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Chapitre IV : La structuration par l’espace temps

IV.1 Les navetteurs comme indicateurs de fonctionnement territorial

IV.1.2 L’importance des déplacements domicile travail

Nous avons vu que le fonctionnement des territoires est ordonné par la distribution des fonctions dans l‟espace. La localisation de ces fonctions permet alors de mesurer le potentiel de fonctionnement des territoires. Il est cependant nécessaire de préciser que les fonctions sont de différentes natures. En effet, les déplacements sont motivés par des attracteurs de plus en plus multiples : loisirs, achats, famille…

Pour permettre de choisir au mieux les fonctions propices à une construction territoriale, il est donc préférable de s‟intéresser à l‟importance relative de ces différents motifs.

A ce sujet, en recensant les différents travaux menés sur les mobilités, il apparaît clairement que les déplacements pour motif de travail ont la priorité voire souvent l‟exclusivité. Ces déplacements quotidiens semblent en effet représenter avec assez de fidélité un mouvement général, immuable et uniforme des personnes dans le temps et l‟espace.

Néanmoins, les dynamiques de métropolisation ont clairement fissuré ce modèle monolithique (cf. I.2). La déréglementation, la flexibilité, la réduction des coûts salariaux sont allées de pair avec la réduction légale du temps de travail pour assouplir les schémas connus. Le travail ne construit plus à lui tout seul la géographie des mobilités.

Cette évolution se traduit notamment par la place croissante des mobilités de tourisme et de loisirs , voir Meyer 2001). Ainsi, les fonctions récréatives ont grignoté une partie des fonctions de travail dans la mobilité.

De plus en plus il est ainsi recommandé d‟inclure les mobilités ne concernant pas le travail et les recherches sur les mobilités autres commencent à se multiplier (Girard et Gésillon 2004) avec par exemple l‟étude sur les théâtres et autres lieux culturels de l‟aire métropolitaine marseillaise.

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Nous avons toujours été conscients de cette évolution et nous nous inscrivons dans cette lignée (Conesa 2004) sur la fréquentation à motif récréatif des espaces naturels.

C‟est pourquoi il nous apparaît nécessaire d‟intégrer des fonctions de loisir dans notre analyse. Néanmoins, et malgré ces évolutions universelles et spectaculaires, la majorité des fonctions retenues sont des fonctions de travail. D‟ailleurs, le formalisme de simulation des comportements de mobilité adopté sera calibré sur des déplacements domicile - travail.

En effet, les mobilités dues à la fonction travail, même si elles ne concernent plus l‟immense majorité des déplacements en milieu urbain, restent des mobilités que l‟on peut qualifier de « structurantes » (Massot 2009).

Ce vocable peut amener à plusieurs interprétations, plusieurs aspects qu‟il est nécessaire de détailler ici.

En premier lieu, les mobilités de travail, si elles ne sont plus majoritaires dans l‟ensemble des déplacements, l‟ont été pendant longtemps. Ainsi les territoires ont en grande partie été construits par des migrations pendulaires de travail. Les villes, en particulier, restent fonctionnellement liées à la localisation des bassins d‟emplois. En effet, la multiplication des flux et des directions n‟entraîne pas de manière instantanée un remodelage du territoire et des infrastructures. Si les territoires se sont modelés par des déplacements domicile - travail, il est moins sûr que les nouveaux attracteurs de loisirs ou de service redessinent les territorialités, qui plus est à l‟échelle régionale. Dans leur étude citée précédemment, Nicole Girard et Boris Gésillon veillent bien dans leur conclusion à stipuler que la tâche de l‟aménageur est plus ardue avec les mobilités récréatives. En effet, les activités culturelles par exemple sont soumises à des données sociologiques précises et n‟ont pas les mêmes implications que les activités liées au travail (Girard et Gésillon 2004). Ce type de mobilités est ainsi par exemple plus soumis à l‟incertitude quant à leur croissance à venir. Ce constat s‟étend à toutes les activités de loisir et une bonne partie de celles de service. Les mobilités dues au travail sont ainsi plus sûres et plus prévisibles et donc continuent à servir de point d‟analyse privilégié. De plus, si en proportion les déplacements domicile - travail baissent, leur importance dans les mobilités urbaines reste prépondérante. En effet, la somme des déplacements effectués masque l‟importance que prend chaque motif dans la structuration du territoire. Les déplacements domicile - travail se caractérisent par deux modalités temporelles principales : - une grande fréquence et surtout une très forte régularité. Ainsi, malgré les évolutions récentes, un déplacement travail aller-retour est encore quasi journalier (sauf le week-end) et ceci pour une grande partie des jours dans l‟année. Cette régularité confère aux déplacements domicile - travail une solidité statistique précieuse. Malgré leur nombre croissant, les mobilités alternatives restent plus aléatoires dans le temps.

