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Le processus d’acquisition foncier et cynégétique du domaine (1706-1793)

Chapitre I : Acquérir et parquer

2- Le processus d’acquisition foncier et cynégétique du domaine (1706-1793)

Comprendre le Rambouillet de Louis XVI, puis des souverains suivants exige de remonter le temps. Le fondateur du domaine de Rambouillet est le comte de Toulouse, fils légitimé du roi Louis XIV. Il est propriétaire de 1706 jusqu’à sa mort 1737, à cette date son fils lui succède jusqu’en 1783. Le temps des Bourbons à Rambouillet s’échelonne de 1706 à 1793 et constitue le moment d’apogée du domaine.

Pour suivre les achats, il existe un ensemble de sources qu’il faut absolument faire dialoguer. Les Bourbon-Penthièvre font compiler les actes d’achat dans un terrier du duché, conservé aux archives départementales des Yvelines, qui permet de suivre les acquisitions. Il

93 ADR, 1er septennat 2/ 2. 94 ADR, chasses 2.

faut aussi convoquer les actes d’achats de 1706 et de 1783, et Les Lettres patentes du Roy

portant érection du marquisat de Rambouillet en Duché-Pairie en faveur de S.A.S. Monseigneur le Comte de Toulouse du mois de mai 1711. Ces différentes sources permettent

de donner les états du domaine et de suivre son parcours foncier, en les croisant avec l’historiographie.

En 1704, le comte de Toulouse cherche un domaine près de Versailles et son attention se porte sur la forêt de Saint-Léger, propriété du duc de Chevreuse qui se trouve alors dans une situation financière difficile et cherche à se séparer de cette forêt. Les pourparlers entre le comte de Toulouse et le duc de Chevreuse commencent à Fontainebleau en octobre 1704, mais la transaction tarde. Les princes demandent le comptage des arbres mais sur les 514 751 annoncés, un manque de 266 130 arbres bloque l’achat de la forêt95. Le comte de Toulouse ne s’intéresse

pas à Rambouillet par hasard. Il cible une région proche de Versailles, où il assure des hautes charges en plus de son statut de prince du sang. Il est Grand Amiral de France, gouverneur de Bretagne et surtout – d’un point de vue cynégétique – il est Grand Veneur du royaume, c’est- à-dire qu’il est chargé d’organiser les chasses royales et d’accompagner le roi lorsqu’il chasse. En tant que Grand Amiral et Grand Veneur il cherche également un domaine forestier très étendu pour fournir richesses et ressources : bois et gibier.

Dans cette volonté d’acquisition foncière, il s’intéresse au marquisat de Rambouillet, propriété de Fleuriau d’Armenonville. Le 10 février 1706, le comte de Toulouse achète la terre de Fleuriau d’Armenonville à Rambouillet. Le décret d’adjudication du Parlement de Paris96

décrit la composition du domaine, qui n’est constitué que de très peu de bois, évalués par Danielle Chantereau à 1278,75 arpents ainsi répartis :

Château de Rambouillet parc et autour du bourg 25 arpents bois de haute futaie, garenne Fief de Groussay, 1200 arpents, taillis

Fief des Essarts le Roi, 20 arpents,

Fief de Cutesson, 3 arpents, futaie Orcemont, 5 perches, taillis La Droue, 15 arpents, taillis Epainville, 8 à 50 perches, L’Eveuse, 6 arpents, taillis

Ce premier Rambouillet de 1706 constitue un noyau, sur lequel le comte de Toulouse greffe entre 1706 et 1737 de nombreuses terres. Le processus d’acquisition n’est pas une simple série d’achats aléatoires. Il s’agit d’une véritable politique d’acquisitions de terres autour du

95 DE JANTI Pierre, Forêt, chasse et château de Rambouillet, op. cit., p. 35. 96 ADY, 60J 6 à 60J 11.

noyau rambolitain. La politique d’acquisition foncière des Bourbon-Penthièvre est remarquable à plus d’un titre explique Jean Duma dans ses travaux. Cette politique est caractérisée par une constance des achats, par la diversité des transactions, « aussi bien dans leur ampleur – elles vont de quelques dizaines à plusieurs centaines de milliers de livres – que dans les moyens mis en œuvre pour les réaliser, que ce soit les achats directs, l’utilisation des procédures féodales, les pressions sur certains vendeurs ou l’utilisation des difficultés financières d’autres, notamment Chevreuse ». Cette politique se caractérise par « souci de rationalisation, de modernisation et de rentabilisation de l’ensemble97 » du domaine. et enfin la permanence de la

préoccupation féodale et seigneuriale qui font de Rambouillet le « berceau » de la famille au XVIIIe siècle98.

