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TROISIEME CHAPITRE

I. S OCIOLINGUISTIQUE : OBJET ET TERRAIN D ' ETUDE

2. Mise en place et réalisation des enquêtes

2.3.4. De la difficulté des entretiens

Suscité, voulu, recherché d'un côté, souvent plus moins subi de l'autre, les conditions de l'entretien ne sont pas toujours, au moins dans un premier temps, idéales et propices à la communication.

La principale difficulté pour l'enquêteur, nous venons de l'évoquer, est de parvenir à se débarrasser de ses cadres de pensée, de ses idées préconçues, qui biaisent forcément le sens des messages. Dans les communications quotidiennes, en effet, chacun est habitué à filtrer ce qu'il entend, ce qu'on lui dit, à travers ses propres cadres de pensée mais aussi en fonction de l'image qu'il a de la situation, de son interlocuteur, de la représentation qu'il pense que son interlocuteur a de lui, etc. Dans la situation d'entretien, l'enquêteur doit adopter l'attitude la plus réceptive et ouverte possible, car tous ces filtres, que l'autre perçoit forcément à un degré ou à un autre, freinent et même risquent de bloquer sa parole. La première difficulté, par conséquent, qui se présente à l'enquêteur est d'appeler la parole de l'autre, de favoriser son émergence, et de parvenir à la recevoir telle quelle.

Pour ce faire, il nous semble particulièrement utile de prendre la peine d'enregistrer les entretiens, au cours desquels il existe fatalement des moments où l'enquêteur n'est pas toujours en état de vigilance tel que l'exige la réceptivité maximale. Ainsi, le fait d'enregistrer les échanges et par conséquent d'écouter par la suite les enregistrements, doit permettre au chercheur d'une part de prendre conscience des moments où il n'a justement pas laissé parler son témoin comme il aurait dû, où ce qu'il a entendu (et en fonction de quoi il a réagi) était largement influencé par ses propres idées préconçues, et d'autre part lui permet de ré-entendre ce qu'était effectivement en train de dire le témoin.

Une seconde difficulté de l'entretien est celle de l'attitude à adopter par l'enquêteur face aux non-réponses, aux refus de répondre à telle question, et l'interprétation qu'il en fait. Il arrive en effet relativement souvent que les témoins, par une stratégie ou une autre, évitent de répondre, tentent d'esquiver tel ou tel thème qui leur semble plus gênant que les autres. Ces stratégies sont identifiées par les chercheurs comme des mécanismes de défense mis en place, consciemment ou inconsciemment, par les témoins, et doivent attirer toute l'attention du chercheur.

Ces mécanismes de défense sont de différents types et peuvent grossièrement être classés en cinq catégories, largement inspirées par la psychanalyse freudienne (Grawitz, 1996 : 600) :

- la fuite, qui est un refus de réponse, pour des raisons qui ne sont pas forcément conscientes. Cette fuite peut être polie, précautionneuse (évocation d'un impondérable, travail à reprendre, enfants à aller chercher, etc.), ou brutale (départ brusque du témoin, arrêt de l'entretien ;

- la rationalisation. Pour expliquer une action, un comportement, une opinion, etc., le témoin peut avoir recours à une explication simple et logique, une sorte de réponse toute faite

situation de contacts de langues : la Réunion.

et souvent citée, et qui met l'enquêteur dans une certaine incapacité de la contredire, car si elle ne correspond pas entièrement à la réalité (ne recouvrant pas en particulier les aspects les plus signifiants et donc les plus intéressants), elle y correspond partiellement. Elle ne constitue en ce sens pas un mensonge, mais une vérité partielle, une explication logique et simpliste à un phénomènes dont les véritables fondement sont beaucoup plus profonds ;

