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La forêt de Rambouillet : de l’océan vert à l’îlot forestier

La République reine d’un Petit Rambouillet (1870-1995)

II- Un mode de gouvernement : le parc de chasse

3- La forêt de Rambouillet : de l’océan vert à l’îlot forestier

La forêt est le troisième espace dédié à la chasse au domaine. Elle est même le cœur cynégétique de Rambouillet de 1783 à 1870 : c’est le théâtre des chasses à courre des souverains. La forêt n’est pas fermée de murs en meulières, toutefois elle reste un espace délimité et clos à certaines pratiques et communautés. Cette mise en réserve est un héritage du droit germanique du forst associé à la notion et au terme latin de forris qui signifie « en dehors ». Selon, le droit germanique le forst « évoque le droit du souverain de mettre hors d’atteinte un territoire dont il interdit l’accès, au moins le réglemente. Dans les deux cas, il s’agit de mettre à part, en réserve175 ». Il se diffuse en Occident dans une forme latinisée : foresta, qui se

174 En 2018, les précipitations abondantes ont menés à vider les étangs en amont, Le Parisien, 22 janvier 2018, (consulté le 2/05/19) http://www.leparisien.fr/yvelines-78/rambouillet-redoute-de-nouvelles-inondations-22-01- 2018-7516362.php.

175 SALVADORI Philippe, « Le legs du Moyen Âge et de l’Ancien Régime : un sauvage très civilisé », La

transforme en forest, puis forêt. Régine Le Jan date l’apparition du terme forestis à l’année 648 dans les Ardennes176. Ces forestes, ou forêts, désignent la mise en réserve de terres, prises sur

le fisc royal, à l’usage exclusif du roi177. « Le couvert végétal compte moins que le type

d’administration : ainsi le comté d’Essex, peu boisé, est cependant tout entier placé sous la règle de la Forest [par Guillaume le Conquérant, XIe siècle]178 », c’est également le cas à Versailles

où le domaine est très riche en espaces cultivés179. Le terme de forêt se distingue donc de la

notion de sylva, qui fait référence à l’espace boisé. « La forêt se définit par le droit, de même que la chasse est inséparable de l’exercice de la souveraineté, qui permet de passer par-dessus la simple propriété pour contraindre les propriétaires eux-mêmes à abandonner tout ou partie de la jouissance de leurs propriétés180 ». La forêt est donc plus une désignation juridique,

foncière et cynégétique plutôt qu’une désignation environnementale. La forêt désigne un espace circonscrit, limité par une administration, une juridiction, un gouvernement et ne renseigne pas forcément sur la composition de cet espace naturel. Une forêt jusqu’au XIXe siècle, peut

contenir des villages, des cultures, des eaux et des espaces boisés. La notion a glissé du droit, à la nature de l’espace. Ce glissement et cette complexité juridique et spatiale qui mêlent droit et milieux, mènent à des oublis ou des incompréhensions chez les anthropologues qui utilisent

sylva, la sylve aujourd’hui oubliée, sans la faire dialoguer avec la matérialité de la foresta181.

Cette forme d’un milieu naturel ouvert – sans mur, ou sans grillage – mais contraint, où l’on met en réserve la faune, les espaces et où sont limitées certaines pratiques évoque une forme de protection contemporaine, que sont les parcs naturels et les parcs nationaux. Il est probable que les parcs de protection ont hérité des protocoles de contrôle élaborés dans la longue histoire des domaines de chasse182.

176 LE JAN-HENNEBICQUE Régine, « Espaces sauvages et chasses royales dans le Nord de la Francie, VIIe- IXe siècles », Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, 10ᵉ congrès, Lille, 1979, « Le paysage rural : réalités et représentations », p. 44 et SALVADORI Philippe, op. cit., p. 88-89.

177GUIZARD-DUCHAMP Fabrice, “Louis le Pieux roi-chasseur : gestes et politique chez les Carolingiens »,

Revue belge de Philologie et d’Histoire, tome 85, fasc. 3-4, 2007, Histoire médiévale, moderne et contemporaine

- Middeleeuwse. moderne en hedendaagse geschiedenis, p. 522. 178 Ibid., p. 89.

179 QUENET Grégory, Versailles, op. cit. 180 SALVADORI Philippe, op. cit., p. 88.

181 DESCOLA Phillipe, Par-delà nature et culture, op. cit., p. 99-108 et PERROT Xavier, « Passions

cynégétiques. Anthropologie historique du droit de la chasse au grand gibier en France », Revue semestrielle de

droit animalier, Observatoire des mutations institutionnelles et juridiques, Université de Limoges, 2015, 1, p.

329.

182 SELMI Adel, HIRTZEL Vincent, Gouverner la nature, Cahiers d’anthropologie sociale 03, Paris, L’Herne, 2007 et SELMI Adel, Administrer la nature. Le parc national de la Vanoise, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme/Quae, 2006.

Dans l’espace forestier rambolitain deux activités sont encouragées : la chasse et la foresterie. A Rambouillet, les populations villageoises vivent de leurs activités agro-pastorales et subissent de plein fouet la vocation et l’interdit cynégétique de la forêt : interdiction du pâturage et dégâts de gibier. Elles sont évincées paradoxalement après la Révolution du milieu forestier pour protéger les ressources forestières. Louis XVI admet la présence d’un certain nombre de paysans et leurs troupeaux en forêt. Le Code Forestier de 1827 met fin à ces usages.

