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PRESENTATION DU TERRAIN : LA SITUATION SOCIOLINGUISTIQUE DE LA REUNION

QUELQUES PERSPECTIVES

1. Pour une relecture de l'histoire sociolinguistique réunionnaise

Pour mener à bien la réflexion que nous proposons ici, il nous semble utile de présenter un tableau très général des événements qui, au fil des siècles, nous semblent marquants en ce qui concerne l'évolution de la situation linguistique. Ce tableau ne fait que reprendre les données exposées et détaillées dans le second chapitre de cette partie, et évitera ainsi d'y renvoyer constamment le lecteur.

Ce tableau, non exhaustif et largement synthétique, permettra au lecteur d'avoir à l'esprit les grands traits de l'histoire sociolinguistique de l'île qui nous semblent les plus significatifs pour la compréhension et l'analyse de la situation actuelle. Il servira par conséquent de point de départ à notre réflexion personnelle, à travers laquelle il s'agit pour nous de voir dans quelle mesure l'insécurité linguistique, conçue jusqu'à présent, et de manière encore provisoire et transitoire, comme sentiment, chez le locuteur, de produire des énoncés fautifs par rapport à ceux qui sont requis par le modèle normatif qui sert de référence dans la situation de communication, peut d'une part permettre une nouvelle interprétation des événements et de leurs évolutions, et d'autre part, peut faire évoluer la conceptualisation de notre notion.

Il faut bien ici avoir à l'esprit que nos connaissances historiques ne sont que de seconde main, dans la mesure où nous n'avons pas nous-même procédé au travail colossal qu'a en particulier opéré Robert Chaudenson à la Réunion, parti, au fil des documents d'archives, à la recherche des origines du créole et du français tels qu'ils étaient parlés avant notre siècle, et à la recherche de leurs évolutions, de bribes de cette histoire encore si peu décrite, et, à notre sens, tellement pleine de mystères. Les réflexions qui vont suivre sont par conséquent peut- être moins des réflexions sur l'histoire des mutations sociolinguistiques en elle-même, que sur la façon dont elle est donnée à voir dans les travaux qui ont précédé le nôtre163. Ce qui suit

doit par conséquent être avant tout lu comme une proposition personnelle, et à partir des travaux d'autres chercheurs, de l'interprétation de certains aspects de l'histoire, et donc est à considérer à titre hypothétique.

162 Ce qui finalement, n'est pas beaucoup moins ambitieux...

163 Cela nous ramène à un débat qui a déjà commencé à être évoqué, et qui concerne la différence qui peut exister entre une chose, et la représentation qu'on en a. En outre, il faut bien souligner que si nous avions nous- même procédé aux recherches historiques, notre représentation serait peut-être différente. Ce travail de thèse, du reste, nous a souvent donné véritablement envie, mais sans en avoir encore eu le temps, de partir nous-même à la recherche de ces origines et de ces évolutions.

187

16e siècle Découverte de l'île par les Portugais. Elle devient un lieu de passage pour les marins. Personne n'en prend possession.

17e siècle 1649 : La France prend possession de l'île, alors baptisée "Île Bourbon". Il faut pourtant attendre encore une quinzaine d'années pour que les premiers colons s'y installent.

En 1665, la population se compose de 28 hommes (dont 21 Français et 7 Malgaches), trois femmes malgaches et un gouverneur, Estienne Regnault164.

Société d'"habitation". Constitution des premières formes du créole (± "français créolisé") en continuité avec le français régional (ou bourbonnais).

18e siècle 1715 : Introduction du café. Début de la société de plantation et début de la traite, essentiellement encore en provenance de Madagascar, mais aussi d'Afrique occidentale (Gorée et Juda)165.

Les esclaves "créoles" se voient confier un rôle pédagogique (linguistique et social) vis-à-vis des esclaves "bossales".

Deuxième série d'approximations linguistiques et aboutissement du processus de créolisation.

± 1723 : Le créole serait constitué.

1733 : Première traite en provenance d'Afrique orientale (Mozambique). Exil d'une partie de la population blanche ("Petits Blancs des Hauts") dans les Hauteurs de l'île, et stabilisation du français créolisé.

