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Chapitre IV : La structuration par l’espace temps

IV.1 Les navetteurs comme indicateurs de fonctionnement territorial

IV.1.1 Fonctionnement = Fonctions + Déplacements

L‟objectif de structuration du territoire métropolitain par les réseaux contient la notion de fonctionnement. En effet, on considère que les espaces métropolitains fonctionnent par les interactions qui se produisent entre les différents éléments de l‟espace. La définition d‟un espace fonctionnel souscrit d‟ailleurs à ces interactions, qui se matérialisent entre autres par des déplacements de personnes. Le projet Polynet, analysant le degré de polycentrisme de différentes régions métropolitaines européennes, construit sa méthode sur la recherche de « functionnal connections » entre les différentes nodosités territoriales (Hall et Halbert 2005). C‟est donc en estimant les possibilités de connexions fonctionnelles que l‟on mesurera la capacité des réseaux de transport à favoriser une structuration métropolitaine. Cela concerne les déplacements entre des points de l‟espace qui construisent les régions métropolitaines fonctionnelles (Hall et Payne 2006).

Reste à savoir comment déterminer lesquels de ces points doivent être reliés ? Une réponse simple serait de se rapporter à la taille des villes dans une région métropolitaine. Or il est plus juste de remarquer que si les grandes villes génèrent des déplacements importants (émission ou attraction), c‟est en raison des fonctions qu‟elles accueillent. N‟oublions pas que le déplacement est fondé sur l‟hétérogénéité de l‟espace, ce qui est dans un lieu n‟étant pas nécessairement dans les autres.

Les grandes villes se construisent ainsi sur l‟accès à des fonctions économiques et des services. Les fonctions résidentielles y sont aussi développées. Pour généraliser on peut affirmer que les déplacements dans l‟espace sont motivés par le passage, au moyen d‟un mouvement physique, d‟une fonction du territoire à une autre. Le fonctionnement des territoires est ainsi représenté par la relation entre des lieux accueillant des fonctions, jouant des rôles différents dans la construction du territoire. La localisation des fonctions dans

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l‟espace est donc un nécessaire préalable à l‟analyse des possibilités de fonctionnement du territoire.

Comme introduit quelques lignes auparavant, la prise en compte des villes principales est une bonne manière d‟appréhender l‟ensemble des fonctions « urbaines » : zones d‟emploi, administrations, zones industrielles, bureaux, commerces et zones commerciales, services, récréation, etc.

Néanmoins, dans le contexte de la métropolisation, il nous est nécessaire de prendre en compte les fonctions métropolitaines. Comment les identifier ?

Des fonctions métropolitaines pas toujours faciles à identifier

La particularité des espaces métropolitains est d‟accueillir de manière exclusive certaines fonctions « supérieures », correspondant à un rôle dans l‟organisation économique mondiale, comme le suggère la définition d‟Anna Lee Saxenian (Saxenian 1994). Notons que les fonctions de commandement et de coordination sont au centre de l‟analyse (Huriot et Bourdeau-Lepage 2006). Etablir une définition précise et applicable des fonctions métropolitaines est malaisée, la notion de seuil peut sembler la remplacer en aménagement.

La réflexion territoriale porte sur une segmentation des fonctions par leur ampleur, soit la portée des équipements correspondants. Mais il peut s‟avérer tout autant délicat de disposer avec précision un curseur sur une échelle de portée des différents équipements que de se reporter à des définitions théoriques. En effet, si la fonction de recherche, représentée par un institut, un laboratoire ou une UMR, est aisément identifiable, pour bon nombre d‟autres fonctions, la distinction entre le niveau métropolitain et les niveaux inférieurs n‟est qu‟une question de seuil, sujette à arbitrage. Ainsi les musées, expositions ou autres foires peuvent prétendre à la fonction de récréation culturelle de niveau métropolitain, mais comment opérer à une sélection des lieux « métropolitains » sinon en définissant un seuil ? Pour mener l‟analyse, nous nous contenterons donc de diviser les fonctions entre le métropolitain et les niveaux inférieurs.

