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d’aménagement du territoire

I.3 Comment appréhender les performances « territoriales » des réseaux de transport ?

I.3.1 Se distinguer des analyses technico-économiques

Si le transport est désormais considéré comme un outil d‟aménagement du territoire, il fût pendant longtemps associé quasi exclusivement au développement économique. Les interrelations entre développement des transports et croissance économique sont réels, si bien que dans l‟histoire les phases de développement économique se sont bien souvent accompagné d‟un développement quantitatif et qualitatif des relations de transport (Plassard 1993). Réciproquement, du point de vue des décideurs, les transports sont apparus comme des outils d‟accompagnement du développement économique.

La cooccurrence des développements a conduit à un questionnement très intense en économie sur les fameux « effets structurants » des transports. Les chercheurs se demandent alors en quelle mesure les transports favorisent le développement économique d‟un espace et les décideurs conçoivent bien souvent les transports comme un outil de développement économique.

Dans ce contexte, l‟analyse et l‟évaluation des réseaux de transport s‟opère majoritairement par un calcul économique (d‟autant plus depuis 1973 en France et l‟abandon relatif des politiques d‟aménagement du territoire « redistributives », voir Noin 2004).

La méthode d‟analyse coût-avantage, fondée sur un calcul de taux de rentabilité interne (TRI) des projets de transport, prédomine ainsi dans les méthodes d‟évaluation. Leur objectif est de

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déterminer les investissements apportant « la plus grande contribution à la fonction d’utilité

collective » (Bonnafous 1994). Cette méthode, bien que présentant l‟avantage de quantifier un

ensemble de données, se heurte à plusieurs limites.

En premier lieu, le calcul doit prendre en compte toutes les conséquences des différents projets d‟aménagement afin de pouvoir les comparer entre eux. L‟identification et la quantification de l‟ensemble des conséquences d‟un projet de transport est difficile. Les trafics induits par le report modal, les gains ou pertes de temps impliqués par ces reports ou par une transformation de la voirie sont ainsi souvent occultés par les analystes (François Plassard prend à ce sujet l‟exemple de l‟analyse du projet de tramway de Lyon, Plassard 2003b page 103). De manière plus générale, il est « difficile de délimiter clairement le champ

de conséquences d’un projet de transport » (Plassard 2003b).

De plus, les projets de transports sont souvent combinés et doivent s‟appréhender dans des projets territoriaux vastes et complexes auxquels cette analyse rationaliste sied mal.

Notons aussi que le mode de calcul, c‟est-à-dire la monétarisation d‟un ensemble de variables de natures différentes (temps de parcours, sécurité, confort…) est sujette à caution (Plassard 2003b).

Outre ces réserves méthodologiques, l‟analyse coût-avantage est plus profondément remise en cause par le fait que le territoire est imparfaitement représenté.

En effet, les organisations spatiales, les lignes de force du territoire, les hiérarchies et les effets réseaux ne sont pas abordés. La richesse des interrelations transport-territoire est donc complètement occultée.

De plus, l‟objectif de fonction d‟utilité collective va par construction bénéficier aux relations présentant le plus fort trafic, la massification des flux étant plus rentable (rendements d‟échelle croissants) que la dispersion (Bonnafous 1994). Ainsi, quel que soit le projet territorial et les dysfonctionnements dans la structuration du territoire, cette méthode d‟analyse pousse à la radialisation des réseaux et au creusement des inégalités (Chapelon 1997). En évacuant toute « considération redistributive », le calcul économique « ne permet

pas la prise en compte d’objectifs d’aménagement du territoire » (Dumartin 1995 page 1).

Il est aujourd‟hui reconnu que le rôle des transports sur le développement économique est dans la majeure partie des cas celui d‟ « une amplification et d’une accélération des

tendances préexistantes » (Offner 1993b). La vision mécaniste et automatisée a laissé place à

une compréhension systémique des processus : les relations entre développement économique et transports sont complexes et le calcul économique doit en prendre toute la mesure (Plassard 1997). François Plassard, porteur et grand contributeur au débat sur les effets structurants des transports, considère que les processus d‟appropriation territoriale par les transports doivent prendre une place grandissante dans l‟analyse, au-delà des considérations strictement économiques (Plassard 2003a).

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Si le calcul économique tient une grande place dans l‟évaluation des projets de transport, rappelons que les choix en cette matière sont guidés par « une logique économique, tempérée

par des obligations de service public, le tout combiné à des impératifs, des données, des contraintes techniques extrêmement prégnants » (Dupuy 1987).

Ces contraintes techniques nous ramènent à une conception épurée et pragmatique des transports correspondant à une vision encore une fois assez mécaniste des déplacements des réalités territoriales dans l‟espace. Rappelons que les projets de transports ont comme ambition première de permettre à des véhicules de se déplacer plus rapidement et/ou plus loin (Plassard 2003b). Dans cette vision techniciste des transports, la capacité des réseaux prend une importance grandissante et ce sont essentiellement les qualités circulatoires qui sont sujettes à l‟analyse et matérialisées par les flux. On pourrait ainsi ajouter que le projet de transport vise l‟amélioration du débit de véhicules, qui peuvent alors se déplacer non seulement plus vite et plus loin mais aussi en plus grand nombre.