± 1765 : Arrivée massive de main d'œuvre servile en provenance de Madagascar et d'Afrique orientale, et de manière encore incidente, d'Inde. Les quatre dernières décennies du 18e siècle se caractérisent par un accroissement considérable de la population166.

19e siècle 1810 - 1815 : Occupation anglaise. Début de l'économie sucrière. 1848 : Abolition de l'esclavage.

Début des grandes immigrations en provenance d'Asie (Inde et Chine) Émergence du continuum linguistique ?

Fin 19e et début 20e : arrivée de la majorité des Chinois et des Indiens musulmans.

20e siècle Société coloniale jusqu'en 1946, où la Réunion est départementalisée.

164 Chane-Kune, 1993 : 21.

165 Cette traite entre l'Afrique de l'Ouest et Bourbon n'est pas très importante par rapport à celle qui se fera plus tard depuis l'Afrique de l'Est. Elle débute de manière très incidente au début du 18e siècle, devient plus importante entre 1729 et 1731 puis entre 1739 et 1744, année après laquelle elle se raréfie, pour prendre définitivement fin en 1767 (Desport, 1988 : 14 - 15).

166 D'après Marcel Leguen (1979 : 46), les recensements indiquent qu'en 1763, l'île compte 19 000 habitants, parmi lesquels 20 % sont Blancs, tandis qu'en 1788, soit vingt-cinq ans plus tard, on recense 46 017 habitants, dont 19 % sont des Blancs et 81 % sont des Noirs.

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1.1. La société coloniale : événements et évolutions sociolinguistiques

Sur le plan social, le 17e siècle s'organise en une société d'"habitation", dans laquelle le groupe des Blancs (et libres) est encore numériquement plus important que celui des domestiques, Malgaches pour l'essentiel, qui se caractérise, sur le plan linguistique, par une première évolution de la koinè initiale parlée par les Français, qui doit s'adapter aux réalités locales, et que l'on peut identifier comme un français "régional", ou "bourbonnais". Ce français régional évolue à son tour, au contact des apprenants que constituent les "domestiques"167, mais aussi du fait de l'absence de pression normative, en "français créolisé".

Le processus de créolisation est dès lors amorcé.

On peut tout de suite se demander si ce français créolisé, première étape décisive du processus de créolisation était effectivement parlé par tous les habitants, maîtres et "domestiques", Blancs et Noirs, ou s'il était déjà marqué socialement comme moins prestigieux que le français régional dont il provenait. D'après Chaudenson (1992a), en effet, cette époque se caractérise temporairement par une relative unité sur le plan linguistique. Toutefois, si l'on considère la réalité sociale, on peut faire l'hypothèse qu'il existait déjà une différence, sur le plan de la reconnaissance sociale, entre les deux variétés, français régional et français créolisé.

En effet, d'une part, même si la société d'habitation impose à tous des conditions de vie pareillement difficiles, et se caractérise par de "bonnes relations" entre Blancs et non-Blancs (Chane-Kune, 1993 : 27), on peut présumer que les rapports sont tout de même hiérarchisés, et que cette hiérarchie s'exprime aussi à travers la langue. D'autre part, le fait que l'on puisse distinguer des variétés dans le processus continu de créolisation, et par conséquent leur émergence même, donnent effectivement à penser que ces variétés étaient emblématiques sur le plan social (les uns se définissant (et / ou étant définis par les autres) comme locuteurs de telle variété, marquant ainsi les différences d'appartenance aux groupes). Il est donc vraisemblable que dès le 17e siècle, le français régional et le français créolisé sont marqués socialement et distingués l'un de l'autre, et ce même si les frontières entre les deux variétés ne sont pas toujours clairement identifiables, à l'image des frontières entre les locuteurs, du reste, puisque l'on sait par exemple qu'au moins une partie de la population blanche est locutrice de ce français créolisé (ceux qui plus tard s'exilent dans les Hauts). Nous allons y revenir.

