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PRESENTATION DU TERRAIN : LA SITUATION SOCIOLINGUISTIQUE DE LA REUNION

1. La diglossie : un processus à dimension conflictuelle

Cette réalité conflictuelle, qui avait été soulignée par Psichari (1928), est passée sous silence dans la théorisation proposée par Ferguson, pour qui le propos est plutôt de rendre globalement compte des régularités d'utilisation des différents codes en présence, dans toute situation de diglossie et à un niveau macro-sociolinguistique. Or, et cela nous conforte dans l'idée d'une complémentarité entre les deux niveaux d'analyse, si l'on s'attache à comprendre, dans une perspective micro-sociolinguistique, le fonctionnement des pratiques langagières et le sens des attitudes linguistiques des locuteurs vis-à-vis des variétés en présence, la réalité apparaît brusquement toute autre, largement plus complexe, plus mouvante, moins harmonieuse et prédictible que n'en rend compte la conception de Ferguson.

Cette critique prend principalement source au sein du groupe des linguistes désignés par L.-F. Prudent comme "natifs" (1981 : 23)94. En raison de leur ancrage suffisant dans les

situations étudiées, ces chercheurs sont les premiers à souligner la non-pertinence de la "vision idyllique de la stabilité, de l'homogénéité, et de l'harmonie du schéma canonique" (ibid), et donnent au "terme technique d'origine "coloniale" un contenu revendicatif dans la bouche des dominés" (ibid.). Pour Lambert-Félix Prudent (1981) ces sociolinguistes, qu'il désigne comme les "adaptateurs conséquents" de la diglossie, se caractérisent par le fait qu' :

"[…] à partir de leurs expériences spécifiques [ils] ont fait apparaître peu à peu la dimension antagonique ou "glottophagique" de la diglossie." (1981 : 21-22).

Les linguistes L. Aracil et R. Ninyoles, dont les travaux en sociolinguistique ont trouvé leurs principales sources d'influence dans le contexte d'opposition à la dictature franquiste, ont ainsi mis au jour la notion de conflit linguistique. Leurs travaux, présentés en particulier dans le cadre du Congrès de cultura catalana (1975 - 1977) ont décrit le conflit linguistique de la façon suivante :

"Il y a conflit linguistique quand deux langues clairement différenciées s'affrontent, l'une comme politiquement dominante (emploi officiel, emploi public) et l'autre comme politiquement dominée. Les formes de la domination vont de celles qui sont clairement répressives […] jusqu'à celles qui sont tolérantes sur le plan politique et dont la force répressive est essentiellement idéologique […]. Un conflit linguistique peut être latent ou aigu, selon les conditions sociales, culturelles et politiques de la société dans laquelle il se présente." (Congrès de cultura catalana, 1978, vol. I, 13)95

94 C’est-à-dire travaillant sur leurs propres terrains, catalan (Ninyoles, 1969 ; Aracil, 1965), occitan (Lafont, 1971), guadeloupéen (Davy, 1971 et 1975), ou encore québécois (Chantefort, 1976).

123 La situation de diglossie est ainsi désormais conçue comme une situation d'affrontements sociaux, entre des groupes socialement et politiquement "dominants" et des groupes socialement et politiquement "dominés", et donc comme une situation d'affrontements linguistiques, entre une langue "dominante", imposée comme langue de prestige, et une langue "dominée", à laquelle est conférée une valeur sociale et un pouvoir symbolique moindres. L'accent est donc mis, non plus sur la complémentarité fonctionnelle des langues, mais sur le fait que dans une situation diglossique, les deux langues ou variétés en présence sont la plupart du temps considérées, évaluées, et utilisées l'une par rapport à l'autre, ou, si l'on reprend cette idée d'"affrontement", l'une contre l'autre. Leur prise en charge dans l'espace énonciatif n'est jamais neutre, mais marquée, en regard des attributs sociaux qui leur sont respectivement accordés, qui marque du même fait les locuteurs qui les parlent. Cette idée d'affrontement perpétuel des langues en situation d'énonciation est formulée par Jean-Claude Marimoutou de la façon suivante :

