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comportements de déplacement par l’accessibilité horaire

V.2.2 Théorie des graphes, indices et algorithmes

Contrairement à ce que son nom semble indiquer, la théorie des graphes n‟est pas l‟émanation d‟un courant de pensée conceptuelle mais plutôt un arsenal d‟instruments permettant de répondre à des questions précises. On peut d‟ailleurs situer sa naissance en 1736 quand Leonard Euler a formalisé et résolu à l‟aide d‟un graphe le problème des sept ponts de Koenigsberg, démontrant qu‟il était impossible de traverser une fois seulement chacun des ponts en revenant à son point de départ. La théorie des graphes est donc à l‟origine un domaine des mathématiques, utilisé dans des domaines aussi variés que la biochimie, les sciences sociales ou l‟application industrielle. C‟est en fait la recherche opérationnelle des années 1950 et 1960 et son essor conjugué aux perfectionnements des outils informatiques qui a engendré un attrait massif pour la théorie des graphes (Mathis 2003b).

La recherche opérationnelle, en particulier aux Etats-Unis, s‟est développée autour de résolutions de problèmes concrets d‟origine par exemple militaire ou logistique. Ces problèmes se caractérisent souvent par leur taille : le nombre de solutions peut rendre impossible tout essai de résolution en utilisant l‟algébrique simple. C‟est pourquoi ce domaine a développé des méthodes efficaces et puissantes de résolution de problèmes. Ces méthodes des sciences dures ont ensuite été importées par les sciences humaines (analyse spatiale, aménagement, Mathis 2003b).

On considère que « Les graphes constituent l’outil théorique le plus utilisé pour la

modélisation et la recherche des propriétés des ensemble structurés. Ils interviennent à chaque fois que l’on veut représenter et étudier un ensemble de liaisons (orientées ou non) entre les éléments d’un ensemble fini d’objets » (Beauquier, Berstel et Chrétienne 1992).

Ainsi, les graphes, s‟ils ont d‟abord servi à la représentation de relations immatérielles et de réseaux sociaux ou organisationnels, sont maintenant largement mobilisés pour modéliser les

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relations physiques et donc les réseaux de transport (Mathis 2003b). La modélisation par graphe se situe sur deux plans différents : la représentation des réseaux et la résolution de problèmes relatifs aux transports (Mathis 2003b).

La puissance des graphes pour la représentation des relations tient à sa simplicité. De manière explicite et informelle, on pourrait définir le graphe comme un ensemble de points dont certains sont reliés par des lignes. Les points sont appelés nœuds ou sommets et les lignes arêtes. La représentation peut en être matricielle : la matrice d‟adjacence est la matrice booléenne carrée dans laquelle figure les liens de contiguïté entre tous les nœuds du graphe. La valeur figurant dans la matrice est 1 si les nœuds sont reliés par au moins une arête ou 0 s‟ils ne le sont pas. Mais les possibilités de représentation graphique sont plus intéressantes pour les relations physiques.

La représentation graphique des réseaux de transport par les graphes confère au modélisateur une grande liberté : il suffit de connaître le nombre de nœuds, le nombre d‟arêtes et de savoir quels nœuds sont reliés par quels arêtes. Comme le souligne l‟auteur français de référence sur les graphes, Claude Berge, « Seul importe de savoir comment les sommets sont reliés. » (Berge 1967). Cela signifie que la localisation relative des nœuds n‟a aucune importance. En d‟autres termes, la théorie des graphes n‟a pas été créée pour modéliser la géographie des lieux.

Les modélisateurs des transports ont donc dû adapter les graphes aux problématiques géographiques et affiner la représentation. En particulier, il a fallu différencier les nœuds entre eux et les arêtes entre elles. Les nœuds ne sont en effet pas tous équivalents dans les systèmes de transport, ils peuvent être de taille, de forme ou de nature différente. L‟information nodale est ainsi une question récurrente dans les modélisations des réseaux de transport par les graphes (Chapelon 1996). En particulier, la modélisation des réseaux de transport à des échelles différentes, qui représentent plus finement les déplacements, s‟est récemment développée. La précision des paramètres spatiaux évoquée dans la partie précédente nécessite une modélisation des pré et des post-acheminements (déplacements précédants le départ du train et succédants à son arrivée par exemple). De plus, pour une précision encore plus grande, il est préférable de modéliser les temps d‟attentes et les temps de parcours à l‟intérieur des stations de transport. Par exemple, le temps de connexion pédestre entre l‟arrivée en Gare du Nord et le départ du RER B est un facteur très important d‟un déplacement que l‟on appellera multi-échelle. La modélisation de la chaîne complète de déplacement est ainsi un objectif qui peut être réalisé à l‟aide de graphes, sous réserve d‟un outil de modélisation performant et adapté.

