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d’aménagement du territoire

I.3 Comment appréhender les performances « territoriales » des réseaux de transport ?

I.3.3 Intégrer des variables et des valeurs territoriales

Nous ne sommes certainement pas les premiers à s‟interroger sur la réalité territoriale des modèles de transports et sur l‟incorporation de variables territoriales dans les modèles de transport. Si Gabriel Dupuy a très tôt formalisé ces relations et posé les jalons des analyses

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quantitatives (cf. partie I.1 et I.2), les approches modélisatrices datent pour l‟essentiel des années 1990.

On peut citer pour note, dans le domaine des prévisions de trafic, le logiciel MATISSE (Modèle d‟Analyse du Transport Interrégional pour des Scénarios de Services en Europe) développé à L‟INRETS. C‟est le premier modèle qui entrevoit les avantages à prendre en compte les qualités du service de transport par l‟intermédiaire d‟un accès à la grille horaire pour prévoir la géographie des déplacements.

Cependant, les premiers réels efforts de rapprochement entre des caractéristiques territoriales et une analyse de transport doivent être attribués à Nikolaos Stathopoulos. En effet, durant sa thèse, il a conçu le logiciel RETIS en collaboration avec la RATP pour l‟évaluation des qualités connectives des réseaux de bus de banlieue parisienne (Stathopoulos 1990). La grande nouveauté de son approche et de son travail de modélisation a été la prise en compte de pôles urbains, considérés comme stratégiques et dirigeant la conception des réseaux.

Faisant suite à RETIS, le logiciel CRAPO, développé par Jian Jiang (Conception des Réseaux Assistée Par Ordinateur) a généralisé la mesure des qualités connectives des réseaux dans un réel souci de prise en compte des conséquences territoriales des transports (Jiang 1993). Les transports n‟étaient donc plus seulement appréhendés par et pour leurs qualités circulatoires : les points d‟accroches au territoire avaient pour la première fois un intérêt modélisable. De plus, l‟intérêt du logiciel était aussi de montrer les effets que les réseaux de transport pouvaient être susceptibles d‟impliquer sur les territoires, en particulier les déformations de l‟espace.

Par la suite, Nikolaos Stathopoulos développera son approche, notamment par la méthode d‟analyse multicritère ELECTRE, toujours dans la volonté de « s’éloigner […] des modèles

de prévision de la demande, pour se concentrer notamment sur les effets territoriaux de la distribution de l’offre et les problèmes d’équité d’accès au réseau, en élaborant, pour y parvenir, un ensemble de concepts, d’indicateurs ou de méthodes inspirés notamment de la théorie des graphes… » (Stathopoulos 1994 page 3).

Des variables comme le nombre de pôles accessibles avec ou sans correspondance étaient mobilisées dans l‟analyse.

Ces approches ont constitué un formidable apport pour la compréhension de l‟inscription territoriale des réseaux en « déplaçant le contexte de l’évaluation de la performance d’un

réseau d’une logique de flux connue des spécialistes et somme toute assez ésotérique pour les autres acteurs urbains concernés […] à une logique territoriale dans laquelle l’opérateur du transport doit justifier son action planificatrice sur la base de référents et de concepts simples compris par la grande majorité des acteurs impliqués » (Stathopoulos 1994 p. 15).

Quoi qu‟il en soit, les contraintes techniques de l‟époque se posaient en véritables handicaps. La modélisation du service de transport était en effet limitée en particulier au niveau des connexions et de la prise en compte des horaires (Stathopoulos 1997). Depuis 1997, de nombreuses approches ont à la fois perfectionné la modélisation du service de transport et amélioré l‟intégration des variables territoriales.

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En particulier, l‟école de Tours, anciennement CESA et maintenant Ecole Polytechnique Universitaire, a développé bon nombre de ces perfectionnements.