Le 15 juillet 1706, il obtient de son demi-frère le duc d’Antin les bois du duché d’Épernon, « consistant en 5 710 arpens de bois et bruyères, les hameaux et fiefs de Toulifaut, du Montelet, du Mesnil Rouland ; partie des fiefs des Piffaudières, la Villeneuve, Guipereux, et les Boisserotes […] Troussebâton, le Bois Dieu, La Feuillée, Le Prieuré d’Epernon en partie, le Bois Cibot, et de Sausseuse ». Le 29 décembre 1706, il joint finalement la forêt de Saint- Léger à son domaine, après de nombreuses tentatives d’estimations99. La vente pour 841 246

livres par le duc de Chevreuse de sa châtellenie de Saint Léger et de la forêt de Montfort font s’agréger 12 695, 32 arpents au marquisat de Rambouillet du comte de Toulouse100. Cet ajout

est l’achat le plus massif de l’histoire de Rambouillet. En 1706, le comte de Toulouse acquiert « par contrat du 15 juillet 1706 du Comte d’Angennes la châtellenie de Poigny avec les fiefs des Feuillardeaux, des Moulineaux, des Basses-Masures, des Fléaux, des Hautes Rives et de Biennouvienne, mouvants de nostre Chastelet, de Paris ; la paroisse et seigneurie d’Orcemont, les terres et seigneuries des Chastelliers, l’Espinay, des Grand et Petit Racinay, Briquesac, Garnonvilliers, le Pasty, Grange Colombe, la Vallée-Alais, les Mandreuses, Blairon, Bétonsard, Hymer, Baudricourt, le Verger-des-Champs, Cutesson, et Herbouvilliers101 ». En 1706

également, le comte acquiert les 1440 arpents de Sonchamp par bail emphytéotique de 3 150 livres par an102.

97 DUMA Jean, « Propriété et société rurale à la veille de la Révolution française : le Duché-Pairie de Rambouillet », Mémoires et Documents de la SHARY, Rambouillet, 2001, t. XXXVIII, p. 274. 98 Ibid.

99 MOUTIE Auguste et DE DION A., « Quelques documents sur le Duché-Pairie de Rambouillet », art. cit., p. 193.

100 AN, NIV 238, et CHANTEREAU Danielle, L’exploitation de la forêt de Rambouillet au XVIIIe siècle, p. 14. 101 Ibid., p. 192-193.

Les acquisitions se poursuivent l’année suivante, « Notre dit fils [le comte de Toulouse] a pareillement acquis par décret du 9 avril 1707 en notre Cour des Aides de Paris, la châtellenie et paroisse du Fargis, avec la seigneurie foncière du Perray ; le fief des Guains et le droit de forage dans la ville de Chevreuse et des paroisses en dépendantes103». Puis, le 14 juillet 1707 :

le fief de Montlouet, « dans la paroisse du Perray, consistant en cens, lods et ventes, 104 arpens de bois en la Forêt Verte, dix arpens nommés la Garenne du Perray, et sept arpents au canton de la Tour104 » (soient 121 arpents).

En 1708, par contrat du 12 juin 1708, le comte obtient de Fleuriau d’Armenonville le reste de « la terre et seigneurie de Guiperreux, dite de Saint-Magloire, avec les fiefs du bois- Dieu, et de la Feuillée105 ». Le 5 septembre 1708, il acquiert du marquis de Béthune la

« chastellenie de Gazeran, les fiefs des Rôtis, de Batonceau, du Breuil, d’Hedevilliers, la Bretonnière et le Buissonnet106 ». L’achat de 5 710 arpents à Gazeran s’effectue pour 150 000

livres107. En 1710, le 12 juin, le comte achète à la Dame de Fitte, la terre et seigneurie de Poyers

pour 22 000 livres et ajoute 104,97 arpents au domaine108. En 1711, le comte achète 14 arpents

à Guiperreux pour 15 000 livres109, puis 177,93 arpents, en 1715, à Orphin pour 24 000 livres110.

Dans les dix dernières années de son règne à Rambouillet, le comte ajoute à Rambouillet, en 1727, le Bois des Cinq cent Arpents en échange du fief de Vaujoyeux avec le comte du Mesnil, auxquelles s’ajoutent 22 000 livres, pour l’ajout de 500 arpents. Les Maréchaux sont acquis la même année, soient 400 arpents111. Puis en 1737, les 60 arpents du bois des Lais, de Crussol112.

