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Populations de grand gibier dans le Grand Parc de Rambouillet (1809-2001)

III- Un biopouvoir cynégétique : du gouvernement à la gestion du vivant

1- Le gouvernement pastoral de la chasse 1516 et

En 1516, François Ier s’octroie un thanatopouvoir social et politique dans son royaume.

La « grande ordonnance sur les Eaux et Forêts qui s’ouvre par dix-huit articles sur la chasse470 »

stipule que « la chasse est interdite « à toutes gens de quelque estat, condition ou qualité qu’ils soient », spécialement aux officiers du roi 471». Le roi de France se fait le berger des animaux

et le seul gouverneur de ses domaines où il a le droit de vie et de mort. C’est bien sûr un héritage du droit féodal et une conception médiévale. François Ier n’invente par le gouvernement

pastoral, mais cette date de 1516 est un moment fort du gouvernement cynégétique. A ce thanatopouvoir large sur la chasse, s’ajoute un thanatopouvoir spécifique : le droit de mort royal sur le cerf. Déjà au Moyen Âge, le cerf est l’objet de toutes les attentions, royales comme religieuses, comme en témoignent les figures de Saint-Hubert et du cerf christique472. Charles

VI grand veneur « fait du cerf sa devise majeure, imité en cela par tous ses successeurs jusqu’en 1515473 ». Mais si l’image est déjà présente, les rois de la Renaissance font entrer cet animal

totem du monarque français dans le droit et dans la loi. François Ier édicte deux ordonnances en

470 SALVADORI Philippe, op. cit., p. 18.

471 Grande Ordonnance des Eaux et Forêts, citée par SALVADORI Philippe, op. cit., p. 18.

472 PASTOUREAU Michel, Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental, Paris, Seuil, 2004, p. 65-77. 473 PIERAGNOLI Joan, La cour de France et ses animaux. XVIe-XVIIe siècles, op. cit., p. 107.

1516 et 1525, pour interdire la chasse du cerf à la noblesse, puis Henri II promulgue en 1552 l’interdiction totale de la chasse du cerf dans le royaume de France474.

Outre les animaux, le roi met en réserve des espaces où lui seul a le droit de mort et de vie sur les animaux. Un outil politique puissant, surpuissant même – comme en témoignent les cahiers de doléances de 1789 – est la capitainerie des chasses. « La première capitainerie royale fut instituée par François Ier en 1534 à Fontainebleau475 ». Elles connaissent une grande phase

d’essor, où de plus en plus de terres sont mises en réserves pour les chasses royales. « Sous Charles IX [1560-1574], on en comptait neuf, sous Henri IV [1589-1610] vingt-quatre476 »,

sous Louis XIII (1610-1643) quatre-vingt-cinq. Les thanatopolitiques sont également à prendre en compte : Henri III promulgue en 1581 que le port et la possession d’armes à feux, de furets et d’engins sont punis de mort477. Le droit de mort est un apanage social et politique : Henri IV

par déclaration royale du 14 avril 1603 renforce les pouvoirs régaliens en interdisant à tous, la chasse à tir. Puis le 3 mai 1604 il revient sur cette interdiction pour les nobles. Le thanatopouvoir se négocie.

Louis XIV symbole de l’absolutisme en France est lui aussi un roi de chasse en plus d’être un roi de guerre478. Toutefois, les décisions de Louis le Grand prêtent à réflexion en

matière de chasse. Dans un sens il affaiblit les terres du gouvernement cynégétique : suppression de vingt-sept capitaineries en 1690 et quarante-quatre le 12 octobre 1699479.

Restent treize capitaineries « dont deux seulement hors du circuit des résidences royales autour de Paris : Blois et Chambord 480». De plus, si la Grande Ordonnance des Eaux et Forêts est une

rénovation en profondeur de la chasse et de la forêt, qui reste en vigueur jusqu’à la Révolution elle semble marquer tout de même, un affaiblissement du thanatopouvoir cynégétique. La peine de mort pour braconnage est supprimée, une vieille pratique, souvenons-nous du Sieur de Coucy sous Louis IX qui avait mis à mort trois jeunes gens sur ses terres481. « De même, les

peines contre les non privilégiés sont redéfinies par un double mouvement d’alourdissement global et de réduction des amendes plus lourdes482 ». Louis XIV étend en revanche la législation

474 Ibid.

475 HLUSZKO Alexis, Le terrain de chasse du roi. Les capitaineries royales en Île-de-France à la fin de

l’ancien régime et sous la Révolution, Paris, Montbel, 2009, p. 34.

