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d’aménagement du territoire

I.3 Comment appréhender les performances « territoriales » des réseaux de transport ?

I.3.2 Adopter une démarche modélisatrice

Au sein des travaux portant sur les relations entre transport et territoire dans une perspective d‟aménagement, les approches introduites précédemment sont essentiellement des analyses « transport » et peuvent apparaître comme « a-territorialisées ». À l‟opposé, nous présenterons les approches concentrées sur les processus territoriaux comme « sur- territorialisées ».

En effet, si les caractéristiques techniques ou économiques des transports ne sont pas nécessairement occultées, l‟analyse se concentre sur la prise en compte des dynamiques et processus des territoires et des sociétés qui y vivent. Les mécanismes d‟appropriation territoriale des réseaux de transport sont alors méthodiquement analysés.

Ces processus d‟appropriation se divisent en deux parties : appropriation individuelle et appropriation collective.

Les recherches portant sur l‟appropriation individuelle des transports prennent souvent la forme d‟un travail de recensement de pratiques par l‟enquête ou le sondage afin de déterminer des comportements de mobilité (Affandi 1993, Pinson et Thomann 2001). L‟objectif peut en être d‟enrichir le corpus sociologique (Le Breton 2004, Stock 2006) mais la dimension opérationnelle est bien présente s‟agissant de déplacements d‟individus dans l‟espace (Orfeuil et Massot 2005, Wenglenski 2006). Nous pouvons associer à cette branche les travaux portant sur l‟analyse des représentations (cartes mentales, voir Poublan-Attas 1998).

L‟ensemble de ces approches est porté par des méthodes d‟enquêtes qui peuvent être soumises à critique. En effet, quelles que soient la représentabilité et la validité des échantillons sondés, les enquêtes restent des instantanés d‟une situation donnée à un moment donné. Ainsi, si la méthode est universelle, les résultats dépassent rarement le champ de l‟application locale, ou alors de manière explicative et non prospective.

Les processus d‟appropriation collective des réseaux de transport sont quant à eux étudiés au niveau institutionnel et par le champ d‟une géographie politique. L‟aménagement du territoire est fortement dépendant des processus décisionnels et l‟étude des jeux d‟acteurs régissant le devenir des projets et des aménagements permet d‟apporter un éclairage sur l‟aménagement local (Menerault 1996, Paris 2004, Bachelet, Menerault et Paris 2006).

Dans le même ordre d‟idée, d‟autres travaux prennent comme objet d‟études des outils, des structures ou encore des dynamiques institutionnalisées et tentent d‟analyser et de formaliser leur rôle dans la construction des territoires par les transports. Il peut s‟agir du pôle d‟échange (Richer 2007), de l‟intercommunalité (Gallez et Menerault 2005) ou de l‟appropriation de la grande vitesse (Menerault 1998).

Ce type de recherche apporte des enseignements sur la manière dont les pouvoirs publics s‟approprient les réseaux de transport. Mieux encore, ils suggèrent des projets ou des

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préconisations d‟aménagement des transports à l‟aune des processus de fonctionnement de l‟action publique.

Cependant, l‟essence de ces approches est véritablement constituée par les processus territoriaux. Par cette voie, elles s‟éloignent des questions de transport et l‟analyse est essentiellement centrée sur des critères du territoire. Si la compréhension des enjeux de transport est plus large, son estimation en est moins précise. Le caractère discriminant est l‟absence ou la faiblesse de mesures.

Notre travail est guidé par la volonté de construire un outil d‟aide à la décision et donc de proposer aux décideurs une méthode d‟évaluation des transports sur des critères territoriaux. En revanche, les caractéristiques rétistiques des transports ne peuvent être complètement occultées car elles représentent des leviers pour le fonctionnement des territoires et l‟appropriation. Notre position réside en amont des processus décisionnels, et l‟objectif n‟en est pas de les étudier, mais consiste à permettre l‟évaluation de projets par une méthode formalisée.

Cette évaluation signifie la comparaison de réseaux et se construit donc autour de la notion de

performance. À l‟instar de nombreux domaines, la performance permet la comparaison des

situations. Or la manière la plus percutante, la plus efficace et la plus directe de transmettre une performance reste l‟analyse quantitative à partir de mesures.

