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Les chasses à tir et les tirés : rois, empereurs et présidents

Chapitre VIII : Une guerre totale et permanente : pratiques et rites de chasse

II- Les chasses à tir et les tirés : rois, empereurs et présidents

1- La chasse dans les tirés : un rite de cour dynamique

Le tiré du prince est la pratique la plus importante de chasse à tir du XVIIIe au XXe siècle.

Très codifié, le tiré évolue d’une pratique et d’un aménagement réduit jusqu’à un véritable paysage et dispositif environnemental. Le tiré est un cérémonial d’autoreprésentation du prince. Les princes se mettent en scène en train de régner et gouverner par la chasse. Unique tireur pour Louis XVI et Napoléon toute la préparation mène à démontrer la toute-puissance du souverain dans son domaine : sur la nature et les animaux et en même temps sur les hommes mêlés à la chasse. Les tirés sont le théâtre d’une cérémonie cynégétique dynamique : le tiré de Louis XVI est très différent de celui de Napoléon Ier, tout comme les tirés de Valéry Giscard d’Estaing

n’ont plus rien à voir avec ceux de Charles X. Le cérémonial, le rituel évolue autant que le paysage. Pour retracer le parcours de ce rite de cour quelques récits complets nous sont fournis pour Napoléon Ier, Charles X et Napoléon III642. D’autres récits plus lacunaires nous sont

fournis pour la république. Beaucoup tentent d’instaurer une continuité entre les tirés sans témoigner de l’évolution de certains aspects paysager ou technique.

La chasse à tir évolue énormément entre 1783 et 1995 à Rambouillet et en France en lien avec l’évolution des armes à feux. Il faut prendre en compte cet aspect technique et matériel qui révolutionne le rite de chasse. Louis XVI et Napoléon Ier utilisent les mêmes armes à chargement par la bouche. Napoléon Ier récupère les fusils du roi-martyr et les fait adapter à sa

taille et leur rajoute des coussins. Le grand changement technique s’opère en France entre 1830 et 1850 lorsque les armuriers Lefaucheux (Casimir Lefaucheux 1802-1852 et son fils Eugène 1832-1892) invente en 1836 les cartouches à broche, ancêtre de la cartouche moderne qui comprend balle, poudre et amorçage. Il n’y a plus à introduire chacun des éléments individuellement par la bouche du canon. Napoléon III utilise encore des fusils à baguette mais en 1867, l’empereur décide d’adopter des fusils à bascule à percussion centrale Gastine- Renette. Seuls six fusils Gastine-Renette sont nécessaires pour remplacer les dix fusils à baguette643. Les chargeurs de l’empereur n’ont plus à amorcer par la bouche, la cartouche se

place par la culasse grâce à un système de basculement des canons. Ce type d’armes à canons

642 Ils sont reproduits en annexes.

basculants est celui qu’utilise les présidents et leurs invités jusqu’à la fin du XXe siècle. Les

progrès sont tels que seuls deux fusils sont nécessaires pour les derniers tirés présidentiels. Et un seul chargeur à la place des dix chargeurs du XIXe siècle.

Sous Louis XVI, les tirés à Rambouillet sont rares et nomades. Ils prennent place dans les parcs et d’autres lieux du domaine. Pour cette chasse à tir, des rabatteurs sont engagés jusqu’à une semaine avant la chasse pour rabattre le gibier sur le lieu de chasse644. Des maisons

de bois sont également aménagées sur le site de chasse : en 1786, une cabane doit se trouver contre le parc de Voisins, l’autre contre la remise de la Charbonnière et l’autre remise de Batonceau dans la plaine de Gazeran. En 1787, une cabane est démontée de Gazeran pour être placée au bord de l’étang du Moulinet. En septembre, elle est démontée de Moulinet pour être placée à Grenonvilliers645.