Dans le domaine des modèles de trafics, les améliorations techniques ont permis de simuler des flux multi-échelles (locaux ou de transit), à l‟évolution différentielle et dans un espace multinodal modélisé par le logiciel D-LOCAT (Mathis 2003a). Les conséquences sur l‟organisation urbanistique de la ville de Tours ont pu émerger de cette modélisation très sophistiquée de plusieurs caractéristiques urbaines. Cette approche est encore aujourd‟hui développée en empruntant à plusieurs outils de modélisation (graphes, SMA, automates cellulaires…) pour réaliser une véritable interaction entre l‟offre et la demande de transport (Buguellou 2005). Cette méthode permet à la fois de prendre en compte finement les caractéristiques de l‟espace et de modéliser non moins finement les comportements à l‟aide de règles simples. Celles-ci se caractérisent par une prise en compte de la temporalité et de la spatialité des activités, l‟usage de temps discrétionnaires et la possibilité d‟un apprentissage de la part de l‟individu, ce qui correspond plus fidèlement aux réalités des comportements de déplacement. Une méthode similaire a été utilisée pour modéliser les émissions de polluants dans le logiciel TUREP développé par Christophe Decoupigny ou encore pour analyser la vulnérabilité des réseaux dans des situations perturbées dans PERTURB (Coquio 2008).

En-dehors du domaine des flux et des trafics, l‟analyse des réseaux et de leurs effets territoriaux a aussi bénéficié des améliorations techniques.

Laurent Chapelon, par exemple, a largement amélioré les mesures des performances des réseaux au sein du logiciel NOD (devenu depuis MAPNOD), avec en particulier la méthode du zoom nodal (Chapelon 1996). Ces améliorations vont clairement dans le sens du territoire car ils permettent de prendre en compte l‟un des principaux traits des espaces : leur caractère multi-échelle. La précision des échelles de déplacement et en un certain sens l‟appréhension de leur hiérarchie est un grand pas en avant. Les nœuds de transport n‟ont ainsi pas tous la même dimension, le même rôle dans les dynamiques territoriales et à l‟intérieur même de ces nœuds un espace existe, et des déplacements le parcourent.

De plus, Laurent Chapelon a aussi été un des premiers modélisateurs à concevoir les inégalités comme une variable indispensable à prendre en compte dans l‟évaluation des transports (Chapelon 1997, Chapelon 2004). L‟intégration de nombreuses variables socio- économiques et leur quantification directe au sein des mesures des performances des réseaux constitue en outre un rapprochement développé des transports et des territoires (Chapelon, Jouvaud et Ramora 2004).

Le même constat peut être fait pour plusieurs modèles conçus et développés à Tours à la fin des années 1990. Ainsi les modèles RES et RES-DYNAM évaluent un système de transport par l‟intermédiaire de son impact sur un système de villes. La hiérarchie des villes et la hiérarchie des réseaux sont ici clairement confrontées et la modélisation dynamique permet de simuler des stratégies résidentielles fondées sur des données spatialisées telles que le prix du foncier ou les fonctions urbaines (Baptiste 1999).

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Une méthode similaire est développée par Fabrice Decoupigny dans le logiciel FRED (Fréquentations et Déplacements). Au départ l‟intérêt de la méthode était de modéliser en même temps et selon deux modes de calcul différents des déplacements motorisés et pédestres dans les espaces naturels de loisir (Decoupigny 2000). Les motifs des déplacements et la particularité des espaces était prise en compte, ainsi que les spécificités des modes. Ainsi pour la partie pédestre une modélisation fine des espaces physiques, en particulier les différences de pente, a été réalisée. Avec le temps FRED est devenu une plateforme de modélisation et désormais elle sert une grande prise en compte des variables socio-économiques spatialisées dans des analyses de potentiel des réseaux (Decoupigny et Fusco 2008). En particulier, les surfaces urbanisables, liées aux caractéristiques des réseaux de transport, permettent d‟établir des pressions potentielles sur le foncier (Decoupigny, Fusco, Conesa, Passel, Ravera et Scarella 2009).

