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Le Prince de chasse : roi, empereurs et présidents à Rambouillet

Troisième partie : Gouverner par la

I- Le Prince de chasse : roi, empereurs et présidents à Rambouillet

1- Le Prince de chasse : chasse et souveraineté politique

Le prince de chasse n’est pas seulement un prince chasseur514. La chasse est pour le prince

un lieu d’exercice du pouvoir et de sa souveraineté politique. Une souveraineté qui s’applique sur les hommes, sur les terres et sur les animaux.

Joël Cornette invite à reconsidérer la fonction royale au XVIIe siècle autour de la relation

entre la guerre et la souveraineté. La guerre, l’exercice de la violence et la fonction royale sont liés afin d’affirmer la souveraineté du prince dans son royaume. Héritier du roi chevalier, le roi de guerre est aussi un roi de chasse. On connaît le lien entre la guerre et la chasse. Cette troisième partie sera l’occasion de rappeler les nombreuses applications de cette relation. Il faudra dépasser le poncif maintes fois formulé : la chasse prépare à la guerre. Les médiévistes ont remis en cause cette affirmation qui fait long feu. L’armure, les armes du guerrier médiéval ou du militaire moderne ou contemporain ont tout et rien à voir avec celui du chasseur515. Les

liens sont plus subtils mais non moins prégnants.

Qu’en est-il de cette figure du prince de chasse ? L’Ancien Régime est la période du roi chasseur et du roi de chasse. En témoigne les noms donnés au roi : le père des veneurs pour François Ier, le roy des veneurs pour Henri IV516. Tous les rois ou presque chassent et

gouvernent par la chasse517. Le roi de chasse est – comme l’entend Joël Cornette pour le roi de

guerre – plus qu’un roi chasseur. Il ne s’agit pas seulement du roi qui va chasser, ou qui aime chasser. La chasse est pour les rois de France, le moment de gouverner et le moment de se

514 CORNETTE Joël, Le roi de guerre. Essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2000 [1993].

515 GUERREAU Alain, « Chasse », LE GOFF Jacques et SCHMITT Jean-Claude (dir.), Dictionnaire raisonné de

l’Occident médiéval, Paris, Arthème Fayard/Pluriel, 2014 [1999] ; MORSEL Joseph, « Chasse », Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, Quadrige/PUF, 2002, p. 271-272.

516 C’est Du Fouilloux qui donne ce surnom à François Ier et Sully à Henri IV PIERAGNOLI Joan, op. cit., p. 112.

517 GUIZARD-DUCHAMP Fabrice, « Louis le Pieux roi-chasseur : gestes et politique chez les Carolingiens »,

Revue belge de Philologie et d’Histoire, tome 85, fasc. 3-4, 2007, Histoire médiévale, moderne et contemporaine

- Middeleeuwse. moderne en hedendaagse geschiedenis ; PIERAGNOLI Joan, « Princes chasseurs et ambassadeurs », op. cit., p. 111-115 et « Le roi chasseur », op. cit., p. 138-145.

montrer en train de gouverner. La chasse est la « volonté d’établir un parallèle entre la domination d’animaux nobles et l’aptitude au gouvernement politique518 ». Par cette mise en

scène et différentes représentations, le roi de chasse incarne ses fonctions de souverain. Les missions et fonctions du roi de chasse sont développées dans la seconde partie. Du Moyen Âge au XVIIIe siècle, la figure de roi de chasse semble incontestable et incontestée par les historiens.

