• Aucun résultat trouvé

La République reine d’un Petit Rambouillet (1870-1995)

II- Un espace mis en réserve et contrôlé

« Le pouvoir, c’est d’abord celui d’un territoire réservé, ou plutôt mis en réserve, sous- utilisé ». Ce territoire sous-utilisé abondant en ressources attire un certain nombre d’indésirables à Rambouillet : paysans, cueilleurs, braconniers, et animaux. Ce territoire pour être conservé doit être surveillé et les abus punis. La conservation du domaine est la mission des gardes, ce personnel cynégétique qui veillent sur les chasses des souverains. Pour garantir les chasses il faut qu’ils s’intéressent aux indésirables et à leurs déplacements. Contrôler

213 YAUVILLE Jacques d’, Traité de vénerie, par M. d'Yauville, premier veneur et ancien commandant de la

l’espace et contrôler les circulations dans cet espace est la mission des gardes. Les moyens sont variés et étendus mais ne garantissent pas la domination domaniale sur l’espace concerné.

1- Surveiller et punir : le personnel cynégétique

Un processus complémentaire de l’aménagement du domaine est l’entretien d’un personnel spécialisé. L’administration des Eaux et Forêts est également en charge à Rambouillet de la surveillance des chasses sur l’ensemble de la période. En 1964, à sa création l’Office national des Forêts prend le relai.

Une partie du personnel est déjà en place en 1783. Louis XVI hérite de la Maîtrise particulière de Saint-Léger qui avait été créée par Louis XIV en 1711 à l’érection de Rambouillet en duché-pairie214. La forêt et plus largement le domaine sont un « lieu perpétuel

de conflits avec les communautés rurales, cet espace doit être protégé en permanence contre les agressions paysannes215 ». Pour protéger les ressources tant le bois que le gibier, il faut contrôler

les circulations et investir le terrain domanial. « Agents et gardes seigneuriaux parcourent constamment le massif et veillent au respect des droits, des chemins sont tracés […]216 ». Les

gardes combattent donc le mal par le mal. Ils sont placés sur le terrain en forêt effectuent des tournées jour et nuit, se relaient, armes à l’épaule pour surveiller les terres de Rambouillet. Les vagabondages ne sont pas seulement interdits aux hommes, mais également aux animaux qui doivent rester là où les gouverneurs de Rambouillet souhaitent les voir habiter. Contre les vagabondages des braconniers et des pilleurs de bois, des prédateurs animaux les gardes réagissent. Et face à cette circulation interstitielle, les gardes tentent de mettre en place une circulation extensive sur l’ensemble du domaine et une veille permanente. Certains animaux sont autorisés dans les parcs et d’autres y sont précisément combattus, tout comme le paysan ou le braconnier. Nous réservons la deuxième partie à ces acteurs, à ces résistants de l’État cynégétique. Il faut d’abord préciser la stratégie de blocage et de contrôle de l’espace domanial.

Les gardes sont formés sur le terrain. Ils connaissent les bois, les étangs, les animaux et les hommes qui parcourent l’espace forestier et domanial. Ils sont donc des connaisseurs de terrain. Ils habitent et vivent au domaine, certains autour des parcs, les autres en pleine forêt dans les maisons forestières. Cette installation est à lier avec la circulation des gardes et la surveillance qu’ils doivent mener. Chaque garde reçoit un canton qu’il doit surveiller de jour

214 DUMA Jean, Les Bourbon-Penthièvre, op. cit., p. 151. 215 Ibid., p. 150.

comme de nuit. Ces deux cycles font apparaître différents ennemis du gibier et du domaine. Le rôle des gardes est de surveiller, contrôler et de punir les infractions.

Ramassage, cueillette, chasse, pêche sont soumises à des autorisations variables. Si le pacage en forêt est autorisé sous l’Ancien Régime il devient illégal à partir de l’établissement du Code forestier de 1827217. La pêche louée à des particuliers est également surveillée par les

gardes. Mais c’est surtout la chasse dans le domaine qui fait l’objet de toutes les attentions. La guerre contre les braconniers est étendue et commence par le contrôle du terrain où ils agissent. L’implantation et les circulations des gardes en forêt sont censées permettre d’éviter le braconnage ou d’attraper les fautifs en flagrant délit. Nous reviendrons sur les pratiques de braconnage plus tard. Le garde tout comme le braconnier se voient faciliter leurs déplacements grâce aux aménagements routiers. Les gardes disposent des barrières sur les routes de chasse pour éviter aux troupeaux, aux chevaux, et aux charrettes de les franchir. Mais le braconnier circule tout comme les gardes à pied. Il faut donc le pister comme un animal : traces de pas, abandon de gibier ou de matériel en forêt, espionnage dans les villages et contrôle des circulations. Les gardes sont également en charge des circulations animales. Et la présence de braconniers, de nuisibles et les efforts constants pour contrôler leurs circulations témoignent d’un contrôle domanial plus lâche que ne le laisse penser les aménagements routiers du domaine.