Le 18e siècle est marqué par la nouvelle orientation économique de l'île, qui se lance désormais dans la culture du café. C'est le début de la société de plantation qui entraîne l'arrivée de nombreux habitants aussi bien serviles que libres. Ces immigrations complexifient naturellement le schéma social et font apparaître de nouvelles hiérarchies, aussi bien chez les Blancs (entre colons natifs et colons non-natifs, mais aussi, dans la seconde génération de Créoles blancs, entre les premiers nés, privilégiés sur le plan des héritages, et les autres, etc.), que chez les non-Blancs (entre esclaves créoles et esclaves bossales)168.

167 On ne parle pas encore d'"esclaves" conformément à l'article 12 du règlement de la Compagnie des Indes qui interdit l'esclavage jusqu'en 1690 (Chane-Kune, 1993 : 26 - 27). La population non-Blanche est ainsi appelée "serviteurs" ou "domestiques". Des unions sont du reste célébrées entre des Français et des femmes malgaches. Le terme "esclave" n'apparaît clairement dans les récits qu'à partir de 1687.

168 On peut du reste tout de suite remarquer les enjeux sociaux que sous-tendent dès lors les clivages Créoles / non-Créoles, qui sont par exemple des enjeux de pouvoir et de possession sur le plan socio- économique, ou encore des enjeux de définition identitaire, qui sont du reste liés, les seconds pouvant par

189 Quoi qu'il en soit, la population augmente considérablement au cours du 18e siècle169.

Ceux qui en ont les moyens se battent pour le pouvoir et la reconnaissance, et l'organisation sociale se complexifie. Les esclaves nés dans l'île, locuteurs de la première forme de créole, se voient attribuer la tâche de former les esclaves nouvellement arrivés, en provenance de Madagascar et d'Afrique occidentale, ce qui, sur le plan linguistique, entraîne une seconde série d'approximations et fait aboutir le processus de créolisation. Le créole est ainsi constitué dans les années 1720, et son usage s'étend vraisemblablement très rapidement à toute la population servile.

Du côté des Blancs, le nouveau type de structure socio-économique entraîne l'arrivée de nombreux Français "persuadés – bernés par la Compagnie – que l'on pouvait, grâce au café, réaliser aux îles des fortunes énormes" (Leguen, 1979 : 46). Certains font effectivement fortune (Leguen note du reste que l'essentiel de la grande bourgeoisie réunionnaise s'est constituée pendant cette période), mais d'autres n'y parviennent pas. Une partie de la population blanche se paupérise et s'exile dans les régions montagneuses, les cirques et les hautes plaines. Cette population, on l'a dit, se caractérise sur le plan linguistique par le fait qu'elle parle le français créolisé.

On peut faire ici deux hypothèses. D'une part on peut se dire que l'émergence d'une hiérarchisation sociale au sein des deux groupes, qui a appauvri une partie de la population blanche et doté une partie des esclaves d'un rôle d'instructeurs qui les élevait certainement sur le plan social (tout au moins dans la mesure du possible, dans le cadre de la structure esclavagiste), a entraîné une situation que nous pourrions désigner comme une "triglossie" (Lafont, 1971 ; Marcellesi, 1978 ; Hazaël-Massieux, 1978), opposant le français régional, parlé par les élites, le créole parlé par les esclaves, et le français créolisé parlé à la fois par les esclaves créoles, et par les blancs appauvris170 (et donc s'étant rapprochés des sphères

linguistiques correspondant à leur nouvelle condition sociale). Par la suite, les esclaves se seraient unifiés sur le plan linguistique, le français créolisé aurait disparu dans les régions du littoral, et le français régional aurait perduré chez les gros propriétaires blancs.

