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Physionomie des chasses animales à Rambouillet : chasses royales, impériales et présidentielles

Chapitre VIII : Une guerre totale et permanente : pratiques et rites de chasse

I- Le Ciel et la Terre : vénerie et fauconnerie

1- Physionomie des chasses animales à Rambouillet : chasses royales, impériales et présidentielles

Lorsque Louis XVI achète Rambouillet c’est pour pratiquer la vénerie du cerf. Ce domaine de 20 000 hectares est idéal pour courre le cerf. Louis XVI fait des raids cynégétiques à Rambouillet : il part de Versailles tôt le matin, chasse toute la journée, dîne à Rambouillet et rentre dans la nuit à Versailles. Son équipage reste à Rambouillet entre les mois de mai et d’août. Le nombre de cerfs forcé oscille entre 1 et 4 par chasse comme le 8 juin 1786. Le Journal du roi mentionne 123 chasses en quatre ans à Rambouillet de 1784 à 1788. Il prend en quatre ans avec son équipage 153 cerfs610. La Vénerie chasse à Rambouillet, sans le roi, 26 fois, entre

le 12 juillet 1789 et le 16 mars 1790. Louis XVI ne chasse pas seul en forêt de Rambouillet il autorise son frère le comte d’Artois à mener son équipage du vautrait à Rambouillet. Le comte d’Artois chasse ainsi en chassé-croisé avec le roi le sanglier. Entre 1784 et 1788, le comte fait 83 chasses à Rambouillet. Le règne de Louis XVI est donc définitivement un règne cynégétique. Entre 1784 et 1790, ce sont donc 232 chasses qui animent les forêts de Rambouillet. L’intensité des chasses du roi oblige à n’y chasser que dans une période réduite : mai à août pour conserver un nombre d’animaux convenable.

Napoléon Ier est à Rambouillet chasseur de loups et de cerfs. Les dates fournies par Charles-

Eloi Vial et les archives du domaine ne livrent que 32 dates de chasse à Rambouillet dont une vingtaine à courre de 1804 à 1814611. Il chasse au vol le 15 août 1810.

La Restauration est le grand règne des veneurs à Rambouillet au XIXe siècle. Le calendrier

des chasses de la Restauration est encore incomplet mais plus de deux-cent dates sont déjà recensées. Le comte d’Artois se fait souvent accompagné de ses fils le duc de Berry et le duc d’Angoulême. Ces derniers viennent régulièrement chasser et séjourner ensemble à Rambouillet. Ils sont d’ailleurs plus régulièrement à Rambouillet que le comte d’Artois et Charles X. Les veneurs se contentent souvent d’un cerf par chasse, mais des journées exceptionnelles comme celle du 9 juillet 1821 vont jusqu’à trois cerfs pris. Le duc d’Angoulême prend ce jour-là trois cerfs dix-cors612. Une chasse à courre de la Restauration à Rambouillet

est retranscrite par Perrin du Lac :

610 FAURE Félix, op. cit., p. 51.

611 VIAL Charles-Eloi, op. cit., p. 632-694 612 DE JANTI Pierre, op. cit., p. 114.

A 9 heures [du soir], la curée eut lieu en face du château sur un gazon qui touche aux canaux. Les dames sortirent et l’on présenta à chacune une baguette pour éloigner les chiens qui auraient pu les gêner. Un piqueur à cheval sur l’animal tient ses bois et fait mouvoir la tête en présence des chiens qui sont tous en face et libres. Lorsqu’ils veulent se jeter sur l’animal, des valets les menacent du fouet et les font retirer. Ils approchent ainsi et se retirent alternativement jusqu’à un signal donné par le prince. Cette scène, illuminée par les torches, fait un effet extraordinaire.613

La chasse à courre se poursuit à Rambouillet de 1834 à 1851. Puis en 1851, Napoléon III expulse la société de chasse qui loue la forêt pour s’en rendre le veneur exclusif. Ce choix est assez curieux car les sources ne conservent que très peu de traces des chasses à courre de l’Empereur à Rambouillet. Tandis que les chasses à tir sont précisément enregistrées et détaillées, seules neuf chasses de la Vénerie nous sont connues.

