• Aucun résultat trouvé

TROISIEME CHAPITRE

I. S OCIOLINGUISTIQUE : OBJET ET TERRAIN D ' ETUDE

3. L'exploitation du corpus

3.3.2. L'analyse thématique

Dans le cas de l'analyse thématique des entretiens, une catégorisation possible est celle des différents grands types de réponses obtenues à telles ou telles questions, ou encore celle des grands thèmes qui ont été abordés. Il s'agira par exemple de répertorier, pour chaque thème, les grands types de réactions auxquelles ils auront donné lieu. Globalement, on fera l'hypothèse que ces différents thèmes correspondront à une facette des phénomènes de sécurité et d'insécurité linguistique, et que les réactions des témoins seront significatives de sécurité ou d'insécurité linguistique (de différents types et à des degrés divers).

Les types de réactions aux thèmes seront naturellement mis en rapport avec les variables sociales caractéristiques des locuteurs, mais aussi avec les modalités de la situation de communication. Leur traitement nécessitera ainsi à nouveau le croisement des approches qualitatives et quantitatives, et donneront également lieu à des résultats quantifiés et à des analyses qualitatives.

Les grands thèmes qu'ont tenté de mettre en valeur nos entretiens s'appuient naturellement sur des hypothèses de travail dont la construction s'opérera au fur et à mesure du déroulement des deuxièmes et troisièmes parties de cette thèse. Ces hypothèses ont du reste déjà commencé à s'élaborer dans cette première partie, comme le montre par exemple

situation de contacts de langues : la Réunion.

notre paragraphe sur les notions de communauté et de norme linguistiques, mais aussi dans la mesure où leur élaboration dépend de l'orientation théorique de la recherche. À la fin de la troisième partie, nous serons ainsi en mesure de présenter une problématique définitive, qui se présentera sous la forme d'une synthèse de tous les questionnements et de toutes les hypothèses. Cette série d'hypothèses concernera tous les aspects que nous semble devoir prendre en compte l'étude des phénomènes de sécurité et d'insécurité linguistique. L'exploitation du corpus, par le biais de l'analyse de contenu, aura ainsi comme objectif de vérifier ces hypothèses, probablement d'en confirmer une partie et d'en infirmer une autre, de rendre compte, également, des éléments les plus importants, les plus significatifs, les plus pertinents pour l'analyse des phénomènes de sécurité et d'insécurité linguistique, et enfin, peut-être, de faire apparaître de nouveaux éléments que nos hypothèses de départ n'avaient pas envisagé.

IV.S

YNTHESE ET PERSPECTIVES

Au terme de cette première partie, nous avons ainsi passé en revue, le plus rapidement et le plus synthétiquement possible, les grands principes théoriques et méthodologiques qui définissent le cadre général de cette thèse. Sur le plan théorique, nous avons vu que notre démarche consistait à tenter un rapprochement entre deux perspectives, souvent considérées comme opposées, dont nous avons retracé les grandes lignes de l'histoire, et exposé les grands principes.

Nous avons ainsi vu que d'un côté, l'école variationniste prend comme point de départ à l'analyse des structures linguistiques l'étude de la stratification sociale, en postulant l'existence d'une relation causale entre traits sociaux et traits linguistiques. Dans cette perspective, les caractéristiques sociales des locuteurs sont prises comme principe explicatif de la variation linguistique.

À l'inverse, le courant interactionnel insiste sur le fait que la simple appartenance à un groupe social ne peut rendre compte de la variation linguistique. Dans cette optique, les locuteurs ne sont pas définis en fonction de leur position dans la stratification sociale, mais en fonction de la manière dont ils définissent eux-mêmes leurs réseaux d’appartenance sociale. L'activité langagière est considérée comme une activité essentiellement situationnelle, et les règles régissant les comportements sociaux et la variation linguistique doivent par conséquent être recherchées à partir de l'analyse des interactions verbales.

Notre objectif est donc d'inscrire notre thèse dans un courant éclectique qui tente de dépasser ces clivages en incorporant les deux points de vue. Pour nous, et comme nous l'avons expliqué, le compte rendu d'une réalité sociolinguistique nécessite en effet que l'analyse soit faite en fonction des deux perspectives, , dès lors considérées dans leur complémentarité.