Cette hypothèse toutefois est en contradiction avec le fait que le français créolisé, comme le rappelle Robert Chaudenson, était valorisé socialement dans la mesure où il constituait, pour les groupes exilés dans les Hauts un marqueur social de "leur ancienne supériorité ethnique" (1992a : 112). Il est ainsi plus probable que dans la société d'habitation, les différents groupes s'étaient effectivement relativement unifiés sur le plan linguistique, les deux variétés (français régional et français créolisé) étant organisées en continu, avec, sans doute, des traits qui distinguaient les usages des Blancs (et qui faisaient que leur variété était plus orientée vers le français) de ceux des non-Blancs. En retour, dans la société de plantation, qui constitue une société hautement hiérarchisée et stratifiée, l'heure n'est plus à l'unité linguistique. Il s'agit sans doute même à présent, pour les propriétaires terriens et propriétaires d'esclaves, qui tiennent à se protéger des rebellions, de faire en sorte de

exemple légitimer les premiers. Ces enjeux ne sont d'ailleurs pas sans rappeler ceux qui existent encore à l'heure actuelle à la Réunion.

169 Pour avoir une idée du degré de cette augmentation de population, on peut par exemple faire appel aux chiffres que nous livre Sonia Chane-Kune (1993). En 1714, le groupe des esclaves compte 538 individus ; en 1744, ils étaient déjà 10 338, et en 1758 on comptait 14 599 esclaves (1993 : 60). De son côté, le groupe des Blancs augmente également considérablement : en 1708, on ne compte encore que 507 Blancs dans la colonie ; ils sont 1716 quelques trente ans plus tard, soit en 1735 ; et 6464 en 1779 (Chane-Kune, 1993 : 106).

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renforcer les frontières sociales et les marques de hiérarchisation, ce qui les a certainement conduit, après l'exil des "Petits Blancs", à se rapprocher de leur français régional initial, et ce peut-être d'autant plus que la pression normative commençait progressivement à s'affirmer dans l'île, et qu'en tant que groupes dominants, leur rôle était aussi de se constituer en élites, en groupes de référence, non seulement sur les plans économique et social, mais aussi sur le plan linguistique.

La situation sociolinguistique semble se stabiliser au cours du 18e siècle. Elle est tout au moins relativement claire, et ce, d'autant plus qu'elle fonctionne dans le cadre d'une situation socio-économique extrêmement cloisonnée et verrouillée. Dans les Bas, les esclaves parlent créole et les maîtres le français. Dans les Hauts, le français créolisé, isolé, se stabilise. Les arrivées massives d'esclaves en provenance de Madagascar et d'Afrique orientale ne modifient vraisemblablement pas, à la fin de ce 18e siècle, la situation linguistique, dans la mesure où ils sont immédiatement mêlés au reste de la population servile, et assimilés à eux, sans autre choix possible.

La seconde moitié du 19e siècle et le début du 20e siècle, en retour, apportent des éléments nouveaux sur ce plan. L'abolition de l'esclavage (1848), on l'a vu, entraîne de nouvelles arrivées, celle de la majorité des Indiens engagés, d'une part, et d'autre part, à la fin du siècle, celle des Chinois et des Indiens musulmans, venus dans l'île pour faire du commerce. La situation sociale se caractérise ainsi par un décloisonnement qu'entraîne la fin de l'esclavagisme. Ce décloisonnement, naturellement, est seulement théorique pour une grande partie des anciens esclaves et nouveaux engagés, dans la mesure où les salaires sont minimes et maintiennent les ouvriers agricoles dans une situation d'extrême précarité qui bloque toute espérance d'ascension sociale. Par contre, de leur côté, on peut penser qu'en se lançant dans le commerce, les Chinois et les Indiens musulmans, même s'ils ne parviennent pas forcément à faire fortune, sont dès le départ, en raison de leurs activités professionnelles, en contact avec toutes les catégories socio-économiques de la Réunion, et constituent vraisemblablement à ce titre une catégorie sociale intermédiaire au groupe des ouvriers et à celui des patrons et propriétaires terriens.

Or cette situation n'est certainement pas sans conséquences sur le plan sociolinguistique. Globalement, cette période est une période d'importants apprentissages linguistiques. Les nouveaux venus doivent, comme tous ceux qui sont arrivés avant eux, s'intégrer à leur nouvelle vie et donc apprendre la (les) variété(s) linguistique(s) qui vont permettre cette intégration. Le rôle et le statut social des travailleurs engagés les amènent ainsi à apprendre le créole. S'ils doivent aussi apprendre le créole, les Chinois et les Indiens musulmans doivent également apprendre des variétés qui vont leur permettre à la fois de se faire socialement reconnaître comme groupes socio-économiques (relativement) intermédiaires171 et de se définir comme tels.

