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Savoir pour gouverner

III- Deux exemples choisis de connaissances cynégétiques partagées

1- Les chiens de Rambouillet

Le chien est aujourd’hui l’animal considéré comme le « meilleur ami de l’homme ». C’est l’animal domestique et de compagnie par excellence. En dehors de ces représentations et classifications naturalistes contemporaines, le chasseur constitue un autre cas d’étude inédit pour déconstruire sur le long temps historique le clivage nature/culture. Le chien de chasse est un loup parmi les chiens pourrait-on dire. Pour se faire comprendre du moderne disons que le chien de vénerie – et le chien de chasse en général – est un animal dit domestique chez qui le sauvage est cultivé, à travers ses capacités et ses réflexes de chasse. L’instinct est de plus en plus nuancé dans l’étude zoologique puisque les animaux possèdent des cultures de chasse très variées. Lever, courre, rapporter le gibier sont des comportements acquis et cultivés, encouragés.

Le chien du chasseur c’est une variété de races, d’individus canins, de personnalités et de comportements. Les meutes de chiens sont des familles élargies, des groupes canins qui travaillent ensemble pour saisir le gibier. Le paramètre central du chien de chasse c’est sa relation au gibier traqué. Le chasseur cultive la culture de chasse de son chien ou de sa meute. Pister, flairer, marquer l’arrêt, rapporter le gibier, tenir au ferme, sont des actions et des accomplissements du chien de chasse. Son apparence est importante, mais ce sont surtout ses qualités cynégétiques qui sont au centre des processus de reproduction, de sélection des races et des individus : la voix ou l’aboiement, la course, l’endurance, la force (muscles et crocs), la discipline et l’obéissance font un chien de chasse.

Les deux grandes pratiques de chasse à Rambouillet sont la vénerie et la chasse à tir. Toutes deux nécessitent des chiens. Les sources domaniales pour les chiens à Rambouillet sont finalement assez rares. La meute de chiens dépendant de la vénerie les archives sont celles de la Vénerie du Roi ou de l’Empereur. Ce sont plutôt les chiens de chasse à tir et des gardes qui font des apparitions documentaires ponctuelles. Mais elles-aussi sont assez rares. Les chiens nous l’avons vu sont hébergés avec les humains dans les chenils ou le bâtiment de la Vénerie à Rambouillet. Ils parcourent le domaine avec les veneurs, ou le Grand parc lors des chasses à tir, mais aussi en tant que nuisibles. Les deux grands groupes de chiens de Rambouillet sont les chiens courants et les limiers de la vénerie et les chiens de rapport pour les chasses à tir. Dans l’ombre, en-dehors des chasses officielles travaillent aussi les chiens des gardes : chiens de sang, chiens d’arrêt, chiens de garde.

La pratique toute entière de la vénerie est basée sur le travail des chiens. Le début de journée commence par les quêtes : la recherche de l’animal de la journée. Les valets de limiers en sont chargés et sont accompagnés de limiers, qui sont « fait pour travailler à la main et pour ne pas donner un coup de gueule354 ». Le limier doit aider le valet à trouver le cerf sans le faire

fuir avant l’arrivée de l’équipage : il reste « à la main » c’est-à-dire en laisse et proche du valet et ne doit pas aboyer à l’inverse complet du chien courant qui « est fait pour chasser et pour crier355 ». Les limiers de Normandie utilisée jusqu’ici par la vénerie ont disparu à cause d’une

maladie à la fin du XVIIIe siècle. Pour répondre à cela, d’Yauville explique qu’il est possible

de dresser un chien courant comme limier « mais en supposant qu’on réussise à le rendre secret [silencieux], il lui faut encore beaucoup d’autres qualités que, pour l’ordinaire, on ne trouve réunies que dans un chien de vraie race de limier356 ».

Les chiens courants constituent la meute. Ce groupe canin est spécialiste dans l’art de flairer le gibier. Chaque meute est spécialisée de plus sur un animal, sur une espèce de gibier, la vénerie dit qu’il est créancé sur le cerf, créancé sur le chevreuil. Le chien doit de plus être capable de garder la voie, c’est-à-dire de suivre avec son flair la piste de l’animal attaqué, choisi lors de la quête par les veneurs. Mis sur la voie, le chien courant doit poursuivre, traquer, garder le change jusqu’à l’hallali, « lorsqu’un cerf tient aux chiens357 ». Dans le groupe tous les chiens

ne sont pas égaux. Certains courent plus vite, d’autres ont une meilleure voix, et d’autres gardent mieux le change. Le rôle des veneurs est donc d’avoir un groupe homogène et équilibré, les chiens ne doivent pas se faire distancer, ou perdre le change. Les relais servent à s’adapter à ces différences dans la meute. Pour se diriger jusqu’au relai ou circuler dans le domaine, les chiens sont associés par couples, d’où le terme de découpler pour signifier les lâcher. Lorsque huit ou dix chiens sont liés ensemble, on parle de harde de chiens, comme pour le groupe de cerfs. Le relai permet de renforcer ou de remplacer les chiens. Pendant le courre du cerf, les chiens peuvent se perdre, être distancés, se fatiguer, le relai est donc essentiel pour poursuivre la traque. De plus, comme l’explique Joan Pieragnoli, les relais correspondant à des meutes différentes : « les chiens les plus jeunes et les plus vites constituent la meute proprement dite […] tandis que les plus vieux sont employés pour donner les relais ». « Le premier relai, dit la « vieille meute », est composée des chiens d’âge les plus vigoureux après ceux de la meute. Le deuxième, appelé « seconde vieille meute », comprend des chiens encore plus sages et moins

354 YAUVILLE Jacques d’, Traité de vénerie, op. cit., p. 120. 355 Ibid.

356 Ibid.

rapides. Le troisième et dernier relais est celui des « six chiens »358 » en rappel du don des

moines de Saint-Hubert de six chiens au roi chaque année. Les chiens font l’objet de soins toute l’année et les dépenses sont fréquentes : blessures à la chasse, maladies menacent les meutes359.