Le duc de Penthièvre son fils reprend la politique foncière. En 1741, pour 2 000 livres le duc acquiert les 190 arpents de La Villeneuve, et pour 117 000 livres les 185 arpents des Bréviaires113. En 1746, Gambaiseuil est ajouté pour 15 000 livres114. En 1756, La Malmaison

est ajoutée par bail avec le chapitre de Chartres, soient 1 850 livres par an pour un ajout de 66,6 arpents115. Le nombre et la taille des achats illustrent le systématisme des Bourbons mais aussi

103 MOUTIE A. et DE DION A., « Quelques documents sur le Duché-Pairie de Rambouillet », art. cit., p. 193. 104 Ibid.,

105 Ibid., p. 194.

106 Ibid., p. 194 et DE JANTI Pierre, Forêt, chasse et château de Rambouillet, op. cit., p. 36 107 CHANTEREAU Danielle, op. cit., p. 14.

108 Ibid. et MOUTIE A. et DE DION A., « Quelques documents sur le Duché-Pairie de Rambouillet », art. cit., p. 194.

109 CHANTEREAU Danielle, op. cit., p. 14. 110 CHANTEREAU Danielle, op. cit., p. 14. 111 Ibid.

112 Ibid., et DE JANTI Pierre, op. cit., p. 40.

113 Ibid. et DUMA Jean, « Propriété et société rurale à la veille de la Révolution française : le Duché-Pairie de Rambouillet », art. cit., p. 302.

114 CHANTEREAU Danielle, L’exploitation de la forêt de Rambouillet au XVIIIe siècle, op. cit. p. 14. 115 Ibid.

le fractionnement de la propriété autour de Rambouillet dans les mains de différents propriétaires : différentes grandes familles nobles, mais aussi des communautés villageoises et religieuses.

Le premier état du domaine est effectué à son érection en duché-pairie par le roi en 1711. Cette date et cette décision sont très importantes dans le parcours de Rambouillet. Elles consacrent la politique du comte de Toulouse qui permet de transformer le marquisat de Rambouillet en duché-pairie, le plus haut titre aristocratique et curial de l’époque. La terre – et la nature valorisée par un prince – devient source de pouvoir, de gloire et de richesse.

Les chiffres de la superficie de Rambouillet varient selon les états. En 1722, après l’érection en duché et à l’occasion d’une « Réformation générale des bois de la Maitrise de Rambouillet » le comte de Toulouse dresse l’état de son domaine qui rassemble 29 316 arpents 89 perches ¼116.

Après 1760, les acquisitions s’interrompent et un état général du domaine est élaboré : les parcs du domaine soient le Grand parc de 713,15 arpents, le Petit Parc aux Lapins, de 314 arpents, le Parc d’en Bas de 62,33 arpents soient 1089,48 arpents. Les bois de Saint Léger (9 482,22 arpents) et le bois de Rambouillet (11 887,33 arpents) forment 21 369,55 arpents. Auxquels s’ajoutent le « Domaine » (68,81 arpents), la Seigneurie des Bréviaires (200,94 arpents), la Malmaison (66,6 arpents), les Remises et Lisières (118,70 arpents) et les bois dépendant de la ferme des Enclave et de celle des Maréchaux (10,76 arpents) soient 465,27 arpents forment un domaine de 22 924,31 arpents soient 11 707 hectares117.

Ces chiffres ne doivent pas être compris comme une réduction du domaine, puisque le duc de Penthièvre poursuit les acquisitions, il s’agit d’une variation due aux techniques de mesures qui varient et parfois témoignent d’erreurs de comptage. Jean Duma explique que « l’arpent utilisé dans la région de Rambouillet est l’arpent du Roi ou l’ordonnance de 100 perches à 22 pieds. Il équivaut à 51,04 ares. Dans quelques paroisses du sud de la région est utilisé le setier diviser en mines et minots. Le setier comprend 80 perches à 22 pieds118 ». L’arpent équivaut à

un demi hectare. Nous reviendrons sur les superficies chronologiquement dans la partie suivante.

