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TROISIEME CHAPITRE

I. S OCIOLINGUISTIQUE : OBJET ET TERRAIN D ' ETUDE

2. Le terrain d'étude de la sociolinguistique : quelle communauté ?

2.1. Communauté linguistique et communauté de langue

La définition de la notion de communauté linguistique, la terminologie à employer pour la désigner et même la pertinence et l'intérêt d'une telle notion, sont à l'origine de multiples discussions au sein de la communauté scientifique des linguistes.

Il ne faudrait cependant pas croire que la notion de "communauté linguistique" est née avec la sociolinguistique. En fait, jusque vers les années 60, les linguistes "a-sociaux", qu'ils s'inscrivent dans un courant strictement saussurien, générativiste, ou fonctionnaliste, postulent bien l'existence d'une communauté linguistique, qui permet aux locuteurs de communiquer entre eux et de se comprendre. Mais cette communauté s'apparente la plupart du temps à une entité homogène et abstraite. En outre, elle est souvent conçue sur un plan strictement linguistique : l'idée d'une langue commune à des individus est bien là, mais aucune place n'est faite à la collectivité sociale dans laquelle s'inscrivent cette langue et les individus qui la parlent. Saussure, par exemple, qui pose l'existence d'un "circuit de parole" (1972) entre les individus, parle bien de "collectivité", mais celle-ci constitue un ensemble parfaitement homogène et égalitaire, au sein de laquelle les individus, fictifs et interchangeables, ont une connaissance approximativement uniforme de la langue :

"Tous reproduiront, non exactement sans doute, mais approximativement, les mêmes signes unis aux même concepts." (1972 : 29)

Pour leur part, les tenants de la linguistique générative, qui s'opposent par ailleurs vigoureusement au structuralisme, ont une conception de la communauté linguistique qui n'est pas sans rappeler celle que sous-tend la notion de "circuit de parole". Quand Chomsky parle de locuteur-auditeur (idéal) qui "connaît parfaitement sa langue" (1965 : 12), il montre que sa conception de la communauté linguistique est, comme chez Saussure, celle d'une communauté parfaitement homogène.

Du côté américain, le comportementaliste Léonard Bloomfield (1933) conçoit la communauté linguistique, qu'il désigne comme une "communauté de langue, comme un ensemble de locuteurs qui "agissent au moyen d'un discours" (1933 : 44), ou encore "coopèrent au moyen d'ondes sonores" (1933 : 31), les uns envoyant des stimuli qui suscitent des réponses chez les autres. Ainsi, s'il ne souscrit pas à la théorie du "circuit de parole", Bloomfield ne rejette pas l'idée d'un cadre mécaniste et symétrique du langage. Comme le souligne Louis-Jean Calvet (1994), le paradoxe de la théorie de Léonard Bloomfield tient au fait que celui-ci considère que l'inter-compréhension entre les membres de la communauté n'est pas un critère obligatoire dans la définition de la communauté linguistique :

"Les membres d'une communauté linguistique peuvent parler d'une façon si semblable que chacun peut comprendre l'autre, ou peuvent se différencier au point que des personnes de régions voisines peuvent ne pas arriver à se comprendre les unes les autres." (1933 : 54)

53 Le point commun de toutes ces conceptions, outre de reposer sur le postulat d'unité de la langue, réside dans le fait qu'elles évitent de se demander ce qui fonde précisément cette unité. Certaines avancent le critère de l'intercompréhension, de l'intelligibilité mutuelle entre les membres de la communauté. Or on connaît le flottement et l'ambiguïté de telles notions. La question sous-jacente qui se pose ici est celle de la distance, ou de la proximité entre deux (variétés de) langues. Les comparativistes du 19e siècle, en étudiant l'histoire des langues, ont pu établir des liens de parenté entre les principales langues du monde, impliquant effectivement une certaine proximité linguistique entre elles, mais il s'agissait davantage reconstituer les grandes familles linguistiques, plutôt que de déterminer la proximité entre des (variétés de) langues au sein d'une même aire sociale et en synchronie. Plus récemment, comme l'évoque par exemple Pierre Knecht (in Moreau (éd.), 1997 : 177), la dialectométrie a tenté de mesurer statistiquement le taux de similarité entre des langues ou des variétés d'un même espace géolinguistique, mais les résultats qu'elle a obtenu se sont la plupart du temps révélés décevants et peu fiables, dans la mesure où ils ne prenaient en compte ni "la qualité des attitudes interethniques, […] [ni] le volume des échanges interculturels entre une communauté et une autre" (ibid.).