"Ce qui caractérise le conflit diglossique, c'est qu'il est sans cesse rejoué, dans chaque acte de parole, sans cesse mis en scène et en même temps, sans cesse contesté. Mais cette représentation du conflit sur la scène linguistique n'est jamais directe, en raison même de la diglossie qui la produit ; le conflit se donne à voir dans le fait que les langues sont en regard l'une de l'autre, et que, de ce fait, la langue dominée – dans l'acte concret de la parole – est amenée à se situer par rapport à la langue dominante […] à laquelle sa performance est – symboliquement ou réellement – suspendue." (1990 : 10)

L'idée sous-jacente impliquée ici est donc que l'une des conséquences fondamentales de la diglossie est que l'usage de la langue dominée est toujours évalué en fonction de la langue dominante. Tout se passe comme si les deux langues étaient réduites à une seule, n'avaient plus qu'une seule norme de référence, celle de la variété dominante, et par rapport à laquelle la conformité de tous les usages étaient déterminés. Cette hypothèse donne ainsi matière à réfléchir, en particulier si on la rapproche de la problématique de la communauté linguistique, définie Jusque-là comme "unité de gestion de ressources linguistiques" (Baggioni, Moreau et Robillard 1997). Elle met en outre l'accent sur l'importance de traiter aussi les problèmes de norme et de communauté linguistiques à partir de l'étude des représentations sociales et de leurs expressions à travers les discours épilinguistiques mais aussi à travers les pratiques linguistiques elles-mêmes. Cette idée sera reprise lorsqu'il s'agira pour nous de rendre compte de la (des) communauté(s) linguistique(s) réunionnaise(s).

On voit par conséquent à quel point l'idée de complémentarité fonctionnelle décrite par Ferguson semble rendre compte de façon restrictive des usages dans la réalité des pratiques linguistiques en situation de diglossie. Selon Georg Kremnitz, le principal apport de la sociolinguistique catalane a été d'ailleurs de souligner :

"[…] la relation entre les différenciations fonctionnelles du langage à l'intérieur d'une unité étatique et les segmentations de celle-ci, ne constatant plus simplement la différence des fonctions mais prenant en même temps en charge les différences de statut et de prestige. Ainsi, les notions de langue dominante et de langue dominée […] deviennent centrales pour la discussion du conflit linguistique." (Kremnitz, 1981 : 71)

L'idée selon laquelle les situations diglossiques sont des situations non conflictuelles, dans lesquelles coexistent pacifiquement un standard et un dialecte, répartis, du point de vue de l'usage, dans les différents domaines socio-situationnels et entre lesquels il existe donc un

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rapport de complémentarité fonctionnelle est donc clairement contestée. Ainsi, pour Jardel (1982) :

"[…] l'existence même d'une langue haute et d'une langue basse au sein d'une même communauté supposent nécessairement des rapports conflictuels." (Jardel, 1982 : 12)

Le caractère harmonieux que confère Ferguson aux situations de diglossie se double, on l'a vu, d'un caractère de stabilité, effectivement nécessaire à la non conflictualisation : s'il n'y a pas de conflit, les emplois d'usage peuvent être stables et bien délimités, chacun sait quelle langue est doit utiliser avec telle personne et dans telle situation, et les langues peuvent effectivement entretenir des rapports de complémentarité fonctionnelle tels que les décrit Ferguson. Le rapport causal est d'ailleurs à double sens car inversement, la stabilité fonctionnelle des langues devrait théoriquement entraîner une situation effectivement non conflictuelle. Or cette harmonie et cette stabilité correspondent en fait souvent à la carte de visite des communautés diglossiques, et à l'image que les locuteurs qui en sont membres projettent vers l'extérieur en mettant l'accent sur le côté culturellement enrichissant des contacts de langues. Cette carte de visite, qui correspond du reste aussi partiellement à la réalité, constitue pour eux une manière de présenter une image valorisante de la communauté linguistique à laquelle ils appartiennent, une manière de "sauver la face", pour reprendre une expression de Goffman (1974).

Les enquêtes de terrain sont très révélatrices à ce sujet. À la Réunion par exemple, les individus se rassemblent souvent autour d'un mythe d'harmonie, de solidarité, d'entente et de paix entre les différentes communautés ethniques et religieuses en présence, et ce mythe s'étend souvent à la situation linguistique et aux rapports qu'entretiennent français et créole. Ce type de discours se retrouve fréquemment dans les premiers moments des entretiens, qui se doivent alors d'amener les témoins à réfléchir sur ce type de clichés et à se demander s'il n'existe pas une autre facette de la réalité.