L’achat de Rambouillet par Louis XVI doit être vu comme une continuité. Une continuité de la politique d’acquisition foncière et une continuité quant au statut du domaine : Rambouillet reste le bien d’un prince, en étant domaine privé du roi Louis XVI. Il faut à nouveau relier

116 ADY, 2604W 93.

117 Ces chiffres sont fournis dans le tableau récapitulatif dans CHANTEREAU Danielle, L’exploitation de la

forêt de Rambouillet au XVIIIe siècle, p. 15-16.

Versailles et Rambouillet pour comprendre le but de Louis XVI. Rambouillet permet au roi d’étendre, selon Jean Duma, de 23 000 hectares ses terres de chasses, au sud-ouest, depuis sa résidence versaillaise119.

Il délègue la politique d’acquisition à son gouverneur de Rambouillet, le comte d’Angerviller à la fois dans la ville de Rambouillet et dans les espaces alentours. Comme sous Toulouse et Penthièvre l’enjeu central est la chasse. Quand ils ne peuvent obtenir la propriété entière, non à cause du manque de finances mais du refus des communautés locales, ils achètent le droit de chasse aux propriétaires concernés. Le passage de Louis XVI sur cet aspect est exemplaire, la majorité des terres ayant été acquises par les Bourbon-Penthièvre, le roi complète les enclaves cynégétiques de son domaine. Les deux apports de Louis XVI à Rambouillet sur le plan foncier sont les achats urbains – le terme est très relatif, Rambouillet n’étant pas une ville – et les achats cynégétiques. L’ensemble des acquisitions représente plus de 331 812 livres120.

Dans la ville, le roi achète des bâtiments, des demeures, des maisons, des terrains et des jardins pour constituer une nouvelle place du marché, et pour agrandir le verger du roi121. En

1784 et 1785, huit acquisitions de maisons sont effectuées à Rambouillet pour 220 495 livres. Le but étant d’aménager les nouvelles cuisines, pour la poste aux chevaux et aux lettres, ainsi que sur l’emplacement de la place du marché122. Entre 1784 et 1786, ce sont plus de 21 perches

et 908 toises de jardins qui sont acquies par le roi pour agrandir et aménager son domaine de Rambouillet. L’acquisition la plus importante, de 21 perches au sieur Delaroche pour 1600 livres « fait partie de l’emplacement du pavillon de la vennerie ». « Tous les autres terreins ont été acquis pour agrandir le verger du Roi ». Le 27 mars 1789, 1,28 arpents de pré à Groussay sont achetés à Messire Jean-Baptiste de Bongard, chevalier et écuyer commandant la Vénerie du Roi123. Les dépenses liées à la chasse illustrent le rôle central de cette activité pour les

propriétaires du domaine.

Cette volonté des seigneurs de conserver toutes les prérogatives transparaît également à travers la question du droit de chasse. Il s’agit là d’un droit particulièrement détesté des paysans mais auquel le seigneur tient beaucoup pour des raisons de plaisir personnel – mais le duc de Penthièvre n’aimait pas la chasse – mais aussi en raison de son caractère vexatoire et du pouvoir sur les paysans qu’il symbolise. Le comte de

119 DUMA Jean, « Les Bourbon-Penthièvre », art. cit., p. 301. 120 ADY, 60J 18.

121 ADY, 60J 18: État des acquisitions faites postérieurement à celle du Duché de Rambouillet, par Louis XVI, 1784-1787.

122 ADY, 60J 18. 123 ADY, 60J 453(2).

Toulouse va donc s’attacher à en être le seul bénéficiaire sur ses terres. Chaque fois qu’il achète une pièce de forêt, il apporte un grand soin à faire préciser que le droit de chasse lui est réservé.124

Il en est de même pour Louis XVI. Le 28 octobre 1785, le roi acquiert le droit de chasse sur les fiefs et la seigneurie des Vaux-de-Cernay pour 60 000 livres, auquel s’ajoute le paiement le 6 avril 1786 pour « Différents terreins employés pour ancienne et nouvelles routes de chasse et remise ». Le 13 avril 1787, le fief des Couches et la chasse sur le fief de la Roche est acquise à M. Delaclue, abbé de la Roche, pour 11 000 livres. Le 4 mai 1787, le roi achète à Mineurs Fortier 10,28 arpents et 4,88 arpents en terre situés seigneurie de Gazeran au lieu-dit les butes du gîte125, les buttes du gîte se situent à l’extrémité ouest du Grand parc de chasse.

La Révolution constitue à Rambouillet une rupture foncière et environnementale. Le changement de régime politique est la première respiration du domaine de Rambouillet sur la période étudiée.

3- Flux et reflux domaniaux, les respirations du domaine (1793-

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