Il est possible de rapprocher cette modélisation de l‟analyse produite par plusieurs aménageurs (Buisson, Cusset, Etienne et Mignot 1995). Sur le plan économique, l‟avènement de l‟ « économie de la circulation » (Beckouche et Damette 1993) a bouleversé la hiérarchie urbaine fonctionnelle. Roberto Camagni identifie ainsi trois réseaux de villes correspondant à des niveaux différents des firmes qu‟elles accueillent et qui se mettent en synergie, réseaux de villes mondiales, nationales et régionales (Camagni 1993). Cependant, ces villes régionales sont et seront de plus en plus sujettes à la métropolisation et donc à l‟accueil des fonctions supérieures de l‟avis de différents experts sur les territoires urbains : « la croissance des

métropoles régionales et des villes moyennes est à la fois probable et souhaitable » réflexions

réunies selon la méthode d‟enquête DELPHI (Buisson et Mignot 1995). Cette croissance démographique (Sallez et Vérot 1993) s‟accompagne, dans une optique de compétition, de l‟accueil d‟un panel de fonctions de haut niveau afin d‟assurer une inertie, un recours minimum au territoire économique régional (La « Ville-assurance tout risque » de Pierre Veltz, voir Veltz 1994). Cela s‟explique aussi par la réorganisation de l‟économie globale, de

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l‟espace des firmes et de ses rapports avec l‟espace des villes, comme l‟explicite Anna Lee Saxenian : « Dans ces systèmes, qui sont organisés en fonction de réseaux horizontaux

d'entreprises, les producteurs intensifient leurs propres capacités en se spécialisant, tout en maintenant des contacts étroits, mais non exclusifs, avec d'autres spécialistes. Le système de réseaux est florissant dans les agglomérations régionales, où des interactions d'affaire répétées amènent un partage d'intérêt et une confiance mutuelle tout en intensifiant les rivalités et la concurrence. » (Saxenian 1994).

Notre typologie s‟attachera donc à séparer le métropolitain de ce qui relève de l‟ « ordinaire ». Pierre-Henri Derycke sépare ainsi les territoires métropolisés denses, d‟une part des régions à dominante rurale, d‟autre part où les villes moyennes présentent un rôle de dispensateur de service (Derycke 1993). Si l‟on considère que la métropolisation a invalidé le schéma christallérien des hiérarchies urbaines (Buisson et Rousier 1998) en accentuant les polarisations et donc les inégalités, à l‟échelle des régions métropolitaines le rôle de relais des villes moyennes vers les espaces délaissés n‟est pas annulé. Les fonctions non métropolitaines, telles l‟emploi et la résidence sont encore régies par des schèmes bien connus des aménageurs, les règles de la distribution des activités dans les villes (Buisson et Rousier 1998). Ces schémas urbains (Christaller, Perroux) complètent en quelque sorte les modèles de développement métropolitains là où la métropolisation n‟a pas de prise directe au territoire. Ainsi, dans la région Nord-Pas-de-Calais, une ville comme Maubeuge, indirectement concernée par la métropolisation lilloise et trônant au sein d‟un territoire rural abandonné (l‟Avesnois) joue le rôle de relais. Cette ville moyenne est donc pourvue de fonctions d‟un niveau intermédiaire assurant le fonctionnement de son territoire proche. Nous prendrons en outre en compte un troisième niveau fonctionnel représentant les services de proximité présents dans toutes les municipalités composant le socle fonctionnel des régions métropolitaines.

Ce classement en métropoles régionales et en villes moyennes a inspiré l‟enquête menée par Buisson et Mignot sur les politiques de transport et la maîtrise de la croissance urbaine (Buisson et Mignot 1995). Les actions préconisées par les experts concernent les stratégies d‟accroissement de l‟offre de transport. À y regarder de plus près, hormis celles qui proposent le développement des transports proprement dits, les actions mentionnées sont de nature fonctionnelles : centres de recherche ou bien services publics nationaux dans les métropoles et fonctions touristiques, culturelles ou encore hospitalières dans les villes moyennes. L‟accueil d‟un certain type de fonctions est donc alloué a priori à des centres urbains selon leur taille respectant une stratégie d‟aménagement. En effet, la distribution des fonctions dans les différents pôles (métropole régionale, ville moyenne ou simple point) relève pragmatiquement d‟une politique d‟allocation d‟aménités, entretenant des relations directes avec le système de transport. Illustrons cette dialectique avec un exemple.

