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Troisième partie : Gouverner par la

III- Créer et maintenir l’abondance : l’élevage

3- Les menaces : nuancer le gouvernement humain

L’élevage est un cas d’étude exemplaire pour l’histoire de l’environnement et de la déconstruction d’un mythe de domination totale de la nature par l’homme. La réussite de l’homme dans l’élevage est soumise à bien des aléas et le succès n’est pas garanti même avec l’arrivée des médicaments. L’une des menaces permanente de l’élevage est la prédation des faisans. Armand de Quingery débute son traité sur les faisanderies par la présentation des prédateurs du faisan. Pour chaque étape de sa vie, de l’œuf, au stade de faisandeau puis de faisan adulte, cet oiseau connaît de nombreux prédateurs. « Le renard est placé au premier rang 593», l’accompagne les mustélidés et les rapaces tout au long de leur vie mais aussi les

chiens et les chats. Les corvidés et le hérisson s’en prennent également aux nichées en mangeant les œufs. Réussir l’élevage n’est donc pas une fin en soi, il faut maintenir l’abondance en gibier en détruisant les ennemis du faisan.

Le garde faisandier doit avant tout s’attacher à la poursuite du renard, le plus vorace des animaux ci-dessus désignés. Sa destruction doit être le principal but de tous ses efforts ; non seulement il le chassera avec ardeur durant l’hiver, époque où sa peau a le plus de valeur, mais encore dans les autres saisons, surtout lorsque les femelles sont pleines ou bien lorsqu’elles nourrissent. Il peut en tuer beaucoup en se rendant à l’affût soir et matin, et encore en mettant des chausse-trappes et les autres pièges. 594

Rapaces, corvidés, mustélidés, canidés sont des menaces à surveiller qui vont participer à l’essoufflement en gibier du domaine sur le temps d’une saison de chasse. Il faut aussi mentionner un aspect très simple qui nuance le pouvoir humain sur la nature. Le faisan est un oiseau, et en tant qu’oiseau il vole. Les murs n’arrêtent donc pas les faisans du domaine. Une partie des oiseaux s’envole donc pour d’autres cieux, les chasseurs les récupèrent en partie lors des petites chasses dans le Petit Parc de 1880 à 1914 puis ils s’évaporent dans la nature.

Le climat, les intempéries et les conditions de vie sont également des preuves de la résistance de la nature à Rambouillet. Et le progrès technique n’empêche rien. Armand de

592 WIDMER Jean-Paul, op. cit., p. 76-77. 593 Ibid., p. 9.

Quingery explique que la situation géographique de la faisanderie importe énormément : terre fertile et sèche sont des conditions essentielles595. Les faisandeaux ne supportent pas l’humidité.

C’est pour cette raison que les parquets sont exposés au sud pour profiter d’une exposition au soleil importante. Le 13 juillet 1788, un orage et ses grêlons causent des pertes dans les rangs de lièvres, de perdrix et de faisans du domaine. Même à Rambouillet les répercussions de l’éruption du Laki en Islande se font sentir596. Les périodes d’humidité, de pluie ou de neige

sont également très nocives pour les faisans. En 1922, « en raison des intempéries, les éclosions sont en retard de près d’une quinzaine de jours sur l’an dernier et qu’il y a même encore actuellement, de tout jeunes faisandeaux naturels provenant de recoquetages, il ne me paraît pas possible de prévoir une chasse officielle, avec des faisans susceptibles de voler, avant le 25 octobre, au plus tôt597 ». Un élevage retardé signifie une chasse retardée. La venue des princes

est dépendante de la réussite du faisandier et des faisans. En 1980, le domaine subi des pertes considérables durant l’élevage :

Je rappelle que le printemps et le début de l’été 1980 ont été particulièrement humides et froids. Il en est résulté une pathologie absolument exceptionnelle sur les faisandeaux : coccidiose, trichomonose, et surtout salmonellose. Nous avons ainsi perdu 2.000 faisandeaux pendant la saison d’élevage.

D’autre part, l’humidité a entrainé une dispersion de nos canards qui, habituellement bien cantonnés sur les plans d’eau où ils étaient élevés, se dispersaient à l’intérieur des parcs de chasse. 40% d’entre eux ont, pour cette raison, été perdus.598

Les maladies du faisan sont en effet très surveillées au domaine. Des granulés vermifugés sont distribués aux reproducteurs pendant l’élevage. De leur éclosion à leur 24e jour, les faisans

sont également l’objet de traitements vétérinaires : traitements contre les affections bactériennes : staphylocoques, salmonelles ; anti-infectieux digestif ; contrôle de l’eau de boisson ; vitamine E et sélénium ; minéraux, vitamines599. Et à leur arrivée sur le tiré de

nouveaux traitements leur sont donnés contre la trichomonose, l’histomonose ; l’entérite nécrosante, un anticoccidien ; un anti-infectieux gastro-intestinal et respiratoire, un anti- stress ainsi que des granulés vermifugés. De tels traitements ne garantissent pas la survie des oiseaux ni la victoire sur la maladie et l’épidémie :

595 QUINGERY Armand de, op. cit., p. 21.

596 L’éruption colossale du Laki le 8 juin 1783 provoque en Europe des tempêtes, des intempéries qui a leur modifient le climat pendant plusieurs années.