Si les notions de distance (Mackey, 1971) ou de proximité (socio)linguistique sont des notions tellement délicates et difficiles à définir, c'est qu'elles possèdent une dimension représentationnelle dont on ne peut faire abstraction. Les enquêtes sur le terrain montrent en effet que l'évaluation de la distance linguistique, et / ou la détermination de l'intercompréhensibilité entre deux variétés, ne repose la plupart du temps absolument pas sur des critères objectifs, mais dépend largement des attitudes que les membres de la communauté adoptent vis-à-vis des variétés. Si telle variété est par exemple socialement dévalorisée, reconnaître la comprendre et la parler, donc s'inscrire au moins partiellement dans l'espace socioculturel qu'elle crée, revient, pour l'individu, à se dévaloriser lui-même37.

Avec la prise en compte véritable de la dimension sociale du langage, et surtout de sa variation au sein d'une même communauté, la notion de communauté linguistique progresse et s'enrichit. Les sociolinguistes ne tombent pas encore tout à fait d'accord sur sa définition, mais dès lors que l'on ne conçoit plus la langue comme unifiée et homogène, l'élément unificateur de la communauté n'est plus constitué par le partage d'une langue commune, mais plutôt par celui de normes et d'attitudes envers ces normes. Désormais, la problématique de la communauté linguistique est directement liée à celle de la norme partagée au sein d'une organisation sociale.

2.2. La notion de norme linguistique

Le concept de "norme" est un des concepts fondamentaux de la linguistique et de la sociolinguistique. Il faut rappeler que c'est grâce à ce concept, en proclamant son caractère descriptif et non-prescriptif, et se démarquant ainsi de la grammaire, que la linguistique a trouvé, dès le 19e siècle, une identité propre, puis s'est constituée comme science. Ainsi, comme le montre Daniel Baggioni (in Moreau (éd.), 1997) :

37 Ces types de réactions se retrouvent souvent, on le verra, dans notre corpus. À la Réunion, on obtient en outre le même type d'attitude vis-à-vis de l'écriture du créole par exemple, langue à tradition orale et dont les tentatives de mise à l'écrit suscitent des réactions vives, parfois brutales. Certains témoins, on le verra, sont d'emblée persuadés, avant même d'avoir essayé de le lire, qu'ils ne comprennent pas le créole écrit.

situation de contacts de langues : la Réunion.

"C'est au milieu du XIXe siècle, avec le triomphe de la linguistique historique, que le normativisme devient "honteux" et que l'expression bon usage quitte peu à peu la scène scientifique et a tendance à être périphérisé : l'usage n'est plus revendiqué alors comme un objet d'études par ceux qui s'intitulent maintenant linguistes et non plus grammairiens, il y a une période de clandestinité pour l'activité normative, qui se réfugie chez d'autres professionnels de la langue, qu'ils soient gens de lettres ou grammairiens dits traditionnels. De la même manière, dans l'entre-deux-guerres, la linguistique synchronique et, après la Deuxième Guerre Mondiale, le structuralisme tirent leur légitimité d'une opposition entre grammaire descriptive – dont ils se réclament – et grammaire normative – volontiers stigmatisée." (1997 : 217-218)

Curieusement pourtant, comme le souligne Robillard (1989), si les chercheurs ne peuvent, au cours de leurs travaux, échapper totalement à ce concept, peu de travaux de linguistique moderne le prennent comme objet central de recherche. Didier de Robillard commente ce manque de la manière suivante :

"[…] la logique des sciences n'épousant pas celle des sociétés dont elles émanent, la linguistique, par souci d'objectivité dans ses descriptions, a longtemps refusé de s'en préoccuper." (Robillard, 1989 : 307)

Quand on traite du concept de norme linguistique, l'un des premiers noms qui vient à l'esprit est celui de Coseriu (1958, 1967). Pourtant, comme le rappelle Lara (1983), le concept avait déjà donné lieu, avant les travaux de Coseriu, à diverses publications, dont celles de Hjelmslev (1971).