Le fait est que la seule conception de la situation de diglossie comme situation sociolinguistique stable et harmonieuse est difficilement envisageable à partir du moment où l'une des deux langues en présence devient le seul modèle linguistique à atteindre, et où de ce fait, toute une partie de la population est socialement considérée comme incompétente sur le plan linguistique dans la mesure où elle ne maîtrise pas ce modèle. En ce sens, il est invraisemblable de concevoir la situation diglossique comme une situation seulement harmonieuse. Ainsi, pour Georg Kremnitz (1991), il n'existe pas de diglossie "neutre" :

"[…] une diglossie vraiment neutre […] ne […] paraît possible qu'à condition que la praxis linguistique ne soit pas un élément des enjeux sociaux. Cela ne paraît guère pensable dans nos sociétés complexes d'aujourd'hui où les capacités langagières ont très souvent une influence très directe sur la biographie sociale d'un locuteur […]. Ma réponse est donc toujours la même, chaque situation diglossique contient des éléments d'inégalité et par conséquent des éléments de conflit. Le potentiel conflictuel est lié inextricablement à l'inégalité des emplois. Ces éléments conflictuels ne sont pas continuellement actualisés mais ils sont toujours présents, actualisables, pour ainsi dire." (1991 : 33)

Sur le terrain occitan, Robert Lafont (1971, 1973, 1977, 1990) a largement illustré cette dimension conflictuelle propre à la diglossie. Dans les grandes lignes, Lafont montre que la situation occitane est caractérisée par l'opposition entre une langue d'État, administrant tous

125 les actes privés et publics, constituant la langue d'enseignement, et chargée de prestige social, et une langue chassée de tout usage administratif, parlée par les "classes peu acculturées, selon l'officialité de la culture" (1990a : 13), exclue de l'enseignement, socialement dévalorisée (ibid.).

La minoration linguistique propre à la diglossie est en fait véhiculée à deux niveaux au moins : au niveau officiel et institutionnel, d'une part, qui pose la norme de telle langue comme norme linguistique de référence ; et d'autre part au niveau des représentations sociales, qui peuvent être appréhendés par l'intermédiaire des discours épilinguistiques des locuteurs, le tout étant naturellement à replacer dans un contexte socio-historique et sociolinguistique particulier.

Une question est ici de déterminer s'il existe entre ces deux types de minorations linguistiques, pour dire les choses de manière volontairement simplifiée, la minoration institutionnelle et la minoration représentée, un rapport de causalité, et si tel est le cas, dans quel sens il s'opère. En d'autres termes, il s'agit de se demander si l'on peut établir que c'est la diglossie, telle qu'elle est instituée socialement dans une communauté linguistique donnée, qui a des répercussions sur les représentations sociales et qui amènent les locuteurs à intérioriser des discours épilinguistiques hiérarchisant les (variétés de) langues, ou si, à l'inverse, ce sont les locuteurs eux-mêmes qui instituent la diglossie.

La réponse à ce type de questionnement est naturellement loin d'être univoque. Si l'on se réfère par exemple à la période, encore relativement récente, d'unification linguistique française96, où la situation sociolinguistique s'apparente à une situation diglossique97 dans

laquelle à la langue nationale, le français, qui correspond plutôt en cette fin du 18e siècle, à la "langue du roi […] [et à la] langue des élites sur le territoire et bien au-delà" (Baggioni, 1980 : 40)98, s'oppose une pluralité de "dialectes". Or, comme le souligne Louis-Jean Calvet

(1974), le clivage langues / dialectes s'opère bien moins à partir de critères linguistiques, qu'à partir de critères d'ordre idéologique et politique :

"[…] du strict point de vue de la structure interne, il n'y a […] aucune différence entre une langue et un dialecte […] ; la différence réside dans un statut acquis. Mais la nature de ce statut et les processus de son acquisition ne sont pas très clairs […]." (1974 : 46)

Louis-Jean Calvet (ibid.) insiste sur l'importance du rôle qu'on joué les linguistes, en cette période caractérisée par une politique linguistique largement interventionniste visant explicitement à unifier le pays sur ce plan, dans le processus de validation et de reconnaissance sociale de ce clivage entre langues et dialectes, entérinant de ce fait une classification antérieure qui n'avait pourtant que peu de fondement scientifique.