Parallèlement, les représentations des effets territoriaux, notamment en matière d‟espace- temps, des réseaux de transport ont fait l‟objet d‟une modélisation de l‟espace en trois dimensions dans le logiciel MAP (puis MAPNOD), développé par Alain L‟Hostis (L'Hostis 1996). L‟union de MAP et NOD a donné naissance à un logiciel portant différentes analyses très territorialisées des réseaux de transport, non seulement par la qualité de la représentation du service de transport mais en plus par la finesse du questionnement relatif aux appropriations territoriales de ces réseaux (Chapelon, Baptiste, Coquio, Jouvaud, L'Hostis, Mende et Ramora 2005, L'Hostis, Decoupigny, Menerault et Morice 2001, L'Hostis et Baptiste 2006, Menerault et L'Hostis 2000).

Les hiérarchies, les structures, les lignes de force, les clivages territoriaux et en un mot tout ce qui peut faire l‟objet d‟une structuration par les réseaux de transport a été étudié, nous y reviendrons plus précisément dans les parties méthodologiques.

Notons bien que d‟autres approches, utilisant des méthodes différentes que celles de l‟école de Tours, réalisent aussi une intégration des variables territoriales dans la modélisation des réseaux de transport. Citons pour information les méthodes développées par Giovanni Fusco autour de RES-BAYES ou de la plateforme ART, ou encore les modèles s‟appuyant sur la morphologie des réseaux pour comprendre ou expliquer des fonctionnements spatiaux : la géométrie fractale (Frankhauser 1998, Genre-Grandpierre 2001), Tulip (Amiel, Mélançon et Rozenblat 2005) ou encore SpaceSyntax (Chiaradia, Moreau et Radford 2005).

Quelle que soit leur puissance prospective, ces modèles morphologiques négligent une grande partie des fonctionnements des systèmes de transport, liée aux variables temporelles.

De plus, les modèles morphologiques prêtent souvent à la critique par leur caractère déterministe et leur nature peu explicative, les modèles étant aussi destinés à comprendre et faire comprendre des processus (Sanders 2001).

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Le fait est que l‟intégration entre analyse de transport et éléments de territoires a plutôt été réalisée à notre connaissance dans des approches mêlant les compétences autour du codéveloppement entre transport et aménagement du territoire (Menerault, Barré, Conesa, L'Hostis, Pucci et Stransky 2006). Ces approches se sont appuyées sur un modèle d‟aide à la décision particulièrement adapté à la communication des effets territoriaux des systèmes de transport, que nous décrirons par la suite.

C‟est donc en s‟appuyant sur ces méthodes que nous allons tenter de construire une approche intégrée des analyses de transport et des possibilités qu‟ils offrent à la structuration territoriale.

Conclusion

Un bref tour d‟horizon des analyses de transport permet de tirer des enseignements utiles pour la construction de notre démarche.

Tout d‟abord, les analyses de transport classiques se distinguent par une méconnaissance et un déni trop grand des complexités territoriales. Partir de ces approches serait donc malaisé. D‟un autre côté, les recherches portant sur les processus d‟appropriation des réseaux s‟éloignent de l‟analyse des transports et, si elles ont un intérêt opérationnel indéniable, elles peinent à constituer une aide directe à la décision par l‟absence de simulation concrète et de quantification. Les choix sont en effet plus difficiles à justifier.

Un certain nombre de modèles se singularisent par la combinaison d‟une méthode modélisatrice solide et d‟une intégration satisfaisante des variables territoriales. C‟est dans cette branche que notre travail se positionne. Il faut alors remarquer les pistes proposées par le passage en revue de ces modèles :

- Une bonne intégration territoriale et surtout la suggestion d‟une appropriation par les comportements de déplacement passe par une représentation la plus complète possible du

service de transport ;

- Il est nécessaire d‟intégrer, à un moment ou à un autre du processus analytique, la

hiérarchie et les structures spatiales des territoires ;

- Il est préférable de ne pas faire l‟économie d’une réflexion sur les inégalités afin de se saisir pleinement des problématiques transport/territoire.

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