Du côté des groupes dominants, le français régional se double du français standard qui commence à être vraiment implanté dans l'île dès la fin du 19e siècle. Cette variété standard est toutefois encore très largement réservée aux élites. Le français régional continue ainsi à être une variété emblématique du statut social de ceux que l'on désigne comme les "Gros Blancs". Elle constitue à ce titre une variété d'exclusion de l'autre, qui n'appartient pas à ce groupe, et n'a pas accès à sa variété. En même temps, cette variété représente le modèle

191 linguistique prestigieux, que cherchent à atteindre ceux qui sont en position de (possible) ascension sociale. Il semble ainsi que l'on peut expliquer que l'émergence du continuum linguistiquecorresponde avec cette période (Chaudenson, 1981), mais aussi, que s'enclenche en même temps, de façon encore vraisemblablement imperceptible, le début de l'érosion des formes basilectales.

À ce titre, l'émergence du continuum linguistique correspond avec l'arrivée dans l'île, et l'intégration au système social réunionnais, d'une population qui tend à se promouvoir socialement (ou plus exactement qui a les moyens de pouvoir se représenter une certaine ascension sociale), et qui de ce fait, ouvre en quelque sorte la voie de cette promotion, montre qu'elle est envisageable. Or, on sait depuis Labov (1976) à quel point la position sociale intermédiaire est une position insécurisante dans la mesure où elle est mouvante et mal définie, et dans laquelle il est précisément difficile de se définir, de se positionner.

Cette notion d'ascension sociale est naturellement ici à comprendre relativement à la situation politique et socio-économique de la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle, qui reste, malgré tout ce que nous venons de voir, une situation très compartimentée, dans laquelle les groupes demeurent très peu perméables les uns aux autres, et qui laisse encore peu de chances à la promotion sociale et / ou linguistique. Mais le fait est qu'elle commence, pour une partie de la population au moins, à être (envisagée comme) possible. Toutefois, en regard de ce qui va se passer avec la départementalisation, la situation coloniale présente un caractère encore relativement stable. Les conflits sociolinguistiques sont, sinon inexistants, en tous cas terriblement étouffés sous le poids de la stratification sociale.

1.2. Départementalisation et décloisonnement du schéma social

La départementalisation bouleverse de nouveau ce schéma, et cette fois radicalement. Brusquement, chaque citoyen a le droit de prétendre à changer de condition sociale et linguistique. La modernisation des infrastructures, des réseaux routiers et de communication, le transfert des normes et des règles de la société industrielle et de consommation métropolitaine, la promesse d'ascension sociale pour tous les Réunionnais, ainsi que tous les progrès réalisés à partir des années soixante de notre siècle et que nous avons évoqués plus haut, modifie complètement toutes les données de la situation en redistribuant au moins partiellement les pouvoirs et les droits.

L'élite réunionnaise la plus ancienne, est constituée par le groupe socio-ethnique de la grande bourgeoisie blanche réunionnaise, dont les membres appartiennent aux familles de gros propriétaires terriens issus de la société de plantation. Avant la départementalisation, les membres de cette catégorie, nous l'avons dit, détiennent tout le pouvoir social, politique et économique, et linguistique. Toutefois, à partir des années soixante, le jeu social se modifie de façon considérable puisque la société issue de la départementalisation a comme conséquence l'émergence de catégories sociales intermédiaires. Une partie de la population issue des groupes sociaux (ou, en l'occurrence, socio-ethniques172) inférieurs se voit ainsi

promue sur l'échelle sociale par le biais de la fonctionnarisation, et se pourvoit d'attributs divers (comportements, mode de vie, habitat, langue) emblématiques de leur nouveau statut socio-économique. Cette catégorie sociale, de formation tout à fait récente donc, est parfois désignée comme "la petite bourgeoisie fonctionnarisée" et / ou "créolisante" (Beniamino & Baggioni, 1993 ; Beniamino, 1996) :

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