Sous le Premier Empire, les chasses à tirs sont organisées à Rambouillet dans les filets. Des trottins de sable sont aménagés sur le circuit de chasse. L’Empereur avance sur ce trottin épaulé à gauche et à droite par des lignes de rabats, formées de « une multitude de gens, soit les militaires de la garnison, soit les paysans du voisinage646 ». Le premier porte-arquebuse de

l’Empereur Beauterne charge les fusils impériaux qui lui sont transmis par une colonne de chargeurs composée d’officiers de la garde. Un maître armurier surveille l’état des armes qui peuvent être amenées à chauffer à cause de la cadence de tir. Des banderoles encerclent l’enceinte chassée, une pratique qui est conservée jusqu’à la Troisième République. Appelées filets elles donnent le nom à la pratique et au lieu de chasse. Puis à la fin du filet les ailes encerclent en formant un rond les derniers gibiers concentrés et la marche s’achève par le bouquet où les oiseaux s’envolent de toute part. Seuls les ramasseurs sont autorisés à ramasser le gibier au sol. Et c’est l’Empereur qui distribue le gibier, ce qui lui permet d’incarner cette figure du prince prodigue et nourricier. Les traqueurs et ramasseurs sont remerciés après avoir rendu le matériel : guêtres, bâtons, plaques d’identification par une gratification. Ce récit permet de situer l’origine de cette pratique qui reste celle pratiquée sous la Restauration. Au service du prince tous se plient : chargeurs, ramasseurs, traqueurs, rabatteurs, officiers dans une véritable mise en scène du pouvoir princier.

Sous la Restauration la pratique se codifie et se normalise. L’heure du rendez-vous et le lieu commencent à se fixer : 10h pour les princes, 9h pour le service. « Le jour du tiré, les

644 ADY, 60J 458 bis.

645 ADY, 60J 458 bis : Memoire des ouvrages de menuiserie fait et fourni pour les Chasses de Rambouillet par ordre de Monsieur Antoine Capitaine des Chasses année 1787.

gardes et les batteurs se réuniront à 5h du matin à la faisanderie ; après l’appel, on fera les battues ordinaires647 ». Les deux ronds fréquemment utilisés comme Rendez-vous sont la Butte-

aux-Genièvres et la Chasseuse. Aux plaques assignées aux traqueurs viennent les remplacer des brassards. Impairs pour la ligne de gauche, et de couleurs différentes selon les brigades de militaires engagées, numérotés ils doivent conserver leur position de départ. L’ordre et la discipline doivent régner dans les tirés princiers. Pour le tiré du 20 novembre 1828, l’ordre de marche suit un chemin fixé qui passe dans tous les tirés. Il faut noter que l’aménagement des layons, ces chemins de chasse permet un déplacement plus facile, puisque la voie est dégagée de tout obstacle, mais le tiré reste une marche longue de plus dix kilomètres, avec une cadence de tir importante, à laquelle il faut ajouter le poids des armes. La mise en scène du prince marcheur et chasseur permet de relayer cette image du corps sain du roi qui règne sur le royaume. Le bouquet est aussi un moment où la discipline doit régner pour refermer l’étau sur le gibier sans désordre de la ligne. Le 20 novembre 1828, la marche est d’ailleurs rendue chaotique. Les soldats suisses étant tellement ivres lors du tiré du 20 novembre 1828 que les uns tombaient dans la marche et que les autres ne voulaient pas obéir […], l'ensemble du tiré a souffert pendant tout sa durée648 ». Le lien entre la guerre et la chasse n’est pas à Rambouillet

simplement métaphorique. Les tirés sont conduits selon un ordre militaire et par des militaires. La chasse devient dans les tirés une forme de parade et de démonstration militaires : tactique, stratégie, ordre, uniformes, discipline, le rappellent. La présence de l’armée invite à s’interroger sur la perte de la fonction militaire des princes après Napoléon Ier. Le tiré et la chasse pouvant

se dévoiler être le dernier lieu de pouvoir, où le chef de l’État peut tenir et utiliser une arme. A la chasse le prince conserve ce rôle de roi de guerre et de chasse par l’usage de la violence et de la mort mesurée et codifiée.

Sous le Second Empire, les tirés sont transformés dans leur matérialité : l’augmentation du nombre de layons, de l’étendue du tiré lui-même et dans la pratique : neuf layons à la place de trois ou cinq. Un autre ajout qui n’apparaît pas dans le tiré précédent est celui de l’usage de chiens de rapport. Adolphe de La Rüe évoque un valet et ses deux retrievers, un héritage que la République étendra à d’autres races canines. Les rabatteurs sont toujours équipés des bâtons comme sous le Premier Empire et sont constitués en ailes de chaque côté des invités. Les sources mentionnent plus souvent les lâchers de chevreuils depuis des caisses de transports dissimulés le long de la marche impériale. Les princes partagent ce goût pour l’armée : « comme les rabatteurs sont des soldats, tous les mouvements, les temps d’arrêts, les marches

647 Bourdon, voir annexes.

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