2- Le pauvre, le nuisible, le gibier et le braconnier : la résistance par

la circulation incontrôlée

L’hypothèse d’un absolutisme environnemental incarné par les routes de chasse est à relativiser si ce n’est à déconstruire. Une communauté de nuisibles est présente du XVIIIe au

XXe siècle pour rappeler que la circulation du vivant est incontrôlée et incontrôlable. Quels sont

ces acteurs pensés comme nuisibles et indésirables par les gardes ? Il s’agit des acteurs qui échappent à la réglementation, aux tracés législatifs et normatifs. Et il ne s’agit pas que du brigand ou du criminel humain. Le paysan peut s’avérer être un ennemi des forêts et du forestier en amenant ces bêtes en forêt. Les bestiaux s’y nourrissent des fruits de la glandée. Interdites ces pratiques de pacages gênent l’État à partir de 1827. Les forêts sont celles de l’État et le pacage est vu comme destructeur des arbres et gêne le gibier. En effet, en venant se nourrir de la glandée, les bêtes privent la forêt d’une partie de sa régénération et de la nourriture du gibier. Mais c’est surtout le problème de la circulation du pauvre, du vagabondage du marginal qui

inquiète les autorités218. Évincées des forêts du domaine, les populations agro-pastorales restent

dans les marges forestières et profitent du faible nombre de gardes pour nourrir leurs troupeaux en forêt. Les bergers de la Bergerie nationale sont souvent l’objet de critiques de la part du service des Chasses du Grand Parc de Rambouillet. Divagation des bergers, des élèves ou même des troupeaux perturbent le service ou les journées de chasse. Les circulations incontrôlables ne sont toutefois pas l’apanage des agriculteurs.

Le braconnier peut se confondre avec le paysan dans le camp des humains. Mais il s’agit d’une classe supérieure de nuisible de la forêt et du domaine. Le braconnier est un monstre d’homme, un sauvage qui vit du gibier et de sa chasse illégale219. Ce criminel des bois fréquente

Rambouillet sur l’ensemble de notre période et circule en forêt, dans les parcs et dérange. Il faut donc contrôler ses circulations nuisibles : espionnage, contrôle des papiers et de la possession d’armes, filature en forêt, combats en forêts. Tout est bon pour remporter la guerre contre le braconnage. Ils tuent le gibier du prince, sont considérés de mœurs violentes et honteuses et ne respectent pas le code de la chasse.

Ces résistants de l’État cynégétique sont unis dans la traque qu’on leur mène. Humains, animaux, gibier, nuisibles se retrouvent liés face aux gouverneurs de Rambouillet. Le gibier n’a ainsi sa place qu’en forêt où il doit bien se cantonner. S’il en sort, s’il en déborde, les gardes arrêtent de le protéger pour le prince-chasseur, il devient nuisible. Les dégâts de gibier montrent ces sorties incontrôlées du gibier domanial. Il est détruit à cette fin comme en 1870 où le préfet organise une battue au sanglier. En 1864, l’Inspecteur de Rambouillet fait état de l’ensemble des biches détruites à Rambouillet entre 1853 et 1864 pour expliquer que la Vénerie impériale et les gardes ont bien rempli leur mission de cantonner le gibier à la forêt220. Ce sont ainsi « 491

[cerfs et biches] sans compter ceux qui sont morts de leurs blessures et qui n’ont pas été retrouvés » qui ont été tués ou détruits. Le nombre le plus important de cervidés tués est celui des gardes qui ont éliminée 312 biches et 19 jeunes cerfs, contre 57 cerfs forcés par l’équipage. Le moyen idéal pour contrôler les circulations du gibier est de placer les animaux dans les parcs. Les murs les empêchent de sortir. Malheureusement, la chasse absolue n’existe pas et lorsque les murs s’écroulent – assez fréquemment – le gibier peut s’en échapper. Les murs des parcs

218 ROCHE Daniel, Humeurs vagabondes. De la circulation des hommes et de l’utilité des voyages, Paris, Fayard, 2003 et ROCHE Daniel, Les circulations dans l’Europe moderne : XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, Fayard, 2011.

219 SALVADORI Philippe, op. cit., p. 277-279.

220 ADY, 6Q 522 : Relevé des grands animaux détruits dans l’Inspection de Rambouillet depuis 1853 jusqu’au 15 janvier 1864.

permettent également au roi des nuisibles de ne pas pénétrer l’enceinte sacrée des chasses du prince.

Car si le gibier fait l’objet d’un suivi et d’un contrôle précis, ce sont les animaux nuisibles qui sont les plus traqués. Ils constituent l’ennemi majeur du camp animal. Le roi des nuisibles n’est autre que le loup. Indésirable parmi les indésirables, il constitue le risque majeur pour le gibier et placer le gibier, notamment des reproducteurs et leurs petits dans le Petit parc permet de garantir le flux et la présence de gibier. Pièges, trous, collets, assommoirs, fusils, poisons tout est bon pour éliminer les nuisibles du domaine. Ils sont détruits de manière systématique et extensive. Leurs circulations sont les plus surveillées, les plus contrôlées et les moins maîtrisées. En guise de conclusion d’ouverture réflexive, il nous faut citer les travaux de Baptiste Morizot sur le loup. Le philosophe et pisteur de loups explique que le loup se sert aujourd’hui des routes humaines pour circuler, des routes départementales calmes, des pistes forestières221. Ces routes sont parfaitement adaptées au moyen de déplacement du loup : courir

sur de longues distances, sur des terrains dégagés, plus adaptés à la course. Les loups ont peut- être – il ne s’agit bien sûr que d’une hypothèse totalement invérifiable – bénéficié des travaux routiers du domaine. Les hommes en facilitant les circulations des chasseurs ont peut-être également facilité les circulations lupines ou celles d’autres animaux.

Au domaine de Rambouillet les gardes tentent de surveiller et de contrôler les circulations des êtres vivants. Mais, cette traque du vivant par le vivant est doublée par un dispositif architectural et environnemental complexe et étendu. Pour compléter le dispositif humain et policier, la terre et la pierre permettent d’aménager l’espace pour tenter de mieux le contrôler.

Chapitre III : Aménager et bâtir les

Outline

Documents relatifs