96 Pour plus de détails sur cette période de l'histoire de France, Balibar et Laporte, 1974 ; Baggioni, 1980. 97 Pour aller vite nous considérons que la France (métropolitaine) n'est plus, aujourd'hui, une situation de diglossie dans la mesure où la politique d'assimilation menée pendant et après la Révolution française a réussi, faisant du français l'unique langue de l'administration, de la presse (sauf dans des régions limitrophes telles que l'Alsace par exemple, de la scolarisation publique, et enfin langue première et quotidienne de la plupart des Français (de métropole).

98 Le rapport Grégoire (1793) montre ainsi que sur 26 millions de Français, seulement 10 sont francophones, et trois millions parlent aussi le français (Baggioni, 1980).

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"[…] systématiquement, c'est la langue nationale qui est baptisée "langue" et les langues non nationales qui sont baptisées "dialectes", et le flou définitoire se fait donc nécessité au service de la situation comme elle est." (1974 : 47)

La langue apparaît de ce fait comme une "variété linguistique dont l'usage est réglé par les instances normatives" (Baggioni, 1980 : 40). Si l'on suit cette piste, on est donc amené à se dire que la minoration linguistique propre à la situation linguistique serait d'abord le fait d'une minoration institutionnelle, validée de surcroît, dans ce cas, par la communauté scientifique. On peut ainsi se dire que l'un des principaux vecteurs de diffusion de cette minoration institutionnelle est l'institution scolaire, qui constitue par définition le lieu d'apprentissage de la norme, du "bien parler" et du "mal parler".

On peut alors tenter d'aller plus loin et se demander si c'est également à l’école que les enfants prennent conscience du statut social des variétés linguistiques en présence, de la hiérarchisation des usages, et par conséquent apprennent à évaluer la variété qu’ils parlent, constituant ainsi leur norme "subjective" par rapport à la norme socialement reconnue, la norme "prescriptive" du français standard. De nouveau la réponse n'est certainement pas univoque. Cet apprentissage, s'il se précise dans le cadre scolaire, institutionnel et normatif, débute très vraisemblablement avant l'entrée à l'école, dans le cadre familial. Le processus de transmission linguistique, on le sait, débute dès les premiers mois de la vie d'un enfant. Or on peut difficilement imaginer que cette transmission se fasse de façon neutre et ne se double pas de celle d'un ensemble de comportements linguistiques marqués sur le plan social. En revanche, les spécialistes de ces questions ne sont pas certains de la précocité du développement de la conscience épilinguistique, autrement dit de la conscience des hiérarchies sociales qui stratifient les variétés et les usages linguistiques. Sur le terrain belge, Dominique Lafontaine (1986) a par exemple établi que c'est seulement à l'âge de douze ans que les enfants semblent avoir intégré les discours diglossiques, amenant à reconnaître les régionalismes comme peu prestigieux.

Quoi qu'il en soit, et même si cet apprentissage est effectivement relativement tardif, la construction de la conscience linguistique et la détermination d'attitudes linguistiques ne peuvent qu'être le résultat d'apprentissages au sein du cadre familial d'une part, du cadre scolaire d'autre part, et enfin et sans doute surtout, le résultat progressif d'interactions entre ces différents types d'apprentissage. On voit bien à quel point les choses sont liées les unes aux autres. L'apprentissage linguistique réside en fait bien en un apprentissage et en une construction de normes, normes linguistiques (qui se construisent en référence à la norme socialement prescrite par les instances compétentes), normes communicationnelles ("conventions sociales" qui régissent le langage dont parle en particulier E. Goffman), mais aussi images des normes, représentations de ces normes, qui constituent ce que l'on a jusque ici appelé les "normes subjectives" (ailleurs appelées "normes évaluatives"), qui structurent la conscience épilinguistique. Marie-Louise Moreau (in Moreau (éd.), 1997) montre bien ces rapports d'interdépendance et d'interaction constantes qu'entretiennent constamment les différents types de normes :