La forêt accueille ces chasses du cerf à Rambouillet. Si nous ne pouvons pas détailler l’ensemble des lieux parcourus, il en est un qui fait figure de paysage de vénerie par excellence. Il est connu par un récit d’une chasse fantastique et exceptionnelle de Saint-Hubert qui aurait eu lieu le 3 novembre 1771 : il s’agit des étangs de Saint-Hubert. Le bat-l’eau, c’est-à-dire quand le cerf cherche à échapper aux chiens et à se refroidir dans une mare ou un étang prend régulièrement place dans ces étangs. Le récit d’Eugène Chapus même s’il est jugé peu crédible par beaucoup d’auteurs mérite tout de même qu’on y prête attention, pour le côté spectaculaire de la chasse à courre, et la fonction que peut prendre une résidence de chasse :

Le 2 novembre, les équipages, qui déjà avaient été conduits à Sénart, revenaient à Rambouillet. Le lendemain, dès cinq heures, les valets de limiers de la vénerie royale avaient fait quête dans divers cantons de la forêt. Le roi n’arriva que tard : sa suite était nombreuse. On se rendit, pour l’attaque, à la garenne de Chagny, située à égale distance des Ivelines et de la Briche de Poigny. Les équipages du grand veneur se joignirent à ceux du roi. Les relais furent placés de manière à empêcher certaines refuites.

L’un fut envoyé au bois de la Trèche ; un autre sur le chemin des Dames, entre Poyers et Orphin ; un troisième, à l’entrée des Rotties, vis-à-vis le bois de la Grange ; et d’autres, et d’autres encore au bois de Vilpaix, au bois de l’Épard, au bois de Milmont, aux Longues-Mares.

La chasse débute par la bruyante fanfare de la Saint-Hubert et de la Rambouillet. La première ne se sonne jamais qu’au jour solennel de la fête du patron des veneurs : c’est le morceau d’ouverture comme aussi le final obligé du drame qui n’a qu’un jour dans l’année. Enfin, la Royale retentit ; chacun comprit qu’alors les chiens attaquaient un cerf dix-cors. L’à-vue se fit entendre ; l’animal prit parti, et, à sa suite se précipitèrent les piqueurs du roi, les princes, les grands seigneurs, les courtisans et une foule de cavaliers portant la livrée bleue du roi et la couleur verte du duc de Penthièvre. »

« Monsieur d’Yauville, disait le roi en traversant le carrefour des Cinq-Arpents, vous aurez contribué à me faire faire une gaie Saint-Hubert. Aurons-nous un bel hallali ?

- Sire, je l’espère … Un hallali digne du patron officiel de la chasse.

- A propos de saint Hubert, notre illustre et vénéré patron, dit le roi, connaissez-vous son histoire d’Yauville ?

- Je ne connais pas l’histoire de saint Hubert, repartit d’Yauville, qui voulait faire sa cour.

- Ah ! c’est étrange ; officiellement, vous devriez la savoir… C’était, disent les meilleures traditions, un beau cavalier et un riche seigneur d’Aquitaine qui se livrait aveuglément, comme nous pourrions

le faire, aux vanités de ce monde. Il passait dans les bois toutes les heures qu’il ne consacrait pas à l’amour. Cette vie d’iniquité, c’est la chronique qui dit cela, ne pouvait toujours durer, et, un jour qu’il poursuivait un cerf au fond des inextricables et solennelles forêts des Ardennes, tout à coup une apparition des plus étranges s’offrit à lui : un miracle … Mais d’Yauville, fit le roi en s’interrompant, je crois que les chiens balancent. Il a paru du change.

- Oui, sire ; et cela vient fort mal à propos au milieu de votre narration.

- Au contraire, fit le roi, c’est un incident que je ne déteste pas à la chasse, quand c’est monsieur d’Yauville qui la mène. Voyons ! comment allez-vous manœuvrer ? »

D’Yauville a mis pied à terre, et, suivi d’un piqueur, il s’est avancé ; il a cassé des branches qu’il a jetées dans la voie du cerf qu’il a vu passer.