L'idée de prendre le risque d'opérer ce rapprochement théorique et méthodologique s'est constituée du fait de l'objet même de notre thèse, qui est celui de rendre compte des phénomènes et sécurité et d'insécurité linguistique à la Réunion, puis de proposer un modèle théorique de ces phénomènes. Dans cette optique, il nous semble nécessaire de procéder à une

109 double analyse sociolinguistique des phénomènes, d'une part en partant des rapports qu'ils entretiennent avec la structure sociale globale, organisée en une stratification hiérarchisée, et d'autre part, en envisageant une démarche aveugle sur le plan de cette stratification sociale, qui part de l'analyse des sujets en interactions, de leurs comportements et de leurs attitudes sociolinguistiques, du sens qu'ils donnent eux-mêmes sur ces comportements et sur ces attitudes, autrement dit de leurs représentations sociales et de leurs discours épilinguistiques. Cette double analyse nous semble indispensable dans la mesure où elle constitue le seul moyen de rendre véritablement compte de l'interdépendance qui existe entre les comportements sociaux et la situation sociale qui leur sert de cadre général, situation que viennent complexifier et éventuellement modifier les paramètres constitutifs des interactions verbales.

En effet les phénomènes d'insécurité linguistique, considérés Jusque-là comme la peur, par un locuteur, d'être socialement déprécié parce qu'il (imagine qu'il) parle mal, c'est-à-dire de manière non conforme à la variété prestigieuse, sont forcément liés à la structure sociale et à son organisation hiérarchisée. Globalement, on sait qu'au sein d'une communauté linguistique, les variétés linguistiques les plus prestigieuses et constituées comme modèles de référence sont détenues par les locuteurs qui se trouvent en haut de l'échelle sociale, et diffusées de haut en bas. En ce sens, l'insécurité linguistique pourrait constituer l'une des manifestations d'une volonté (insatisfaite) d'ascension sociale, et par conséquent, comme le montre Labov, un des moteurs de la variation linguistique.

Encore faut-il savoir ce que signifie, pour les locuteurs, l'idée d'ascension sociale, celle de variété prestigieuse, ou encore celle de modèle normatif. Car les analyses des interactions verbales font précisément apparaître que tout n'est peut-être pas aussi prédictible et systématique que ne le donnent à penser les thèses variationnistes. Le propos n'est pas ici de contester l'existence du schéma général de la stratification sociale et de ses influences sur les comportements linguistiques, mais de montrer que les clivages qu'il fait apparaître (haut / bas (par rapport à l'échelle sociale) ; groupes dominants / groupes dominés ; variété prestigieuse / variété non-prestigieuse, etc.) ne sont peut-être pas toujours aussi établis et figés. Or la prise en compte de la dimension situationnelle de l'analyse sociolinguistique, permet de rendre compte du caractère parfois mouvant, modifiable, réversible, paradoxal, négociable des attitudes et des comportements sociaux au sein des interactions. En ce qui concerne l'insécurité linguistique, l'approche interactionnelle permet de rendre compte de sa dimension représentationnelle et du fait que toute interaction verbale, dans la mesure où le rapport à la langue est une donnée négociable au sein de chaque cadre interactif, est susceptible de mettre les interlocuteurs en insécurité linguistique, et ce indépendamment de leur profil social.

La complémentarité des deux approches apparaît ainsi d'elle même, car si effectivement toute interaction constitue un risque pour le locuteur de se sentir en insécurité linguistique, le degré de probabilité de ce risque est aussi fonction des caractéristiques sociales de ce locuteur, dans le cadre d'un contexte socio-historique et politique général qui dessine un certain type de stratification sociale, etc.

Parallèlement à ce rapprochement théorique nous avons proposé un rapprochement méthodologique entre les analyses quantitatives et les analyses qualitatives, mais aussi les perspectives macro-sociale et micro-sociale, dans l'idée d'allier les avantages de rigueur, d'objectivité et de généralisation, et de précision, avec ceux qui sont liés à l'analyse des interactions sociales, qui permet de nuancer et d'affiner des observations conçues seulement à

situation de contacts de langues : la Réunion.

un niveau macro-sociologique, et de rendre compte de la complexité des phénomènes, de leurs contrastes, de leurs contradictions, etc.