En dehors de ces visées opératoires, notons que la production d‟indicateurs est une fonction de l‟analyse géographique. Comme l‟écrit Jacques Maby, l‟indicateur est à la fois « une

information résolvant une incertitude problématisée dans une démarche scientifique » (Maby

2003 page 24) et « dialectiquement lié à une démarche analytique qui tout à la fois le rend

nécessaire et lui est nécessaire » (Maby 2003 page 26). De plus, « l’indicateur entretient une proximité empirique qui est un gage de distance autocritique pour le chercheur » (Maby 2003

page 29). La quantification de processus spatiaux et la production d‟indicateurs a donc un rôle opérationnel et scientifique.

Si les approches techniques ou économiques se concentrent sur les transports et simplifient excessivement le territoire, les analyses territoriales perdent l‟intérêt opérationnel de la mesure. Il paraît donc enrichissant de se situer entre ces deux extrêmes en adoptant une démarche modélisatrice et territorialisée.

Les modèles, sans entrer dans la finesse des acceptions, sont généralement compris comme des représentations simplifiées de la réalité utilisant un formalisme (Langlois et Reguer 2005). Ce formalisme, ce langage, doit être compréhensible et reproductible pour éviter de masquer des processus et d‟assimiler le fonctionnement des modèles à une boîte noire. L‟utilisation abusive des modèles « opaques » en sciences sociales peut ainsi conduire à des dérives de déresponsabilisation dans la récupération politique des résultats (Dobruszkes et Marissal 2002). D‟autres critiques sont habituellement formulées à l‟endroit des modèles quantitatifs dans les sciences sociales.

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On leur reproche particulièrement leur caractère désincarné et l‟escamotage de la complexité des comportements humains, à la base des structures spatiales (De Coninck 1978).

Les modèles, en particulier mathématiques, apparaissent comme déterministes dans leur déni des particularités sociales et territoriales. Le résultat est donc non seulement approximatif par la simplification inhérente au calcul mais encore paraît plaqué sur les réalités sociales (Dobruszkes et Marissal 2002). Certains types de modèles de trafic par exemple « évitent de

poser les vrais enjeux sociétaux et spatiaux, dont la domination ou l’aliénation de certains groupes sociaux par les autres » (Dobruszkes et Marissal 2002 page 18).

Les mêmes auteurs proposent des recommandations à l‟usage des modèles en sciences humaines et sociales, et particulièrement dans le domaine de l‟aménagement des transports. - Le modèle théorique, parfois idéologique, ne peut être appliqué de manière mécaniste aux territoires sans un questionnement préalable sur leurs fonctionnements. Les auteurs préconisent d‟ailleurs une méthode inductive basée sur l‟observation.

- Les écarts au modèle doivent être traités avec autant si ce n‟est plus d‟intérêt que les résultats du modèle per se.

- Les analyses portées par des modèles sont d‟autant plus probantes si elles suggèrent des organisations virtuelles plutôt que de s‟attacher à décrire des organisations existantes. Les auteurs prônent par exemple le calcul des potentiels comme méthode quantitative « utile » (p.20).

En réponse aux nombreuses considérations présentées dans cette partie, nous proposerons donc une approche modélisatrice et quantitative au formalisme intelligible.

De surcroît, l‟enjeu sera d‟intégrer au maximum des variables territoriales pour se rapprocher des réalités locales tout en assurant la reproductibilité de la méthode. Sans être totalement empirique, le modèle ne consiste pas en une application de la conception « sémantique » (Langlois et Reguer 2005 p.39 de la modélisation qui veut que la méthode concrétise une théorie. Notons bien d‟ailleurs que notre modèle est fondé sur l‟émergence de structures spatiales à partir des comportements individuels, dans une approche dite « bottom-up » ou « émergentiste », et non pas sur le plaquage de structures existantes sur un territoire donné. Enfin, le modèle sert une analyse de potentiel et ne prétend pas à la satisfaction d‟une demande de transport donnée. Les résultats ne donneront lieu à aucune interprétation au-delà de ce que permet le modèle et seront mis en lumière avec des réflexions territoriales locales pouvant enrichir les informations chiffrées.

Ce faisant, nous nous inscrivons dans la lignée de nombreux modèles traitant des transports et du territoire.