Il enlève quelques chiens, il leur présente cette voie ; mais les chiens demeurent tout à fait.

Le conseil des veneurs se tient. Quelques-uns vont aux informations ; depuis le lancer, M. le commandant avait observé que l’animal chassé ne faisait que taupiller en cherchant du change. On enveloppe plusieurs enceintes à la fois ; les chiens manœuvrent activement, ils mettent le nez à toutes les coulées. D’Yauville les nomme par leurs noms ; il les excite, il les flatte ; on entend claquer le fouet des piqueurs pour en ramener quelques-uns.

Bientot ils s’agitent, crient ; par leurs façons, il est presque certain qu’ils ont retrouvé le cerf. D’Yauville, pour s’en assurer, tâche d’en revoir ; nul doute, c’est le cerf. On sonne fanfare, la chasse repart.

Après avoir battu les parties opposées de la forêt et après un débuché, le cerf, barré dans quelques- unes des voies, était rentré et se dirigeait vers les étangs de Saint-Hubert.

La journée était sur son déclin. Le soleil, si pâle à cette époque de l’année, commençait à lisérer d’or le sommet des arbres. Les bûcherons, occupés à faire des abattages, venaient de recommencer leurs travaux d’après-dîner. Les charrettes des marchés de Rambouillet, qui s’étaient rendues à Versailles, s’en retournaient à vide en suivant au pas la grande route à travers la forêt.

D’Yauville jugea qu’on pouvait laisser le cerf librement se forlonger dans la direction des étangs. Il allait tête en terre.

Il y aura, comme il l’avait prévu, un hallali dans l’eau. Les dames en ont été averties, et toutes, avec l’agrément du roi, ont envahi le château de Saint-Hubert : les croisées donnant sur les étangs sont ouvertes. Ainsi que tous ceux qui suivaient la chasse en carrosse, elles y ont été prendre place. Le peuple, accouru, se range à son tour pour voir l’hallali. On attend. L’animal dispute longtemps sa vie ; il tient les abois ; il court sur l’ourlet des étangs.

Quand l’hallali avait lieu hors de l’eau, l’ancien usage vous le savez était d’aller couper le jarret à l’animal. On mettait même de la vanité à cette bravade, souvent dangereuse pour les hommes. Sous Louis XV, on eut recours au fusil.

Tandis que l’animal, qui était sur ses fins, se préparait à battre l’eau, Sa Majesté alla prendre position sur les bords de l’étang, ainsi que sa nombreuse suite vêtue de ce riche costume bleu que la tradition et les tableaux contemporains nous ont transmis. Enfin le cerf s’était mis à la nage, […] il naviguait et multipliait ses évolutions nautiques, poursuivi par les chiens de la meute.

Tout à coup, à l’extrémité sud de l’étang, venant par les Ivelines, un second cerf paraît. Il est également sur ses fins. Des sons éloignés de la trompe se font entendre ; derrière, au fond de l’horizon, surgissent une meute qui donne des voix, des cavaliers portant les couleurs rouges du duc d’Orléans. Nul doute, c’est le prince qu’un incident imprévu amène à Rambouillet ; la chasse est partie de la forêt de Dourdan, qui n’est qu’à un quart de lieue de la haie de Rochefort. Le duc de Penthièvre et le roi Louis XV y allaient souvent quand ils chassaient les cerfs attaqués dans les Ivelines. […]

Un officier de la suite du roi, qui craignait pour les plaisirs de Sa Majesté, voulut se détacher et aller donner l’ordre à l’équipage du duc de rétrograder. Mais le roi, qui le devina, l’arrêta.

« Qu’on ne dérange personne, dit-il ; c’est fort joli à voir. » Ce double hallali appelait les regards de tous.