476 Ibid.

477 SALVADORI Philippe, op. cit., p. 20.

478 CORNETTE Joël, Le roi de guerre. Essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2000.

479 HLUSZKI Alexis, op. cit., p. 34. 480 SALVADORI Philippe, op. cit., p. 25

481 DE NANGIS Guillaume, Gesta Ludovici IX, éd. Cl. Fr. Daunon, Recueil des historiens de la France, XX, Paris, 1840, p. 399-401 ; trad. J. Le Goff, Saint Louis, Paris, Gallimard, 1975, p. 240-242.

sur les nouvelles terres conquises et concentre le pouvoir cynégétique autour de Versailles. Le Louis XIV, roi de chasse reste tout de même étonnant. Joan Pieragnoli et Philippe Salvadori expliquent que Louis XIV chasse finalement assez peu à Versailles et qu’il y délègue ses chasses à son fils le Grand Dauphin : « A Versailles, Louis XIV abandonne la vénerie à Monseigneur483 » héritier du trône et du pouvoir thanatocratique sur le gibier. Les fils de Louis

XIV sont des chasseurs passionnés, notamment le Grand Dauphin, tueur de loups du royaume qui vient régulièrement à Rambouillet.

Le XVIIIe siècle est un grand siècle de chasse. Si la fauconnerie perd de sa superbe, les

chasses à tir viennent la compléter. La vénerie connaît ses grandes heures et se codifie entre les règnes de Louis XIV et Louis XVI. En témoigne encore aujourd’hui le port d’un costume, d’un habit à la française instauré par Louis XIV. Le domaine comme forme de pouvoir sur la terre et l’animal supplante la capitainerie : Versailles, Marly, et les domaines voisins de Rambouillet et Chantilly pour Louis XIV amorcent la grande phase domaniale du XVIIIe siècle. Louis XV

achète Choisy en 1739, Le Butard est bâti en 1750, en 1758 c’est Saint-Hubert sur les terres de Rambouillet, en 1764 la Muette à Saint-Germain, transforme Compiègne, Meudon est faite capitainerie en 1773484. Louis XVI poursuit à son tour la concentration du pouvoir cynégétique

autour de Versailles. Le roi crée la capitainerie de Sénart en 1774 et supprime celle de Chambord en 1777, achète Rambouillet en 1783 et Saint-Cloud en 1784485.

La Révolution illustre la difficulté du gouvernement de la chasse. Ce privilège haï est supprimé en 1789, le 4 août « le droit de chasse devient un attribut de la propriété486 ». Le

propriétaire a le droit de mort sur ses terres. Mais vite « le besoin d’encadrer la chasse devient vite urgente », le droit de mort se contrôle et le 30 avril 1790 les vannes cynégétiques sont fermées487.

Napoléon Ier réforme le système administratif français durant son règne mais la chasse

reste un gouvernement pastoral. L’empereur fait édicter les lois de 1810 et 1812 sur le port d’armes et reprend de nombreux domaines royaux sur sa Liste Civile : Fontainebleau, Rambouillet, Versailles, Compiègne parmi d’autres. Sous la Restauration, tout se poursuit, il s’agit des frères de Louis XVI et l’absolutisme cynégétique connaît de belles heures sous Charles X. Charles X roi chasseur se voit caricaturer et portraiturer sous toutes les formes après

483 PIERAGNOL Joan, op. cit., p. 284-285. 484 SALVADORI Philippe, op. cit., p. 211-212. 485 VIAL Charles-Eloi, op. cit., p. 20.

486 BOURRIEAU Paul, op. cit., p. 17. 487 Ibid., p. 20.

1830 à cause de sa fureur cynégétique. Rambouillet est tellement associé aux chasses de Charles X que l’Assemblée interdit son retour dans la Liste Civile de la Monarchie de Juillet.

A Rambouillet, le gouvernement pastoral n’apparaît pas réellement en 1783. Il faudrait plutôt préférer les dates antérieures de 1706 et 1711. En 1706, le comte de Toulouse achète Rambouillet et en 1711, Louis XIV érige le marquisat en duché-pairie. Le fils de Louis XIV est propriétaire du plus grand domaine de chasse à l’Ouest de Versailles. Louis XIV, Louis XV et Louis XVI s’y rendent régulièrement et profitent du domaine pour chasser le cerf et ce très fréquemment. Louis XVI se fait le propre comptable de son gouvernement cynégétique dans ses domaines et à Rambouillet. Il relate les journées de chasse et les prises de la journée. Le

Journal de Louis XVI documente une thanatopolitique qui permet de suivre son thanatopouvoir

à Rambouillet de 1774 à 1788. Il est le seul à pouvoir y chasser après 1783 en s’en faisant propriétaire. De plus, les hôtes sont également les Grands Veneurs du roi et le servent dans ses chasses. A Rambouillet, hormis durant la période révolutionnaire (1789-1790) et la location du domaine (1830-1853) la chasse reste une souveraineté exclusive jusqu’en 1870. Seuls rois et empereurs ont le droit de chasse et le droit de tuer les animaux à Rambouillet. Nous l’avons vu précédemment, si les comptabilités apparaissent sur cette période, les outils thanapolitiques et biopolitiques sont réalisés pour rendre un état : dire ce qui est, dire ce qui existe. C’est un gouvernement pastoral du gibier, fait de ponctions régulières mais non planifiées, dont les chiffres relaient l’information.

2- Le thanatopouvoir pour tous ? : la République à la

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