La forêt est aménagée du XVIIIe au XIXe siècle en fonction de la chasse et de la

production de bois. Le paysage forestier du domaine se modifie énormément entre 1783 et nos jours. Le domaine est, à l’achat de Louis XVI, un océan vert : forêt de Saint-Léger, forêt des Yvelines, Batonceau, Dourdan, Épernon. A partir de 1870, avec la perte de la forêt l’océan le domaine se réduit à un îlot forestier : il ne reste que les bois du Grand et du Petit Parc, puis seulement les bois du Grand Parc après 1918. Il faut revenir sur l’aménagement de la forêt pour lier le milieu forestier à la chasse et la prudence dont il faut user dans la description des paysages. Les paysages sont dynamiques et changent énormément. Ces évolutions forestières sont documentées par un article d’André Granger et par les archives183. La Réformation des

bois du duc de Penthièvre réalisée en 1778 pour les parcs et 1782 montre une forêt totalement différente de ce que permettent de saisir les enquêtes de terrain. Elle fixe la révolution des arbres à 25 ans pour la forêt de Saint-Léger, la garde des Plainvaux, la Mare Ronde, la Longue Mare, l’Étang Neuf, le bois de l’Épars et de Pecqueuse ; 20 ans pour les bois de Vilpert, la Villeneuve, les Hauts-Besnières et de Hollande ; 18 ans pour Gazeran, Batonceau, la Forêt Verte, la Pommeraie, Poyers et Orphin ; 15 ans les Grandes et Petites Ventes d’Épernon ; 14 ans les bois de Sonchamp et des Garennes et enfin 10 ans pour les remises. Dans les parcs la pression du gibier est telle que les coupes doivent être montées à 25 ans au lieu de 20 : la raison en est que les jeunes taillis sont broutés par le gibier pendant les premières années, desorte que les bois perdent au moins cinq ans dans leur croissance184 ». La réformation est conservée jusqu’en

1827 et le nouveau Code des forêts, qui fixe la révolution à 30 ans pour toute la forêt185. En

1841 l’inspecteur Mignon fait remarquer « que régler les coupes au même âge serait vicieux et tendrait à l’appauvrissement et au déboisement de nombre canton » le peuplement variant selon les sols et les essences plantées186. La forêt est donc constituée en grande majorité de taillis

c’est-à-dire de jeunes arbres. Les grands chênes servent pour les baliveaux, c’est-à-dire pour

183 GRANGER André, « Les réformations successives de la forêt de Rambouillet », Revue des Eaux et Forêts, 1926, t. 64.

184 ADY, 2604W 94. 185 Ibid.

encadrer les parcelles de bois187. Ces révolutions relativement courtes des coupes s’expliquent

pour deux raisons. L’absence de voie navigable freine le transport des grandes grumes de bois. Et la vocation de la forêt est d’être un milieu cynégétique, riches en taillis et en végétation relativement basse qui favorise la présence de gibier. Il y a même parfois tellement de gibier que les jeunes arbres sont abroutis : mangés par le gibier ce qui retarde les coupes. Loin d’une forêt figée, et loin d’un rêve d’un océan de futaie, la forêt de Rambouillet se révèle être une véritable forêt de vénerie. Dense, giboyeuse, la forêt se transforme après 1892. La circulation difficile que produit un tel type de végétation explique l’effort des propriétaires de Rambouillet pour percer et entretenir des routes forestières et cynégétiques.

Chapitre II : Percer, relier, placer, bloquer

Après avoir acquis la propriété et le droit de chasse sur les territoires du domaine et s’être érigés en propriétaires uniques de la terre, les chasseurs organisent l’espace. Parquer est l’étape suivante : enfermer et murer permet d’incarner la propriété et d’organiser les lieux de la chasse. La superficie et la composition des espaces cynégétiques : le Grand Parc, le Petit Parc et la Forêt conditionnent les pratiques et les aménagements. Nous l’avons signalé ces espaces de chasse sont aussi des lieux partagés avec les communautés villageoises autour de l’économie forestière : éleveurs, bucherons, charbonniers, carriers, pêcheurs, meuniers. Pour accéder aux

187 Ces arbres sont régulièrement réservés pour le bois de charpente et la Marine. Les gardes-marteaux apposent les armes du propriétaire sur le fûts de ces arbres : fleurs de lys pour le roi, l’ancre de la Marine pour les Grands Amiraux, « faisceau de licteur surmonté d'un bonnet phrygien avec de part et d'autre les lettres B.N. (Bois Nationaux)187 » pour la République révolutionnaire, l’aigle de l’Empereur qui affirment la présence politique, économique et foncière.

différents espaces du domaine il faut se déplacer à pied, à cheval, avec son troupeau, en carrosse, avec sa meute. La circulation dans le domaine est donc un motif d’aménagement central. Et cette circulation n’est pas seulement humaine : troupeaux, meutes et chevaux côtoient les routes et les chemins humains. Et surtout, l’aménagement des parcs est une opération de cloisonnement des espaces et des êtres vivants. Si le braconnier est visé ce sont en premier lieu les animaux qui sont l’objet de cette interdiction de circulation. Le mur ne sert pas tant à empêcher d’entrer, qu’à empêcher de sortir. Les zones semi-hermétiques que sont les parcs retiennent une partie des animaux et cela permet aux hommes de Rambouillet d’opérer une sélection, une organisation zoologique et sociale de l’espace. Après avoir abordé l’apprivoisement de l’espace cynégétique et domanial nous abordons les tentatives de contrôle des circulations.

I-

Apprivoiser l’espace cynégétique par la circulation

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