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biopouvoir et population

2- La population, l’espèce et le biopouvoir

Le gouvernement pastoral est un règne sur l’individu, réalisé presque au cas par cas, une micro-politique adaptative sur les sujets, les ressources, les terres et les animaux. A ce gouvernement pastoral des hommes et des animaux se greffe pour le cas rambolitain cette notion de population. Le biopouvoir, la biopolitique rejoignent le gouvernement pastoral des animaux. Il ne s’agit donc pas dans ce cas précis d’un bouleversement complet mais d’un processus dynamique et conjoint. Le pouvoir pastoral est augmenté du biopouvoir entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XXIe siècle à Rambouillet. Le manque de sources sur les

animaux à Rambouillet pour le XVIIIe siècle empêche de saisir le début du processus. Quelques éléments de bibliographie ou d’autres cas d’étude appuient donc la réflexion. Les archives disponibles permettent tout de même de suivre ce processus mais aussi un processus plus large de rang national. Notre période se caractérise par l’évolution des politiques cynégétiques. Rambouillet est un cas d’étude exceptionnel mais il peut être remis dans un contexte plus global de la naissance d’un biopouvoir animal en France qui pour la plus grande partie de notre période est un gouvernement cynégétique. C’est donc l’application du pouvoir à la chasse que nous filerons avec le biopouvoir animal rambolitain car il permet de comprendre les seuils et les évolutions.

« La rationalisation de la pratique gouvernementale exige l’unité de la population comme un ensemble de vivants sur lequel des technologies peuvent s’appliquer444 » dit Bernard

Andrieu. Au cours de notre période, les humains prennent conscience que l’animal n’est pas un

443 MACMILLAN Alexandre, « La biopolitique et le dressage des populations », Cultures & Conflits, 78, été 2010, p. 43.

fruit de l’abondance et qu’il peut disparaître. Les disparitions d’espèces dans les aires extra- européennes, le contexte colonial et l’émergence des préoccupations environnementales bouleversent la façon de penser l’environnement et l’animal445. Apparaît donc cette idée de la

ressource finie, de l’animal comme groupe quantifiable et fini : la population animale. Les scientifiques ont aussi fait émerger l’idée d’espèce pour classer le vivant. L’idée de « l’individu comme espèce » animale se superpose à cette notion de population446. Michel Foucault est à

associer à Claude Lévi-Strauss sur ces recherches et ces réflexions. En particulier dans Les Mots

et les Choses (1966), et La pensée sauvage (1962) qui livrent un état du système de pensée

scientifique français. Savoir, catégorie, taxinomie, nombres sont des catégories inhérentes à la société de la mise en ordre et de l’objectivation qu’est la France scientifique et qu’incarnent ces deux penseurs447.

Toute la difficulté de ce travail de recherche d’un gouvernement par la population est d’identifier le moment et le lieu où l’on peut parler de population. Le terme étant rare si ce n’est absent des sources. Les documents que nous allons étudier sont des outils de populations mais ils n’utilisent pas de ce terme, ni vraiment le même concept que celui que nous entendons comme une population. Ces outils sont appelés par les sources : états. États du gibier, état du fauve, état de destruction des nuisibles, tableaux de gibier, tableaux des pièces de gibier sont ce corpus documentaire qui témoigne de l’émergence du concept de population animale à Rambouillet. Après les mots du chapitre précédent, viennent les choses, et après eux les chiffres448. Compter, mettre en série de chiffres, ordonner dans des tableaux les animaux

marquent une seconde étape du gouvernement par le savoir à Rambouillet.

Cette volonté d’estimer et de connaître correspond à la nouvelle considération pour la terre que Michel Foucault situe au XVIIIe siècle. Dans le cadre de l’émergence d’un biopouvoir,

Michel Foucault étudie l’un des processus d’évolution de la gouvernementalité autour du passage « d’une estimation de la puissance d’un prince par l’étendue de ses possessions à une recherche des forces plus solides », c’est-à-dire, « sur les richesses intrinsèques à l’État, les

445 GROVE Richard, Les Iles du Paradis. L’invention de l’écologie aux colonies 1660-1854, présentées par Grégory Quenet, Paris, La Découverte, 2013 ; LUGLIA Rémi, Des savants pour protéger la nature. La Société

d’Acclimatation (1854-1960), Rennes, PUR, 2015 ; MATHIS Charles-François, In Nature We Trust. Les paysages anglais à l'ère industrielle, Paris, PUPS, 2010. Il faut également penser aux sources que sont les récits

des naturalistes : Buffon, Linné, Darwin.

446 LÉVI-STRAUSS Claude, La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962.

447 Cette relecture de ces deux ouvrages sort du sujet étudié, mais il est intéressant de voir que les deux penseurs se livrent à une réflexion commune. En pensant livrer uniquement le point de vue de l’autre, ils livrent la vision du scientifique occidentale et sa manière de penser le monde. Il fait entrer les catégories, les taxinomies des étudiés dans ses catégories du savoir et permet une révélation de l’étudié et de l’étudiant.

ressources, ce dont il peut disposer, ressources naturelles, possibilités commerciale449». Pour

évaluer cette richesse, « et ces choses que le souverain doit connaître, ces choses qui sont la réalité même de l’État, c’est précisément ce qu’on appelle à l’époque la « statistique »450 ». Le

terme Statistik apparaît pour la première fois en 1749, en Allemagne, dans le traité de Gottfried Achenwall451. « La statistique étymologiquement, c’est la connaissance de l’État, la

connaissance des forces et des ressources qui caractérisent un État à un moment donné » telle que « l’estimation des richesses virtuelles dont dispose un État : les mines, les forêts, etc. 452».

Les tableaux de Rambouillet sont bien à lire et à étudier en corrélation avec cette naissance de la comptabilité d’État, ils forment une statistique animale du domaine, un état de ses ressources et ses capacités environnementales, cynégétiques et faunistiques.

La chasse est un gouvernement de l’animal. En nommant, en estimant, en comptant les animaux les chasseurs se font les gouverneurs du gibier. Ils gouvernent au départ par ponction en élevant chaque année du gibier, en tuant et en comptant les tués. Puis apparaît la notion de population avec la comptabilité des animaux vivants sur le domaine. Nous suivrons donc ces deux types d’outils de gouvernement des animaux par la chasse : les morts puis les vivants.

II- Compter pour gouverner la Nature : tableaux, états

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