Reprenant les hypothèses sur le développement des dynamiques de métropolisation pour les villes moyennes par la constitution de réseaux (Laborie 1991), Buisson et Mignot affirment : « Les villes moyennes peuvent ainsi tout d’abord s’inscrire dans un partenariat

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avec leur métropole (relations de complémentarité). Mais n’y a-t-il pas simultanément un risque de dépendance allant en sens inverse de l’effet recherché ? » (Buisson et Mignot 1995).

Cette problématique de stratégie territoriale se heurte typiquement aux choix fonctionnels d‟allocation des fonctions métropolitaines. En effet, dans le cas précité, l‟attribution d‟un équipement de niveau métropolitain, comme un grand centre de commande financière par exemple, pourrait rééquilibrer cette « dépendance ». Nous comprenons la dépendance comme la nécessité pour un pôle d‟être en liaison avec le centre métropolitain, or si les fonctions assurant le rayonnement international sont partagées, il s‟agit de manière logique d‟une interdépendance.

On le voit, les stratégies territoriales pour les fonctions se matérialisent à l‟échelle de la région métropolitaine comme une distribution des aménités et une accumulation des services dans certains lieux. De manière plus précise, les pouvoirs territoriaux se heurtent à des choix en termes d‟investissements.

La construction politique et territoriale de l‟Europe s‟est aussi saisie des considérations fonctionnelles dans des dimensions prospectives. En effet, les pouvoirs publics européens insistent sur les impératifs de compétitivité des régions. Ainsi, les publications d‟organismes comme la DATAR reflètent bien cette prégnance des fonctionnalités dans la construction territoriale (DATAR 2005). Philippe Thiard par exemple insiste sur la notion d‟ « offre territoriale » comme base du développement des métropoles (Thiard 2005). Les travaux portant sur la compétitivité des territoires subnationaux se sont ainsi vus renouvelés par les économistes spatiaux, en particulier autour des clusters, ou grappes d‟entreprises et d‟institutions fonctionnellement liés (Porter 1999). Roberto Camagni explique bien que l‟ouverture de ces territoires non directement soumis à des frontières, même si celles-là sont vouées à être effacées, les soumet à une concurrence différente, en particulier en termes d‟avantages absolus (Camagni, Gibelli et Rigamonti 2002). En termes de nature et de distribution des fonctions, cette politique de marketing métropolitain au niveau régional mène à une spécialisation fonctionnelle des entités territoriales. La définition de ces entités est d‟ailleurs au centre des propositions d‟organismes européens comme l‟ORATE ; citons les FUAs, MEGAs, PUSHs, etc. (Carrière 2005). À l‟intérieur de ces régions métropolitaines, le problème des fonctions territoriales se pose différemment.

En effet, au sein des aires fonctionnelles, assurer la compétitivité passe en grande partie par la coordination des différents lieux. Les stratégies de développement locales se construisent effectivement autour des concepts d‟attractivité (drainage des investissements internationaux) et de compétitivité (croissance endogène due à la valorisation des ressources locales). La stratégie de compétitivité nécessite des synergies locales autour du processus d‟innovation dans un environnement favorable nommé « société de la connaissance » (Camagni 2005). De plus, les fonctions territoriales basiques (si l‟on se réfère à la fonction de base du modèle de Lowry) ou tout simplement les fonctions de service à la population (résidence, loisir, commerce…) viennent composer un patchwork de fonctions. L‟organisation et la distribution spatiale de ces fonctions constituent aussi un facteur d‟attractivité.

Ainsi les politiques officielles se dirigent vers une coordination intra et une concurrence inter métropoles, comme l‟affirme clairement Olivier Sykes : « The argument is that competition

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should no longer take place within metropolitan areas (for example, between the core city and the surrounding towns). Rather, complementarity and co-ordination should be the order of the day, so that the metropolitan area as a whole can develop a European or international- level ‘projet métropolitain’. » (Sykes 2005b).

Roberto Camagni pense quant à lui que compétitivité et attractivité convergent vers la construction d‟un territoire propice et riche en interactions des acteurs sociaux (Camagni 2005).

La distribution des fonctions dans le territoire métropolitain est donc en interaction très forte avec la construction métropolitaine et en particulier l‟organisation des déplacements, et donc des transports. La localisation des fonctions, en particulier métropolitaines, nous permet de mesurer les possibilités de fonctionnement offertes par les réseaux de transport. Cependant, à l‟instar des analyses menées par Polynet, notre analyse se concentrera sur les fonctions qui donnent lieu à des déplacements de type domicile - travail.