De la même manière, les arêtes diffèrent de longueur, de capacité, de nature (le mode de transport) ou même de sens. La théorie des graphes permet de représenter une partie de ces différences. En effet, un graphe orienté, ou digraphe, est défini comme un graphe dont les arêtes sont orientées, c‟est-à-dire qu‟elles ont un sens de fonctionnement, une origine et une destination. Ces arêtes s‟apparentent à des flèches et sont appelées arcs. D‟autre part, un

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graphe valué donne un poids à ses arêtes, ce qui fait passer la matrice d‟adjacence d‟une formulation booléenne à une formulation numérique. Les calculs de distance sont donc possibles dans les graphes. Ils ont d‟ailleurs souvent été utilisés pour mesurer des indicateurs d‟accessibilité. L‟addition du nombre d‟arcs nécessaires pour accéder à un nœud ou la somme de la longueur de ces arcs ont servi de bases à différents indices rendant compte de l‟accessibilité d‟un nœud et ainsi des différentiels d‟accessibilité au sein d‟un graphe (indice d‟accessibilité nodale, indice de Marchand…). Karl J. Kansky a formalisé beaucoup de ces indices et montré comment ils étaient applicables dans les modèles de transport (Kansky 1963). Ces indices (indice de connexité, de connectivité…) ont d‟ailleurs pour partie été retenus dans le logiciel d‟analyse de réseaux de transport CRAPO, introduit dans la partie I.3. L‟intérêt des calculs permis par les graphes dans les analyses de transport a aussi été mis en lumière par Gabriel Dupuy (Dupuy 1985).

Outre ces considérations quant à la précision de la modélisation des caractéristiques du transport, la plus grande lacune initiale de la théorie des graphes pour la représentation des réseaux de transport est l‟absence de la localisation. En l‟état, comme le dit Philippe Mathis, « la seule prise en considération dans la théorie des graphes de l’existence des sommets, de

leur nombre et des relations entre eux, est insuffisante pour la modélisation des réseaux »

(Mathis 2003b page 22). La réduction des relations physiques à leur nature rétistique occulte en effet toute la morphologie des réseaux. Or la forme des réseaux joue un rôle important sur les déplacements (cf. le système de déplacement, Decoupigny 2000).

En plus de cette lacune, les graphes ne possèdent a priori aucune géolocalisation. Des méthodes de projection en trois dimensions ont permis de créer des graphes à référence géographique ou des graphes à référence spatiale, principalement utilisés pour prendre en compte les effets du relief et de la topographie (hydrographie, revêtement…Mathis 2003b, Serrhini 2000). Mais le problème principal des graphes est qu‟ils représentent un espace fonctionnel sans aucune considération de ressemblance. Ainsi, le dessin d‟un graphe n‟est ni reproductible ni comparable (Mathis 2003b). Pour limiter ces défauts, rationaliser les représentations par les graphes et saisir toute la teneur de la morphologie des relations, il est alors nécessaire de modéliser les graphes dans un référentiel géographique. La modélisation doit être géoréférencée pour que le graphe soit modélisable dans un SIG.

Le respect des paramètres spatiaux doit aller de pair avec celui des paramètres temporels. Comme expliqué dans la partie précédente, le graphe doit permettre la modélisation de l‟ensemble de la base de données horaires régionales.

Les graphes sont donc adaptés à la modélisation des transports sous réserve d‟une prise en compte des paramètres spatiaux et temporels. De plus, les graphes permettent de résoudre des problèmes spécifiques au transport grâce à l‟algorithmique.

Un algorithme est une série de tâches qui s‟exécutent en vue de donner une réponse à un problème posé. Les algorithmes se sont largement développés en parallèle des progrès de l‟informatique. Cependant, malgré des puissances de calcul importantes, certains algorithmes

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ont une complexité telle que la solution ne peut être obtenue en un temps raisonnable. Des solutions optimales sont alors calculées, représentant les solutions les plus proches possibles de la solution visée. Toutes les combinaisons possibles ne sont pas systématiquement testées, ils suivent des choix que l‟on appelle heuristique dans ce cas. Il faut ainsi bien avoir à l‟esprit que les algorithmes donnent des résultats optimaux ou parfois sous-optimaux, qui ne sont pas des résultats mathématiques absolus.