- une durée d‟activité exceptionnelle. Là encore, malgré les pratiques et politiques nouvelles, un déplacement de travail va encadrer une activité à destination (entre l‟aller et le retour) qui

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dure la plupart du temps huit heures, et au minimum quatre heures. Cette durée des activités signifie le captage de la population pendant une plage horaire très longue : le déplacement a plus d‟importance pour celui qui l‟effectue mais aussi pour la structure territoriale qui l‟abrite. Le stationnement en est un exemple parmi d‟autres (on ne se garera pas de la même manière pour cinq minutes ou huit heures). Tous les déplacements n‟ont donc pas le même impact sur la construction du territoire.

Leur fréquence et la longueur de l‟activité qu‟ils impliquent rendent les déplacements de travail prépondérants dans la construction des territoires urbains (Wiel 2002).

Enfin, sur le plan géographique, les déplacements n‟ayant pas trait au travail ne bouleversent pas les bassins de vie et les territoires vécus. Cesare Marchetti établit une règle simple sur le comportement de mobilités dans l‟espace que l‟on peut formuler ainsi : l‟individu est contraint par la nécessité de rentrer chez lui le soir (Marchetti 2002). Peu importe donc le nombre des déplacements, le périmètre du déplacement quotidien ordonne l‟organisation spatiale des espaces urbains. Si la théorie de Marchetti a été remise en question, on peut la considérer comme valable dans la plupart des cas (Vodoz 2004).

Par conséquent, l‟étude des potentialités de structuration territoriale doit sélectionner des déplacements potentiels et les tester, sans nécessairement refléter l‟intégralité des fréquentations réelles. En effet, les mobilités définissant des espaces de pertinence territoriale, le caractère discriminant d‟une relation est l‟impact potentiel sur la construction du territoire, et non pas l‟importance relative des flux (nombre de voyageurs/jour par exemple).

L‟ensemble des arguments précédents plaide à ce sujet pour une analyse centrée sur les déplacements domicile - travail. En effet, les horaires de travail possèdent une nature contraignante, rigide, (un « temps obligé », « tempo obligato » selon Martinotti, Zajczyk et Boffi, voir Martinotti, Zajczyk et Boffi 2000) qui leur confère un poids supérieur à leur part dans les mobilités totales. Luca Bertolini affirme d‟ailleurs : « Home to work trips are, in the

Netherlands as elsewhere, a minority and declining share in total mobility. However, because of their highly constrained nature they have a more than proportional impact on the day-to- day functioning of an urban region. » (Les déplacements domicile - travail constituent, aux

Pays-Bas comme n‟importe où ailleurs, une part mineure et décroissante de la mobilité totale. Pourtant, à cause de leur nature hautement contraignante ils ont un impact plus que proportionnel sur le fonctionnement quotidien d‟une région urbaine. Traduction personnelle de Bertolini 2005).

Suivant cet ordre d‟idée, dans une logique de promotion de recherche « time oriented », Sandra Bonfiglioli et Stefano Stabilini proposent une vision des « horaires de travail comme

régulations des rythmes urbains » (Bonfiglioli et Stabilini (Vodoz, Pfister-Giauque et Jemelin

2004 p.311). En effet, les auteurs affirment que l‟organisation sociale et les rythmes des sociétés métropolitaines, en particulier les temps des services publics et le temps de la famille sont dépendants de la structure horaire du travail.

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Malgré la part croissante des mobilités alternantes, notre analyse portera ainsi en majorité sur des demandes potentielles ayant trait à des relations domicile - travail à l‟échelle du quotidien. En particulier seront analysées les possibilités de commuting.