597 ADY, 6Q 530 : note du 10 août 1922 au Chef du Service des Chasses présidentielles, Général de division [Lasson].

598 ADR : Rapport d’activité Chasses présidentielles année 1980. 599 ADR.

Le 3 juillet 1990, une forte attaque de coccidiose et de trichomonose a eu lieu sur les faisandeaux âgés de 5 semaines sur le tiré du Pavillon. Après autopsie à la clinique vétérinaire de Lamotte Beuvron, le traitement suivant a été préconisé : [Diétridazole, Néomycine, Baycox]

Il est à noter que le docteur vétérinaire Jacques Sennelier estime qu’il faut repenser le plan prophylaxie et qu’il faut éviter de fatiguer les oiseaux par des traitements préventifs trop polyvalents surtout vers 25 jours »

Jean-Paul Widmer explique les raisons de ce traitement intensif :

Une reproduction totalement naturelle, à partir des poules sur le terrain après la saison de chasse, est totalement illusoire. Celle-ci a bien lieu et, chaque année, on observe des poules avec des poussins mais ils disparaissent rapidement. En effet, le terrain sur lequel sont passées des générations et des générations de faisans, est pollué par toutes les maladies liées à cette espèce.600

La concentration d’oiseaux produit une telle densité d’animaux que les maladies viennent réguler le nombre de manière drastique : la suppression des pontes annuelles. Il faut aussi penser aux prédateurs qui échappent aux destructions des gardes. Une dernière source invite à réfléchir sur les conséquences d’un tel traitement :

Plusieurs produits vétérinaires ont été interdits par « Bruxelles ». Or, ces produits sont absolument indispensables pour les élevages de faisans et, surtout, de canards. Il s’agit :

-du Ridzol (Ronidazol) pour lequel il existe encore un produit de substitution : le Dimetridazole, mais qui est moins efficace.

-du Chlorenphénicol (antibiotique) pour lequel il n’existe pas, pour l’instant de produits de substitution. La raison de cette interdiction est qu’il reste trop de résidus de ces produits dans la viande des animaux. Ne serait-il pas possible d’obtenir une dérogation pour les animaux de chasse ? (Avec interdiction de consommer la viande éventuellement).601

Les chiffres sont également intéressants pour illustrer l’amélioration de la maîtrise du processus d’élevage et l’intensification de la production de gibier à Rambouillet. En 1788, Butemps achète 379 poules couveuses et 11 dindes, et le total de la correspondance pour cette année permet de donner le chiffre de 2 827 œufs achetés (faisans et perdrix rouges)602. Les

perdreaux sont élevés par huit gardes du domaine. En 1807, 2 014 œufs sont pondus603. En

1808, Butemps a élevé 700 faisans à Rambouillet604. Le 17 mai 1813, ce sont 728 œufs qui ont

été pondus et en juin il y a 291 faisandeaux à la faisanderie605. Les lacunes des sources

empêchent d’être plus précis pour le Premier Empire. Il en de même pour la Restauration. Toutefois, l’augmentation du nombre de pièces aux tableaux permet de préciser l’augmentation de l’élevage. Les conditions matérielles d’élevage témoignent également de cet essor de l’élevage sous Charles X. Le 1er août 1853, 664 faisandeaux, 125 perdreaux rouges, 488

600 WIDMER Jean-Paul, op. cit., p. 74. 601 ADR.

602 ADY, 60J 458bis.

603 GRANGER André, Vieux papiers d’Yveline, op. cit., p. 92.

604 ADY, 6Q 501 : lettre de Froidure à Serracin, Paris, 28 février 1809. 605 ADY, 6Q 506.

perdreaux gris et 26 cailles sont lâchés dans les tirés de Rambouillet606. En 1927, le récapitulatif

des résultats de l’élevage permet de suivre en détail les chiffres :

360 poules et 100 coqs placés en parquets. Mise en parquet 5 mars, début ponte 5 avril. Sur 3 600 œufs mis en incubation, 1256 sont livrés sur les tirés à 30 jours, la moyenne de l’éclosion est de 63,6%. 445 sont cassés en cours d’incubation, 435 sont clairs, 370 sont morts en coquille, 2 295 éclosent, 141 meurent avant la mise en boîte, 2209 sont mis en boîte, 953 meurent depuis la mise en boîte, 1256 sont livrés sur les tirés à 30 jours.607

Sous la présidence de François Mitterrand le suivi est permis de 1982 à 1992. En 1981-1982, 12 697 faisans sont placés sur les tirés ; en 1983-1984, 14 380 ; en 1984-1985, 16 774 ; en 1986-1987, 17 627 ; en 1987-1988, 16 064. Puis les chiffres atteignent leur apogée en 1992 avec 18 229 faisans placés608.

606 BENOIST Georges, Grandes chasses, grands fusils, op. cit., p. 248. 607 ADY, 6Q 531.

Chapitre VIII : Une guerre totale et permanente :

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