Ce type de méthodologie vise ainsi à réduire les inconvénients propres aux deux méthodes, permettant à la première de profiter de la souplesse de la seconde, mais aussi de sa capacité à rendre compte d'une réalité nuancée, multiforme, parfois paradoxale, etc., et permettant en retour à la seconde de profiter de la rigueur et de la capacité à généraliser les faits observés à établir des modèles théoriques de la première.

Nous avons ainsi passé en revue un certain nombre de problèmes relatifs à la mise en place des enquêtes sociolinguistiques. Nous avons défini notre objectif et explicité notre choix quant à la principale technique d'enquête utilisée, l'entretien semi-directif, dont nous avons décrit les caractéristique, fait apparaître les avantages et les inconvénients, souligné les difficultés. Nous avons essayé d'envisager tous les paramètres des entretiens. La question qui nous semble l'une des plus importantes à ce sujet concerne le rôle et la place de l'enquêteur dont nous avons vu qu'il devait prendre une certaine distance par rapport à son objet de recherche, mais qu'en même temps cette objectivité avait des limites.

Enfin, nous avons abordé les questions relatives à l'échantillonnage de la population. Nous avons vu à ce sujet que, sauf à utiliser des méthodes comme celles qu'utilise l'I.N.S.E.E., ce qui est infaisable à un niveau individuel, le caractère scientifique de la méthode d'échantillonnage par quotas pouvait toujours être mis en cause et devait de ce fait être relativisé. Enfin, nous avons montré à quel point le caractère représentatif d'un échantillonnage social était difficile à définir, et était relatif à chaque recherche, en particulier aux variables de catégorisation sociale des témoins.

Nous nous sommes ensuite interrogée sur la transcription du corpus, qui demande, lorsqu'il s'agit de transcrire des énoncés qui font apparaître du français et du créole, de faire un choix quant à l'utilisation d'une graphie. À ce sujet, nous avons montré à quel point la transcription de corpus, loin de se réduire à un simple (et laborieux…) exercice de mise en forme, constitue en elle-même une première analyse, et suppose un ensemble de prises de positions théoriques de la part du chercheur. Pour ce qui est de la transcription des énoncés (que nous aurions tendance à étiqueter comme) créoles, nous avons finalement choisi d'utiliser une graphie de type francisante, pour des raisons de prudence et de pertinence que nous avons exposées.

Pour finir, nous nous sommes interrogée sur l'exploitation de notre corpus et avons choisi d'avoir recours à l'analyse de contenu pour le traitement des données, dans la mesure où ce type d'analyse permet d'une part de poser un cadre d'analyse relativement structuré qui permet par conséquent, à l'intérieur de ce cadre, une certaine liberté, la possibilité pour le chercheur de se livrer aux interprétations des phénomènes observés sans pour autant (trop) se soucier d'éventuels débordements impressionnistes, que le cadre analytique est justement censé prévenir. L'analyse de discours permet de ce fait d'articuler la rigueur de l'objectivité et la richesse de la subjectivité.

Comme nous l'avons annoncé, le traitement des discours se fera à la fois à travers une analyse formelle, dans laquelle seront en particulier étudiés les mécanismes de prise en charge énonciative, d'implication ou au contraire de mise à distance de l'énonciateur par rapport à son discours, l'emploi des pronoms personnels et des temps verbaux, ainsi que

111 l'utilisation des langues, les phénomènes d'alternance codique, et une analyse du contenu thématique, dans laquelle seront étudiés les discours épilinguistiques, et les attitudes des témoins. En accord avec nos perspectives, ce traitement alliera méthodes quantitatives et méthodes qualitatives.

Pour l'heure il est temps de passer à la présentation de la situation sociolinguistique de la Réunion, qui constituera une étape supplémentaire dans la construction des hypothèses relatives aux phénomènes de sécurité et d'insécurité linguistique et à leur théorisation finale.

situation de contacts de langues : la Réunion.

DEUXIEME PARTIE

PRESENTATION DU TERRAIN : LA SITUATION