Les chiens de Louis XVI sont des chiens d’Artois ou chiens normands, « à la robe tricolore – tachée d’orange et de noir360 ». Après la Révolution, les meutes s’anglicisent.

« L’intérêt pour la vénerie s’accrut après la paix d’Amiens, signée le 25 mars 1802, quand les chasseurs britanniques purent à nouveau se rendre en France361 ». L’Angleterre est un haut lieu

de chasse à courre, notamment du renard, ce que vont découvrir les émigrés durant la Révolution. « Le retour des émigrés et l’arrivée des Anglais contribuèrent ainsi à accélérer le retour de la chasse comme pratique sociale privilégiée, touchant particulièrement l’entourage de Bonaparte362 ». La proximité géographique et l’intérêt français pour l’Angleterre mène à

associer les qualités canines des chiens anglais aux meutes princières, royales et impériales françaises363. Déjà sous l’Ancien Régime, les meutes et les chiens font l’objet de discours selon

leur nationalité. Jacques d’Yauville exprime les qualités et inconvénients des deux peuples canins en 1788 : « Je conviens qu’ils ne crient pas aussi bien [les chiens Anglois], et ne mettent pas aussi régulièrement le nez à terre que nos chiens François ; mais en général ils sont plus légers et plus vigoureux364 ». A partir de la Restauration, la chasse doit s’accélérer365. « En

1820, d’Hanneucourt importa enfin des pointers anglais rapides et endurants366. Il y eut

plusieurs croisements entre les chiens tricolores et les Saint-Hubert venus d’Angleterre, qui finirent par former une « race de Saint-Germain ». Celle-ci participa aux chasses royales après 1825 et se répandit dans la région de Paris au XIXe siècle367 ». C’est donc Charles X qui lance

et profite de cette meute binationale. Le dernier souverain à pratiquer en son nom la chasse à courre à Rambouillet est Napoléon III. La constitution de la meute impériale est difficile. Il faut acheter des chiens de qualité et qui correspondent à la pratique de chasse de l’Empereur. Il ne s’agit plus de passer des jours et des heures à la chasse à courre. Il faut des chiens rapides et

358 PIERAGNOLI Joan, La cour de France et ses animaux, op. cit., p. 179. 359 VIAL Charles-Eloi, Le Grand Veneur, op. cit., p. 355-359.

360 Ibid.., p. 354. 361 Ibid., p. 48. 362 Ibid., p. 49.

363 Pour la chasse à courre du renard : ELIAS Norbert, DUNNING Éric, Sport et civilisation la violence

maîtrisée, Paris, Fayard, [1986] 1994 et pour l’anglomanie en France : COOPER-RICHET Diana, La France anglaise. De la Révolution à nos jours, Paris, Fayard, 2018.

364 YAUVILLE Jacques d’, Traité de vénerie, op. cit., p. 117. 365 VIAL Charles-Eloi, op. cit., p. 178.

366 D’Hanneucourt les achète en Angleterre à Samson Hanbury, « qui dirigea de 1799 à 1831 l’équipage de chasse au renard de Puckeridge », VIAL Charles-Eloi, op. cit., p. 179.

efficaces. Le Grand Veneur, le prince de la Moskowa parvient à acheter vingt foxhounds anglais au marquis de l’Aigle, qui accepte de céder sa meute à l’Empereur368. La rareté, le prix et le

temps de dressage de ces animaux empêchent d’aller chercher ces chiens en Angleterre directement.

Outre les chiens de vénerie, Rambouillet est fréquenté par des chiens lors des chasses à tir. Il s’agit de chiens de rapport. Lors des tirés, le chien rapporte le gibier mort aux chasseurs. Mais il peut être blessé, désailé, il n’a plus les capacités de voler mais il peut encore courir. Le chien peut permettre de récupérer le gibier blessé ou perdu dans la végétation. Mais il faut attendre la république pour les voir apparaître. Adolphe de la Rüe exprime le risque de leur tirer dessus, la trop grande fréquence des coups de feu et le nombre de gibier trop important 369.

Georges Benoist est une source exceptionnelle au sujet des chiens de rapport. Auteur d’un ouvrage sur les chasses de Rambouillet et des Vaux-de-Cernay, George Benoist est le conducteur de chiens des chasses présidentielles pendant trente-cinq ans, sous la Troisième République de 1896 à 1931370. Les retrievers sont utilisés pour rapporter le gibier des tirés. Les

labradors sont également de bons chiens de rapport. Mais ces chiens doivent être très bien dressés pour ne pas abîmer le gibier entre leurs crocs et il faut « n’utiliser que des chiens très obéissants pour les chasses officielles, qui ne vont pas loin 371», pour ne pas créer de désordre

et ne pas faire fuir le gibier en avance. Les chiens sont efficaces : le 23 décembre 1983, trois chiens, Lamia, Lockness et Mil rapportent 61 oiseaux372. Les chiens de rapport sont une autre

démonstration de l’association entre homme et animaux pour la chasse.

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