"Les normes évaluatives (ou subjectives) […] entretiennent avec les normes prescriptives des rapports complexes, les conditionnant partiellement et étant pour partie déterminées par elles." (1997 : 222)

127 Il serait certainement abusif de prétendre que l'école est le véhicule des processus de minoration linguistique chez les plus jeunes locuteurs, mais il en constitue toutefois certainement bien un. Cet état de fait montre du reste un paradoxe important. Car l'école, en tant que lieu d'apprentissage devrait faire apparaître chez les enfants des sentiments de plus grande aisance linguistique. Toutefois, c'est également à l'école que l'enfant intériorise des notions de bien et de mal parler qui sont au moins implicitement mises en rapport avec les différentes (variétés de) langues (puisque seulement l'une d'entre elles est la variété de la réussite scolaire), qu'il apprend à évaluer ses propres productions ainsi que celles des pairs, mais aussi en regard des attitudes et des discours des instituteurs et institutrices, par ailleurs vraisemblablement, nous y reviendrons, souvent enclins aux sentiments d'insécurité linguistique. En ce sens, il est vraisemblable que l'école puisse être un lieu d'apparition d'insécurité linguistique. C'est en tous cas le point de vue de Jean-Marie Klinkenberg (1989), qui écrit :

"Elle [l'insécurité linguistique] est fortement liée à la scolarisation. Dans beaucoup de cas, celle-ci introduit à la connaissance de la norme, mais sans pour autant donner la maîtrise pratique des registres. On arrive donc à ce résultat paradoxal que l'école augmente fréquemment l'insécurité linguistique. Plutôt que d'apprendre au scolarisé à parler, elle le condamne souvent à se taire." (1989 : 70)

Nos propres enquêtes n'ont pas pris en compte la population enfantine, dont les représentations sociales et épilinguistiques devraient constituer l'objet principal d'une recherche qu'il serait du reste tout à fait instructif de mener à la Réunion.

Ainsi, si l'on continue dans cette voie et que l'on fait l'hypothèse que la minoration linguistique est d'abord diffusée par les institutions officielles, cette minoration serait par la suite investie par les locuteurs eux-mêmes, qui reprennent à leur compte les discours visant à dévaloriser la ou les (variété(s) de) langue(s).

Toutefois, les travaux sont unanimes pour montrer que les locuteurs reprenant à leur compte les discours de minoration linguistique, les amplifient largement. De fait, la diglossie est renforcée et peut-être même parfois maintenue par l'intériorisation des discours à relatifs la hiérarchisation sociolinguistique. On aboutit en outre au paradoxe apparent, auquel la problématique de l'insécurité linguistique, nous le verrons, apporte des éléments explicatifs forts intéressants, selon lequel ce sont les locuteurs natifs de la langue minorée qui la stigmatisent le plus. Là encore, mais sans pouvoir aller plus loin dans cette direction pour le moment, il semble que la problématique de l'insécurité linguistique pourra nous éclairer.

Ainsi, que conclure quant à l'origine de la diglossie ? En regard de ce qui vient d'être très brièvement dit, il apparaît que la diglossie est un produit multiple. D'une part elle résulte d'une situation sociopolitique particulière, à un moment particulier de son histoire, qui fait qu'elle se caractérise par l'existence d'une minoration instituée, qui se diffuse sur un plan social, est intériorisée dans les représentations collectives, et exprimée à travers les discours épilinguistiques. D'autre part, la diglossie repose aussi sur les locuteurs eux-mêmes, en particulier, comme le montrent les travaux en sociolinguistique occitane par exemple, les locuteurs des variétés minorées, qui intériorisent ces discours, les reconstruisent, les entérinent, les renforcent, et les transmettent à leurs enfants. De façon caricaturale, on peut ainsi dire que la dévalorisation sociolinguistique fait l'objet d'un véritable apprentissage, et que du même fait, la diglossie apparaît effectivement comme un processus, que le temps

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semble renforcer, et dont la dimension conflictuelle apparaît effectivement comme une évidence.

Toutefois, cette notion de processus, qui implique un caractère mouvant et évolutif,