Hjelmslev (1971) prend comme point de départ la dichotomie structuraliste langue / parole, et souligne l'ambiguïté du concept de langue chez Saussure, qui, selon, lui, recouvre en fait trois acceptations. D'après Saussure, remarque Hjelmslev (1971 : 80)38, la

langue peut être considérée soit comme :

- une forme pure, abstraite, définie indépendamment de sa réalisation sociale et discursive ;

- une forme matérielle définie par une réalisation sociale mais indépendamment du détail de sa réalisation ;

- un ensemble d'habitudes adoptées par une société donnée, et définie par les manifestations observées.

Partant, Hjelmslev choisit de nommer respectivement ces trois acceptations de la langue le schéma, la norme, et l'usage. Il complexifie ainsi la dichotomie saussurienne langue / parole, en posant que la langue recoupe en fait le couple schéma / usage, entre lesquels se trouve la norme, ensemble de traits distinctifs qui permettent de différencier les éléments les uns des autres dans la manifestation concrète du schéma. Cette norme est de nature clairement sociale, puisque définie par référence à des habitudes propres à une société (mais indépendamment des variations observables dans l'usage réel). La norme constitue ainsi une sorte d'abstraction par rapport à l'usage.

55 À cette tripartition, il ajoute la notion de "parole", conçue comme actualisation idiolectale de la langue à un moment donné. Il montre que la norme détermine l'usage et la parole, que l'usage détermine la parole, et qu'inversement, parole, usage et norme déterminent le schéma (Peraldi, 1983 : 351). En fait, Hjelmslev rend compte de la langue en termes de forme d'une part (constituée par le schéma), et de substance d'autre part (constituée par la norme, l'usage et la parole), la substance déterminant par conséquent la forme.

Toutefois son travail s'inscrit à une époque où la linguistique tente justement de s'instaurer comme science avant tout descriptive, notamment contre le purisme, ce qui le mène finalement à exclure de sa problématique, d'une part la notion de "parole", "pure concrétisation évanescente" (Peraldi, 1983 : 352), et d'autre part celle de "norme" qui apparaît finalement n'être :

"[…] qu'une abstraction tirée de l'usage par un artifice de méthode. Tout au plus, elle constitue un corollaire convenable pour pouvoir poser des cadres à la description de l'usage. À strictement parler, elle est superflue ; elle constitue quelque chose de surajouté et une complication inutile." (1971 : 88).

Hjelmslev ne conserve ainsi finalement que le couple schéma / usage qu'il pose comme objet de la linguistique structurale. Son refus d'intégrer la norme à l'analyse peut également s'expliquer par le fait qu'il la considère comme une "fiction idéologiquement marquée" (Peraldi, 1983 : 353), alors que par ailleurs, il :

"[…] tente en fait de démarquer la linguistique, qu'il voudrait […] strictement scientifique, c'est-à-dire à l'abri des luttes et des conflits de pouvoir qui constituent le champ social." (Peraldi, ibid.)

C'est sans doute ce qui explique que les travaux sur la norme fassent souvent d'abord référence à Eugenio Coseriu, qui part la tripartition initiale de Hjelmslev (actes de parole (ou usages), norme, système), mais en y apportant certaines modifications, et notamment en la décalant d'un cran : le système, pour Coseriu, n'est pas la réalité abstraite et purement formelle qu'en fait Hjelmslev. Il correspond davantage, en tant que part fonctionnelle du langage, à ce que Hjelmslev désigne comme la norme. La norme de Coseriu englobe ainsi une partie de l'"usage" de Hjelmslev et rassemble tout ce qui est socialement obligatoire dans l'utilisation d'un code linguistique.