Mais voici qu’à la tête même de ces étangs, du côté du nord, un troisième cerf paraît et viennent une autre meute, d’autres cavaliers, d’autres piqueurs et d’autres valets. La surprise est grande, la rumeur grande ; on se regarde. […] Cette fois [la livrée] est jaune, c’est celle du prince de Condé ! » [...] Ayant bénéficié de relais sur la route de Chantilly à Rambouillet, le prince de Condé se retrouve lui aussi sur les bords de l’étang de Saint-Hubert. « Cela tenait du merveilleux » souligne Eugène Chapus.

« Alors on vit ce que de mémoire de chasseur on n’avait vu, trois cerfs à l’eau, trois meutes à leur poursuite, trois équipages aux livrées contrastées assistant au spectacle de leur lutte, puis un triple hallali.

C’est un fait très-connu et très-observé en vénerie que les vieux cerfs qu’on a transportés d’une forêt à une autre s’en reviennent à leurs demeures primitives lorsqu’ils sont vivement chassés. D’Yauville, mieux que personne, connaissait cette particularité des mœurs des bêtes fauves. Parmi les animaux dont il avait composé la remonte de Chantilly, le plus beau cerf, celui qu’on avait choisi pour la solennité de la Saint-Hubert, avait été tiré des réserves de Rambouillet. […]614

Tous les princes de Rambouillet connaissent un bat-l’eau à Saint-Hubert durant leur règne. Cette continuité permet d’identifier ce paysage monumental comme un haut lieu de la vénerie d’État. Les rares représentations de chasses en forêt de Rambouillet figurent d’ailleurs ce lieu : le médaillon de Vasserot dans la salle de bain de l’empereur du château, l’illustration de Jadin sous Napoléon III615.

Les présidents eux ne disposent plus d’un équipage d’État pour chasser en forêt. Toutefois, certains présidents de la République sont des passionnés de vénerie. Félix Faure fréquente les chasses de l’équipage de Bonnelles-Rambouillet lorsqu’il vient à Rambouillet. Mais Vincent Auriol semble encore plus s’impliquer dans l’équipage puisqu’il en est bouton d’honneur dit Pierre de Janti. Il mêle chasses à tir et à courre, tel que le 18 octobre 1952. Le président Auriol invite le duc d’Édimbourg et les souverains de Hollande à la prise d’un daguet par l’équipage de Bonnelles-Rambouillet. Le 2 481e trophée est envoyée à la reine de

Hollande616. Ces grandes trames présentées, nous pouvons poursuivre sur les aspects

symboliques de la vénerie.

Rappelons pour finir, que la chasse à courre est publique. Le peuple peut venir voir le roi au rendez-vous. C’est donc l’occasion pour le prince de chasse de s’y mettre en scène : prince en bonne santé, généreux, protecteur et bienfaisant. « Quand Louis XVIII vient à Rambouillet en 1818 [pour la seule chasse de tout son règne], les boutiques de la ville furent fermées, cinq mille personnes vinrent à l’Étang de la Tour et les restaurateurs, les orchestres et les bals finirent par perturber la chasse617 ». La chasse est une fête et un spectacle non seulement

pour les princes. La mondanité de la vénerie permet également de retrouver l’élite dirigeante, foncière ou financière lors des laisser-courre de l’équipage de Bonnelles.

614 CHAPUS Eugène, Les chasses princières en France, de 1589 à 1841, Paris, Hachette, 1853, p. 82-93. 615 VASSEROT Jean, Vue de l'étang du Pourras à Rambouillet, vers 1810, huile sur toile, d. 38,5 cm, Château de Rambouillet, Salle de bain de l’Empereur ; JADIN Emmanuel, Maison de l’Empereur. La Vénerie, 1852-

1870, texte et dessins par Emm. Jadin d’après ses propres études et les dessins et croquis de son père Godefroy Jadin, peintre de la Vénerie, Paris, Manzi, Joyant et Cie, 1905.

616 DE JANTI Pierre, « Les Honneurs à Vincent Auriol », Plaisirs de la Chasse, mars 1966, p. 106. 617 VIAL Charles-Eloi, op. cit., p. 563. Voir annexe une chasse de 1826 par Champin.

2- Le Rituel de la Quête : revisiter la vénerie par l’histoire

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