocratique de la chasse c’est le calendrier de la saison de chasse. Ces dates d’ouverture et de fermeture de la chasse provoquent une « Vive émotion dans les Yvelines » titre le Confidentiel

Mardi Matin du 23 février 1982. Le jeudi 11 février 1982 des tirs de fusils ont attiré l’attention

sur le domaine présidentiel. « Or la date légale de fermeture de la chasse au faisan dans les Yvelines était le 10 janvier. C’est la 1ère fois depuis la guerre que les règles et toutes les

traditions sont ainsi transgressées pour les invités du Chef de l’État. De très nombreuses plaintes ont été enregistrées à l’Élysée. Et l’affaire fait grand bruit dans la région90 ». Une note sur

l’exemplaire des archives du domaine dément ces affirmations et signale que les chasses au domaine sont effectuées dans le cadre de la réglementation en vigueur et qu’il s’agissait peut- être d’une chasse au renard91. La documentation consultée ne permet pas d’en savoir plus, les

cartons de chasse ne mentionnent pas cette date92. Mais le domaine accueille des chasseurs sans

86 BOURRIEAU Paul, op. cit., p. 20-21 sur les lois cynégétiques de 1790, 1810, 1812. 87 ADR, chasses présidentielles.

88 ADR, chasses présidentielles (avant 1995) : « Les chasses présidentielles de Rambouillet », p. 2. 89 ADR, 1er septennat 2/ 2 : 1987, Documents de demande de licence de chasse pour 48h pour les invités étrangers ambassadeurs de Grèce et l’ambassadeur d’Islande.

90 Confidentiel Mardi Matin, « Vive émotion dans les Yvelines », 23 févr. 1982, p. 7. 91 Le nombre de coups de feu a probablement alerté les voisins du parc.

forcément noter leurs venues : chasse à l’approche et à l’affûts sont rarement notées ou conservées. Suite à de tels événements, le domaine garantie son droit cynégétique en aménagement son propre calendrier. Le domaine de Rambouillet est doté d’un aménagement légal de son calendrier pour pratiquer la chasse à partir du deuxième septennat de François Mitterrand. En mai 1995, Jean-Paul Widmer explique l’exception législative rambolitaine :

Les chasses ont lieu pendant la période d’ouverture de la chasse, à partir du 15 octobre environ. Dans les Yvelines, la chasse au faisan bénéficie d’une fermeture anticipée début janvier. Compte-tenu de la spécificité des techniques employées aux Chasses présidentielles, un arrêté préfectoral a reporté la date de fermeture du faisan et du perdreau rouge au 31 janvier pour le seul territoire de Rambouillet depuis la saison 1988-198993.

Rambouillet s’érige donc non plus comme un domaine absolu, hors des lois humaines et républicaines, mais au moins comme une exception. Un élément qui peut sembler anecdotique confirme cet aspect. La correspondance documente les efforts de Bernard Legrand responsables de Rambouillet sous Valéry Giscard d’Estaing pour faire modifier la réglementation aérienne au-dessus du domaine. Bernard Legrand essuie un premier refus du Secrétariat d’État aux Transport le 17 novembre 1975. Mais il poursuit et en 1977, les Chasses Présidentielles disposent d’une exception aérienne : les survols aériens sont fixés à une hauteur minimale de 150 mètres94. La tranquillité du gibier est l’argument développé pour obtenir cette exception, il

faut probablement y ajouter la tranquillité des chasseurs et des gardes.

Une fois cette exception juridique et foncière présentée, il faut s’intéresser au processus de formation du domaine et à son contenu depuis le XVIIIe siècle.

2- Le

processus d’acquisition foncier et cynégétique du domaine

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