La recherche de la mise en adéquation exclusivement quantitative de l‟offre et de la demande a conduit à différentes méthodes d‟estimation et de prévision des trafics.

La méthode développée par les ingénieurs américains, à la mode dans les années 1960 et encore dominante aujourd‟hui est celle des modèles dits « à quatre étapes ». Ce modèle global est dit séquentiel et il prend en compte la demande de manière agrégée (Stopher et Meyburg 1975). Son fonctionnement repose ainsi sur la combinaison de quatre modules qui sont linéairement associés les uns après les autres, de manière séquentielle. Le module de génération estime une quantité de trafic à partir d‟un découpage zonal et d‟une structure réticulaire. Le module de distribution localise ces flux par zones avant que celui de répartition modale ne les répartisse par mode et enfin le module d‟affectation affecte ces masses par arc. Ces modèles, bien que faisant l‟objet de nombreuses améliorations (Ortuzar et Willumsen 1994), ont été violemment critiqué pour leur rigidité et leur imprécision (Merlin 1991).

Les approches désagrégées, développées par l‟économiste américain Daniel McFadden, ont peu à peu conquis des modélisateurs en grande partie autour des modèles dits « de choix discret ». Le choix des modes et des chemins est simulé au niveau de l‟individu, la demande étant segmentée et le comportement moyen affiné. Ces choix sont le fruit d‟un calcul d‟une fonction d‟utilité stochastique, dont le niveau dépend d‟un ensemble de variables propres au chemin, à l‟individu et aussi à des composants non mesurables représentés par une fonction aléatoire (Banos 2001).

Ces modèles désagrégés se rapprochent donc d‟une vision économiste des déplacements et le calcul des fonctions d‟utilité fait l‟objet de nombreuses formulations différentes concernant les termes aléatoires selon que l‟on postule une loi normale (modèle PROBIT), logistique (modèle LOGIT) ou autre ou encore que l‟on combine les deux (voir CERTU et ADEME 1998, CERTU 2003, Lee 2004).

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L‟amélioration de ces modèles passe aussi par la précision des résultats dans la prise en compte des variables : le temps, (De Palma et Fontan 2001), le découpage zonal (Audard 2007) ou encore les relations entre les modules, entre autres.

Malgré ces améliorations contemporaines, les modèles de choix discrets souffrent de limites techniques et surtout de présupposés théoriques handicapants.

Le postulat de rationalité est en effet critiquable en plusieurs aspects. Pour autant que cette rationalité soit réduite à une maximisation de l‟utilité, ce qui est discutable, elle sacrifie les complexes considérations psychologiques et sociologiques au profit de la seule économie. De plus, la rationalité est un a priori qui devance la détermination même de la demande (Kaufmann 2000). Ainsi les modèles de choix discret butent sur des obstacles par leur simplification excessive des comportements.

De la même manière, les modèles classiques de trafic considèrent les déplacements d‟une manière segmentée et indépendante. Or il est désormais reconnu que les déplacements sont dépendants le uns des autres, combinés, enchaînés (les fameux stop and go), et soumis aux comportements des autres individus, dans le cadre d‟un ménage par exemple. Une fois encore, les approches ont su se renouveler et proposer des améliorations mais les problèmes évoqués n‟ont pu être résolus dans ces modèles classiques de génération de trafic, qui restent approximatifs en-dehors de l‟échelle macrogéographique (Banos 2001).

En effet, ces modèles occultent une grande partie des caractéristiques du territoire, se concentrant sur des hypothèses de comportements, simulés ou observés par l‟intermédiaire d‟enquêtes.

Si les modèles de choix discrets peuvent se révéler efficaces pour la prévision de trafic, ils peuvent difficilement porter une analyse prospective car la formulation des fonctions d‟utilité est dépendante des conditions initiales de modélisation. L‟usage de ces modèles dans une perspective d‟aménagement du territoire et de projets territoriaux doit donc être limité.

Malgré les développements, parfois riches, ces modèles de trafic restent marqués par leur origine : la réponse aux contraintes techniques.

Au lieu de se saisir des problématiques territoriales, ces approches classiques se bornent à une mise en adéquation de l‟offre et de la demande de transport : dans cette logique l‟aménageur en est réduit à construire le bon tuyau étant donné le flux. Or les parties précédentes suggèrent que les réseaux de transport ne sont pas uniquement des tuyaux, mais que des centralités, des inégalités, des appropriations se construisent et s‟organisent autour, avec et dans les réseaux de transport. Une meilleure prise en compte du territoire « derrière » le réseau est donc indispensable.

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