Coseriu se pose, rappelons-le, en rupture avec la linguistique structuraliste. Il rejette en particulier les clivages langue / parole et diachronie / synchronie. Le structuralisme saussurien, qui a une conception formelle de l'objet linguistique, postule que la langue précède la parole : il existerait un système antérieur à l'acte de parole lui-même. À l'inverse, pour Eugenio Coseriu, l'acte linguistique individuel, l'usage linguistique, prime sur l'existence d'un système linguistique :

"La langue existe seulement dans et par la parole : dans l'histoire qui se déroule, on ne trouve que des actes linguistiques individuels, utilisant des modes et reproduisant des modèles antérieurs." (1958 : 22139)

situation de contacts de langues : la Réunion.

Cet extrait montre qu'en outre, Coseriu conçoit la langue comme une donnée historique, en construction permanente, à la fois résultat et puissance requise pour la création d'actes postérieurs (Lara, 1983 : 157-158). De ce fait, il s'oppose à la vision statique et sans histoire de la langue sous-tendue par la linguistique synchronique. Dès lors, l'objet linguistique doit être, pour Coseriu, le parler des individus.

Pour Coseriu, le linguiste qui veut rendre compte de la langue doit partir de la parole d'un individu, de l'"acte linguistique concret". Partant, il doit d'abord abstraire les divers traits communs aux différents actes du sujet parlant, dégageant ainsi sa norme individuelle, idiolectale. Ensuite, à partir de l'établissement des rapports entre les diverses normes idolectales, il pourra parvenir à dégager la norme sociale. L'abstraction de ces faits de norme le conduira enfin à découvrir des faits fonctionnels qui constituent le système (qui correspond à la langue de Saussure). Par conséquent :

"La norme se différencie du système car elle se compose des éléments normaux et constants d'une langue, éléments qui sont néanmoins non pertinents du point de vue fonctionnel car ils ne peuvent être classés dans le système." (Coseriu, 1952 : 69)

La norme se situerait sur un point intermédiaire dans la dichotomie saussurienne langue / parole, ou système / parole (Lara, 1983 : 170). En tant que première abstraction, la norme relie le système et la réalisation de ce système en actes de parole. Pour Coseriu, la norme est sociale, et peut donc se définir comme un système d'isoglosses entre la parole et le système.

Le schéma de Coseriu (1967) montre donc qu'à partir des usages, et par degrés successifs d'abstraction, on aboutit à la norme puis au système, conçu comme une entité figée, stable, ultime. Le système est donc abstrait, théorique, et s'"incarne", se matérialise, en norme linguistique (qui possède une dimension sociale), qui elle-même se réalise sous forme de productions verbales, les usages. Sous forme d'un schéma, la conception de Coseriu est ainsi globalement la suivante :

USAGES (productions verbales)

NORME

57 La principale critique qui a été faite à la conception de la norme linguistique de Coseriu touche au caractère expressément statique et figé qu'il lui confère. Or, sous l'influence des études de la diversité au sein des communautés linguistiques, les recherches vont plutôt dans le sens de la reconnaissance de la variabilité du système et de la norme, en fonction de paramètres sociaux, régionaux et situationnels.

Dans cette perspective, il apparaît que le système" découle de la norme, et non l'inverse. C'est la position qu'adoptent Gueunier (et al.) (1978), dans leur analyse des attitudes des Français face à la norme linguistique. Les auteurs partent du schéma de Coseriu, et posent qu'au contraire de ce qu'il indique, c'est la norme qui opérerait des sélections dans les possibilités fonctionnelles offertes par le système. Gueunier et al. remanient ainsi le schéma de Coseriu en un schéma qui peut être représenté comme suit :

USAGES (productions verbales)

SYSTÈME

NORME

(Dynamique)

Ils intervertissent ainsi les "territoires" respectifs de la norme et du système : à partir de la parole on aboutit d'abord, toujours par degrés successifs d'abstraction, au système, et seulement ensuite à la norme, qui devient le "territoire" central du schéma. C'est donc la norme qui serait à l'origine du système, et le système, conçu comme dynamique, se réaliserait alors en usages langagiers. En outre, aux trois territoires du schéma correspondent en réalité trois types de normes, qu'Alain Rey (1972) décrit de la façon suivante :

- la norme "prescriptive", "prescrite" par les instances institutionnelles dont le rôle est de diffuser "le bon usage" linguistique. On la trouve par exemple dans les dictionnaires ;

- la norme "objective", qui correspond à la réalisation, dans l'usage, de la norme prescriptive. C'est la norme qui se trouve dans la tête des gens, correspondant ainsi à l'idée que les gens ont du "bien parler" ;

- et la norme "subjective", qui peut être appréhendée par le biais d'une analyse des attitudes et des discours épilinguistiques ; elle s'exprime à travers les représentations que les sujets se font de la norme et les jugements de valeur qui découlent de ces représentations.