Il existe de nombreux algorithmes utilisés dans la théorie des graphes concernant les problèmes de hiérarchie des nœuds (algorithmes de recouvrement : Prim, Kruskal…) ou de trafic (algorithme du flot maximum de Ford-Fulkerson), mais parmi les problèmes les plus anciens et les plus riches en application il faut citer ceux qui sont relatifs au cheminement. En particulier, le problème du plus court chemin a engendré un grand nombre d‟algorithmes qui peuvent être mobilisés pour des calculs d‟accessibilité. Le problème est de trouver pour tout couple de nœuds le plus court chemin entre eux, dans les deux sens, dans un graphe valué ou non, étant entendu que le chemin est la succession d‟arcs reliant une origine à une destination. L‟intérêt de cet algorithme est le calcul systématique de la distance entre les nœuds. Pour simuler un comportement de déplacement, il est nécessaire de poser certaines hypothèses. Or dans un graphe, il peut exister un grand nombre de chemins différents entre un nœud et un autre. L‟hypothèse qui sous-tend tout calcul de distance (ou d‟accessibilité) dans un graphe représentant un réseau de transport est celle du plus court chemin. Autrement dit, on considère que l‟individu se déplaçant d‟un nœud à un autre connaît et prend systématiquement le trajet le plus court. La modélisation étant fondée sur des critères temporels, dans notre cas il s‟agira du trajet le plus court en termes de durée. Cette hypothèse paraît tout à fait acceptable si on ne tient pas compte du prix du transport. En effet, un trajet en transport collectif à l‟échelle régionale est souvent guidé par la volonté de minimiser le temps de parcours. L‟information est assez accessible que ce soit sur Internet ou dans les stations de transport et il est rare que les usagers réguliers aient à cette échelle un comportement de non minimisation. Seul le facteur économique peut alors faire abandonner le chemin minimal en termes temporels au profit d‟un autre. Encore une fois, à l‟échelle régionale, les différences de prix sont minimes. Concernant les déplacements urbains, les différences vont de la même manière se faire entre les abonnés et les autres, plus que selon les chemins possibles. Il semble peu probable qu‟un usager multiplie son temps de trajet par 1,5 pour économiser moins d‟un euro.

La seule situation où l‟hypothèse du plus court chemin pose problème est celle de la CUNCA. En effet, les cars proposaient en 2007 un service plus rapide que les lignes de bus urbains pour un déplacement qui pouvait être similaire (même origine et même destination) et un prix supérieur. C‟est aussi le cas des navettes entre l‟Aéroport et la gare de Nice, qui coûtent quatre euros contre 1 euro pour les bus urbains classiques. Tous les réseaux ont été modélisés et l‟analyse prendra en considération cette différence de prix.

Les algorithmes du plus court chemin permettent ainsi de définir des accessibilités entre un couple de nœuds. Ils sont basés sur le principe de sous-optimalité, ce qui veut dire que pour chaque nœud x intermédiaire dans le plus court chemin entre l‟origine o et la destination d, le sous-chemin entre o et x est le plus court chemin entre o et x.

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Le travail de l‟algorithme sera donc de tester tous les chemins entre o et ses voisins afin de déterminer le plus court et le nœud correspondant x, puis de faire de même avec les voisins des voisins, et ainsi de suite jusqu‟à atteindre d. Il existe de nombreux algorithmes de chemins minimaux, comme celui de Bellman-Ford, particulièrement puissant, ou celui de Floyd- Warshall, qui a la particularité de reconstituer son chemin par l‟intermédiaire de ce que l‟on appelle la matrice des précédents. L‟algorithme de Floyd est ainsi notamment très utilisé dans les calculs de chemins minimaux pour les graphes routiers, dans lesquels il permet de reconstituer le déplacement routier entre deux nœuds. Ces algorithmes présentent néanmoins l‟inconvénient d‟être fortement chronophages. L‟algorithme de Dijkstra-Moore se distingue par sa simplicité et son économie de temps. Il est cependant d‟utilisation plus restreinte : le graphe doit être orienté, connexe (on peut atteindre n‟importe quel nœud à partir de n‟importe quel autre) et les arcs de valeur positive ou nulle. Ces conditions remplies, l‟algorithme de Dijkstra se distingue par le fait qu‟il ne teste qu‟une seule fois les arcs plus longs que l‟arc de référence et les relâche aussitôt sans les stocker, contrairement à celui de Floyd qui nécessite plusieurs bouclages (voir à ce sujet Baptiste 2003 ou Bozzani 2005). Le résultat n‟en est pas moins optimal. L‟algorithme de Dijkstra permet donc une production efficace d„un grand nombre de calculs d‟accessibilité.

A l‟aune des considérations techniques présentées dans cette partie, notre outil doit : - permettre la modélisation des réseaux de transport dans un graphe ;

- prendre en compte la chaîne complète de déplacement, y compris les cheminements piétons en station ;

- modéliser différents modes de transport collectifs ainsi que l’ensemble des horaires associés ;

- intégrer une géolocalisation dans un SIG ;

- utiliser l’algorithme des chemins minimaux de Dijkstra pour effectuer des calculs d‟accessibilité.

V.2.3 Procédés méthodologiques de simulation d’un service de