Philippe Salvadori pense que la figure du roi chasseur s’estompe à la fin de l’Ancien Régime. L’historien explique que la « déqualification de la chasse mine la figure du roi519 », à partir de

Louis XV. « Le roi chasseur est devenu une antithèse du roi guerrier et l’on ne surnomme plus Louis XV que le Pacifique ou le Grand Chasseur ». Et l’historien donne le dernier coup de dague : « si l’assiduité à la chasse est toujours une preuve, elle n’est plus celle du droit à gouverner, mais plutôt du désintérêt pour la chose publique, et aucun signe du contraire, aucune cérémonie, aucune figuration ne vient détromper l’opinion520 ». Mais cette affirmation est à

nuancer. Louis XVI chasse plus que Louis XIV : 145 à 189 fois par an pendant son règne, entre 1776 et 1788 (110 à 140 fois pour Louis XIV) 521. Pourquoi continuer à chasser si cela ne

représente plus rien ? Le témoignage de Chateaubriand comme débutant à la cour de Louis XVI atteste de la permanence de la chasse comme gouvernement des hommes522. Et « malgré la

Révolution, la chasse était restée un symbole du pouvoir. Louis XVI n’avait cessé de chasser qu’en 1790, et Philippe-Égalité chassait encore en 1792523 ». « Chasser n’était donc pas, de ce

point de vue, un acte anodin, mais une façon pour Bonaparte de s’imposer, avant la proclamation de l’Empire, comme le successeur de Louis XVI524 ». La figure de roi de chasse

traverse les régimes politiques et les siècles. La permanence et l’effort des souverains pour créer et maintenir équipages, personnels et domaines de chasse en témoignent. Napoléon Ier, Charles

X, Napoléon III réinvestissent la chasse et poursuivent cet héritage et cette fonction au XIXe

siècle. Les chasses présidentielles ne sont pas directement un héritage monarchique mais elles partagent cet imaginaire du prince de chasse. Chasser c’est gouverner à Rambouillet, gouverner le domaine mais aussi l’État. Le roi chasseur, l’empereur chasseur et le président chasseur sont plus que de simples hommes politiques qui vont à la chasse. Différentes fonctions de cette figure du prince de chasse s’incarnent lors des chasses de Rambouillet.

518 Ibid., p. 138-139.

519 SALVADORI Philippe, op. cit.., p. 241. 520 Ibid., p. 241.

521 Ibid., p. 203.

522 CHATEAUBRIAND François-René de, Mémoires d’Outre-Tombe, Lausanne, Editions rencontre, 1968, t. I. 523 VIAL Charles-Eloi, op. cit., p. 50.

2- Les missions et les fonctions du prince de chasse

Le prince de chasse incarne la souveraineté à travers au moins cinq fonctions. « Les anecdotes sur les rois à la chasse parsèment les chroniques des contemporains et les récits historiques anciens. Parmi les thèmes qu’elles exploitent, le premier est le monopole de la souveraineté qu’exprime le droit de chasse525 ». Le droit de chasse est la première fonction du

prince de chasse. Le droit de tuer, détenir le thanatopouvoir exclusif sur l’animal renforce sa souveraineté sur les terres où il chasse et dit son pouvoir sur les hommes. Ensuite, avec et par la chasse il assure son rôle de père nourricier. Il s’agit d’une tradition monarchique ancienne qui survit à la Révolution. Le prince doit nourrir son peuple et subvenir à ses besoins. Cette dimension peut être captée à travers les dons de gibier que fait le roi à ses sujets. Les jours de chasse les princes offrent des pièces de gibier à leurs sujets : invités, rabatteurs, officiers, gendarmes, personnel du train impérial ou présidentiel, notables rambolitains reçoivent ces présents. Il s’agit bien sûr de dons symboliques plus qu’alimentaires. Le Maréchal Pétain ira même jusqu’à envoyer le gibier tué à Rambouillet aux hôpitaux parisiens pendant la guerre. Assez proche, la fonction de prince protecteur est incarnée à la chasse. Le port des armes et la mise en scène d’une violence codifiée et maîtrisée permettent au prince de montrer sa dignité à régner sur les hommes et les animaux. Ce rôle de protecteur ne va pas sans la fonction de roi tueur de bêtes féroces. Le prince de chasse rappelle sa légitimité en faisant détruire sur les terres du royaume et de ses domaines les animaux nuisibles. « Chasser le loup, c’est au moins se rendre utile, exercer l’élémentaire mission protectrice du roi526 ». Sous Napoléon III, en 1869,