Gueunier (et al.) (1978) reprennent du reste cette distinction dans le but d'analyser la : " […] construction de leurs [celle des locuteurs] normes subjectives, dans leur relation à la norme prescriptive, bien plus étroite […] qu'à la norme objective." (1978 : 72)

situation de contacts de langues : la Réunion.

Mais la question qui se pose alors est la suivante : si ce que l'on désigne comme norme "prescriptive" est une donnée invariable, quelle différence peut-on alors établir entre la norme "prescriptive" et le système ? On peut alors se demander si, dans la perspective sociolinguistique, qui entend partir des usages linguistiques pour en inférer, par sélections successives, la ou les norme(s), cette notion de "système" est réellement utile à l'analyse. On voit donc bien que les tentatives de définition de la norme, définition qui doit être à la fois rigoureuse et suffisamment large pour être représentative de la réalité, constituent encore à l'heure actuelle un travail en cours pour les sociolinguistes.

Or une telle définition est primordiale, non seulement pour la sociolinguistique en général, puisque la norme constitue l'élément unificateur et fondateur de la communauté linguistique, mais aussi pour notre propos en particulier, dans la mesure où, comme nous l'avons déjà dit, c'est toujours par rapport à la norme que naissent les sentiments de sécurité et d'insécurité linguistique, puisque c'est en fonction d'elle que les locuteurs évaluent leur façon de parler comme conforme ou non, comme fautive ou normale. Encore faudrait-il se demander quelle est la norme qui est prise en compte dans ce type de jugements évaluatifs et quelles sont les relations qu'entretiennent exactement les différents types de normes que décrit Alain Rey.

Ce qui vient d'être dit ne nous permet toutefois pas encore d'avancer dans notre quête de définition des notions de sécurité et d'insécurité linguistique dans la mesure où une réflexion plus approfondie sur la notion de norme linguistique nécessite que l'on s'interroge au préalable sur celle de communauté linguistique, lieu de partage de la (ou des) norme(s), mais aussi lieu de sa (leur) diffusion, de sa (leur) reconnaissance, éventuellement de sa (leur) modification, etc.

2.3. Sociolinguistique et communauté linguistique

Parmi les sociolinguistes ayant tenté une définition de la communauté linguistique, on trouve Joshua Fishman, qui propose de la concevoir comme se caractérisant par le partage, par un ensemble de locuteurs, d'au moins une variété, ainsi que par celui des normes linguistiques (prescriptives) de cette variété :

"Une communauté linguistique existe dès l'instant où tous ses membres ont au moins en commun, une seule variété linguistique ainsi que les normes de son emploi correct." (Fishman, 1971 : 43)

Ainsi, à partir du moment où, sur un même territoire, des locuteurs ont en commun au moins une langue, une variété standard qui leur sert de variété de référence, et même si par ailleurs ils parlent d'autres langues ou d'autres variétés de langues, on peut parler, selon Joshua Fishman, de communauté linguistique. L'emploi de cette notion de "territoire" n'est pas ici fortuite dans la mesure où la définition de la communauté linguistique de Fishman s'appuie sur un critère géographique :

"[…] les populations d'un même territoire40 qui possèdent des répertoires verbaux

distincts, ne peuvent pas être considérées comme des communautés linguistiques totalement séparées […]. Actuellement, il existe de nombreuses régions […], où malgré les différences

59 sociales, religieuses ou ethniques, les sous-populations41 estiment qu'elles sont associées par

un grand nombre de normes et de standard courants, et où elles ont des contacts suffisants […] pour qu'on puisse parler d'une seule communauté linguistique." (Fishman, 1971 : 76)

Cette notion de territoire géographique pose tout de suite un premier problème dans la