- la projection constitue le troisième mécanisme de défense possible. Elle consiste pour le témoin à attribuer aux autres ses propres attitudes ; il est en effet souvent beaucoup plus facile de parler des autres que de soi-même. En outre, ce peut être des comportements, des opinions, etc., que le témoin ne souhaite pas revendiquer, pour des raisons qui peuvent être très variées, et dont il parle en les attribuant à d'autres que lui-même. C'est à l'informateur de parvenir à faire la part des choses entre les moments où le témoin parle effectivement des autres, et ceux où il s'en sert pour parler de lui ;

- le quatrième mécanisme est en quelque sorte le revers du précédent : il s'agit de l'introjection, mécanisme par lequel le témoin s'attribue au contraire des opinions, comportements, etc., qui ne sont pas les siens, mais caractérisent des individus ou des groupes auxquels il souhaite s'identifier, ou être identifier. Ce mécanisme, s'il est détecté par l'enquêteur, constitue un matériel d'analyse très précieux, dans la mesure où il permet de mettre au jour les processus d'identifications sociales, moteurs de nombreux comportements et sources possibles de changements sociaux ;

- enfin le cinquième mécanisme est celui de l'identification, qui incite le témoin à se conformer à l'image qu'il pense que l'enquêteur à de lui, et qui trouve par conséquent de précieuses clés d'interprétation dans l'analyse des représentations que les témoins peuvent avoir de l'enquêteur, et des relations témoin/ enquêteur.

L'interprétation que le chercheur peut faire de ces mécanismes de défense dépend naturellement largement de chaque entretien, du moment où ils surgissent, mais aussi du profil du témoin, de ses caractéristiques sociales, de ses réactions antérieures, etc. Il est donc difficile sinon impossible, de donner a priori d'autres sens que ceux que nous avons évoqués à ces esquives. Reste à voir l'attitude à adopter, par l'enquêteur, face à ces phénomènes extrêmement fréquents en situation d'entretien, attitude qui dépend là encore des différents paramètres que nous venons de décrire (profil du témoin, moment dans l'entretien, type d'entretien, etc.).

Globalement différentes attitudes sont possibles. Il se peut d'abord que ce qui gêne le témoin au point d'entraîner un refus de répondre puisse être compris en fonction d'autres éléments mis au jour lors de l'entretien. Dans ce cas, et si l'enquêteur possède suffisamment d'éléments pour être sûr du sens à donner, il peut simplement choisir de faire silence sur le thème en question et d'orienter la discussion sur d'autres sujets.

D'un témoin à l'autre, l'enquêteur peut de toute évidence choisir d'adopter différentes stratégies. Il se peut très bien par exemple, que l'enquêteur juge le témoin suffisamment solide et sûr de lui pour le confronter directement avec le mécanisme de défense qu'il vient de mettre en place. La plupart du temps toutefois, et dans la mesure où la situation d'enquête est déjà suffisamment inconfortable et insécurisante pour le témoin, l'enquêteur évitera un tel comportement qui peut être vécu comme une véritable agression. Une autre solution possible est d'essayer de reprendre le thème sous un autre angle, soulignant un autre aspect de la question. Mais s'il voit que le témoin persiste dans sa fuite ou dans son silence, il a tout intérêt, au risque de voir l'entretien s'arrêter, à changer de sujet, même s'il doit y revenir plus tard. Parfois, il s'avère que le témoin, en répondant à d'autres questions qui peuvent d'ailleurs

99 n'avoir qu'un rapport apparemment indirect avec le sujet sensible, est lui-même amené à reprendre le thème auquel il avait tenté d'échapper.

Nous avons ainsi essayé, dans ce qui précède, de faire le tour des difficultés que posent la mise en place et en œuvre des entretiens semi-directifs, et avons passé en revue les différents paramètres qui entrent en jeu dans ces procédures. Il est temps à présent de soulever une autre question majeure qui se pose à tout enquêteur, celle de l'échantillonnage de la population sur laquelle porte sa recherche.

2.4. L'échantillonnage de la population

Dès lors que l'on veut établir l'échantillonnage d'une population en vue d'enquêtes, les deux questions fondamentales qui se posent au chercheur sont celles de la scientificité de la méthode qu'il va adopter, et de la représentativité de son échantillonnage.