le dernier loup de la forêt de Rambouillet est tué au Poteau de Pecqueuse. Et c’est sous la République que le dernier loup est tué en France en 1954. Bien sûr le prince ne s’occupe pas personnellement de l’éradication de ce fléau animal, il en charge ses délégués territoriaux et domaniaux : gardes, lieutenant de louveterie, officiers des chasses. Éliminer les nuisibles permet de protéger les récoltes, les bétails et même les hommes. De plus, la fonction de prince tueur est une méthode de pacification des hommes. En se montrant en train de tuer, le prince illustre sa force physique et mentale. « C’est montrer son origine redoutable dans le goût pour la violence et le sang. Le roi est seul assez fort pour affronter l’inhumaine cruauté en lui, la dominer sans l’annihiler, la transférer de la violence civile sur le théâtre des guerres extérieures527 ». La chasse manifeste la seule violence admise au sein du royaume. La chasse

525 SALVADORI Philippe, op. cit., p. 236. 526 SALVADORI Philippe, op. cit., p. 243. 527 Ibid.

est une mise en scène du règne sur les animaux et les hommes. En attirant les puissants autour de lui le prince utilise la chasse comme un catalyseur. Les jours de chasse le prince met en scène les services qu’on lui doit. Assemblés autour du primus inter pares, du « premier fusil de la République528 », les Grands doivent respecter le protocole, la préséance et la bienséance que

doit tout serviteur au souverain. Le fait que les chasses à courre soient publiques et le nombre de personnes nécessaires à la réalisation du tiré figurent cette armée au service du prince de chasse. Enfin, la publication des « relations des parties de chasses royales est aussi l’occasion d’émettre des bulletins de santé rassurants, évoquant avec emphase la constitution rigoureuse et la vitalité d’un monarque [parfois] à moitié moribond529 ». Le prince de chasse poursuit à la

chasse une fonction de représentation du corps souverain, du corps de l’État. Chasser, monter à cheval, tirer, marcher, incarnent l’image du corps du prince en bonne santé.

On craint pour le roi à la chasse comme on craint pour le roi à la guerre530. On craint pour la santé, pour la vie du roi, mais aussi on redoute que le roi ne soit pas à la hauteur de sa fonction, et les dangers affrontés sont autant de preuves que l’acteur est digne du rôle. L’ombre de la mort toujours déjouée rend la personne du roi plus susceptible d’un amour inquiet et d’une admiration renouvelée. Aux fictions des représentations juridiques, qui mettent en scène un roi anonyme et qui ne meurt jamais, un roi dont les gestes ont l’efficacité prévisible réglée par la cérémonie, le spectacle de la chasse substitue un roi magnifiquement personnel, mortel, talentueux.531

La chasse est une cérémonie de démonstration de la souveraineté. Chasser c’est incarner la fonction souveraine : roi, empereur, président et être le chef de l’État. Chasser c’est non seulement gouverner les animaux et les terres, c’est aussi montrer sa force sur les hommes, en rappelant qu’ils sont au service du souverain. A courre comme à tir, les chasseurs servent le prince, les officiers préparent et organisent les chasses, les agents domaniaux doivent garantir la présence du gibier. Les jours de chasse couronnent les efforts des serviteurs. Les jours de laisser courre, le roi se voit rendre les honneurs par son grand veneur et être servi comme le cerf par son équipage aux ordres. Les jours de chasse à tir, une foule de serviteurs charge les fusils du prince et rabat son gibier.

528 DE JANTI Pierre, « Les Honneurs à Vincent Auriol », Plaisirs de la Chasse, mars 1966, p. 105. 529 Ibid., p. 141.

530 Ibid., p. 237. 531 Ibid., p. 237.

3- Il nous gouvernait en tyran : le prince de chasse, un tyran

politique et environnemental ?

Face à ce prince de chasse absolu, les hommes réagissent. Et si Rambouillet incarne pour certains un domaine paisible où le prince peut s’adonner à ses plaisirs, il peut également incarner le lieu d’une débauche cynégétique. Deux figures semblent être les incarnations du tyran de chasse. Il s’agit ici de discuter les représentations de ces deux personnages et non les réalités de leur règne ou de leur présidence. Pour le XIXe siècle c’est indéniablement Charles

X qui incarne cette figure de tyran politique et environnemental. Pour le XXe siècle, la passion

du président Giscard d’Estaing a elle aussi beaucoup attirée les critiques et les fantasmes. S’il est certain que ces deux figures ont assuré leur rôle de chef d’État en leur temps, une image de tyran cynégétique – c’est-à-dire un prince qui chasse plus qu’il ne gouverne – semble être restée dans l’imaginaire.

Charles X et Rambouillet ont lié dans l’histoire et les imaginaires une relation particulière. Un vaste corpus iconographique et littéraire documente les derniers jours d’infamie politique et cynégétique à Rambouillet. La dernière chasse de Charles X et du Dauphin a en effet lieu le 26 juillet 1830 à Rambouillet, jour de la publication des Ordonnances de Saint- Cloud dans Le Moniteur. Ces ordonnances qui édictent la dissolution de la Chambre provoquent une levée de bouclier, qui évolue dans les jours suivants en une véritable révolution. Le roi fuit Paris pour Rambouillet. « Le 31 juillet, à neuf heures et demie du soir, le roi Charles X arrive à Rambouillet avec la duchesse de Berry, le duc de Bordeaux et sa sœur, le dimanche 1er août,

il y est rejoint par la duchesse d’Angoulême ; le même jour il nomme le duc d’Orléans lieutenant général du royaume ; le lundi 2, avec le Dauphin, il abdique en faveur du duc de Bordeaux ; dans la soirée du 3, Charles X quitte Rambouillet et prend la route de l’exil532 ». Le

lendemain une troupe armée de Parisiens arrive à Rambouillet et repart pour la capitale déçue de ne pas trouver le roi. Rambouillet est donc un double lieu noir pour les révolutionnaires. Charles X chasse à la publication des Ordonnances, une posture qui incarne le despotisme et la tyrannie de ce roi de chasse. En plus de cela, Rambouillet accueille la fuite du roi et permet à Charles X de s’enfuir sans que les révolutionnaires aient pu se faire justice. Avec ces derniers gestes politiques, Charles X incarne cette figure du tyran cynégétique : il ne pense qu’à la chasse et oublie le gouvernement et ses sujets aux yeux des révolutionnaires. Un vaudeville 27, 28 et

29 juillet dit même : « je n’aime pas un roi chasseur ; cet exercice endurcit trope le cœur ; verse

le sang avec indifférence, vous voyez ou cela conduit, c’est par le gibier qu’on commence ;

c’est par le peuple qu’on finit533 ». En 1830, le gouvernement par la chasse à Rambouillet

touche ses limites. Une caricature résume : « il nous gouvernait en tirant », pour nous satisfaire le caricaturiste aurait pu écrire : il nous gouvernait en tyran534.

Un deuxième tyran cynégétique dans l’opinion publique n’est autre que le président Valéry Giscard d’Estaing. Son image de chasseur a catalysé fantasmes, fictions et mensonges pour lui imputer sa passion cynégétique. « La passion de Valéry Giscard d’Estaing pour la chasse relève de l’obsession535 ». Jean-Jacques Barloy et François Gaujour diffusent cette

image de tyran de chasse, au lieu d’accepter la démission de Jacques Chirac le 26 juillet 1976, le président lui demande d’assurer le gouvernement jusqu’à son retour de safari536. On

condamne également la fréquentation d’autres chefs d’État étrangers : « Hassan II au Maroc, Gierek en Pologne. Et bien sûr Bokassa en Centrafrique, Mobutu au Zaïre, Bongo au Gabon537 ». Cette passion cynégétique revient même encore dans la presse comme dans cet

article du 6 octobre 2013 sur le site d’Europe 1, qui s’étonne : « Valéry Giscard d’Estaing, grand chasseur, n’a pas renouvelé son permis 538». L’image du tyran cynégétique a

définitivement la peau dure.

II- L’Eldorado cynégétique : chasse, mythes et figures de

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