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PRESENTATION DU TERRAIN : LA SITUATION SOCIOLINGUISTIQUE DE LA REUNION

1. Des langues et des hommes

1.1. La population réunionnaise : présentation générale

Il existe, à la Réunion, un cliché selon lequel l'île serait une espèce de paradis où toutes les cultures et tous les groupes ethniques cohabiteraient sans aucune rivalité, sans aucun conflit, sans aucune hiérarchie. On va même parfois jusqu'à évoquer le nom de l'île comme une preuve de cette apparente harmonie entre les communautés blanche, noire (ou cafre), malbare, chinoise, malgache, ou encore musulmane, dont les critères définitoires et ou d'appartenance sont souvent flous et fluctuants, faisant tantôt appel à la couleur de la peau, au pays des ancêtres, ou au groupe religieux.

Pourtant, si les discours témoignent souvent de la répartition de la population en "communautés", faisant ainsi référence aux différents groupes ethniques et / ou ethnico- religieux, on ne fait officiellement aucune différenciation entre les groupes ethniques présents à la Réunion : une telle typologie serait absolument contraire à la Constitution française. En outre, même si cela n'était pas en opposition totale avec les préceptes éthiques français, il serait à la fois malaisé et artificiel de tenter d'établir une classification ethnique rigoureuse de la population réunionnaise, tant le processus de métissage est important et ancien, puisqu'il débute dès les premières années du peuplement de l'île.

Ce refus de la part de la Constitution française de rendre compte de la population en termes ethniques a comme conséquence qu'il n'existe pas de données chiffrées réellement fiables quant à la réalité des groupes ethniques présents à la Réunion. Ce point distingue du

157 reste la Réunion de Maurice, que l'on a coutume d'appeler son île sœur132. La constitution

mauricienne, en effet, prévoit que les recensements de la population soient établis en tenant compte d'une typologie ethnique. Paul Soupe (1990), dans un article visant à l'analyse comparative de l'expression de l'ethnicité à la Réunion et à Maurice, part de cette différence constitutionnelle et remarque qu'elle a des incidences inverses sur les discours "populaires".

"Si à la Réunion, le discours officiel instaure un véritable black-out administratif sur la réalité ethnique de cette société, à l'opposé le discours populaire local s'engouffre allègrement dans cet espace laissé vacant. En situation informelle de communication, l'utilisation d'étiquetage ethnique est fréquente. Les références explicites aux Cafres, Cafrines, Zarabes, Yabs, Zoreils et autres Malbars est monnaie courante. Non pas que ces termes soient totalement neutres mais apparemment leur charge stigmatisante, leurs degrés de péjoration semblent de loin moins explosifs qu'à Maurice." (1990 : 67)

Ainsi, même si cette démarche peut sembler artificielle, elle correspond au moins à une certaine réalité sur le plan des représentations sociales, ce qui suffit certainement à ce qu'on en fasse état. Compte tenu des premières réserves que nous venons d'évoquer, nous reprendrons ici les distinctions établies dans la plupart des travaux rendant compte de cette question. Très globalement on peut ainsi répertorier, avec Michel Carayol (1977 : 17 - 25) :

1.1.1- La population blanche, qui se divise en trois groupes :

- Le groupe des Métropolitains, localement désigné comme "Zoreils" envers lesquels apparaissent des sentiments confus et souvent ambivalents, représentant, de façon très résumée, à la fois un modèle socio-économique, culturel et sociolinguistique de référence, et en même temps vraisemblablement un modèle de démarcation, en constituant un groupe dont le groupe réunionnais veut précisément se distinguer. En ce sens, mais nous y reviendrons plus largement, ce groupe semble jouer un rôle non-négligeable dans les processus de définition identitaire du groupe des Réunionnais, et par conséquent dans les processus de construction de cohésion sociale. Si l'on reprend les données approximatives notées par Michel Carayol (1977 : 17), ce groupe est estimé à 10 000 individus, soit environ 2 % de la population totale133, essentiellement regroupés à Saint-Denis, chef lieu du département, et sur

la côte ouest, côte la plus touristique puisqu'elle réunit l'essentiel des stations balnéaires. - Le groupe des descendants des grands propriétaires fonciers, auquel on peut ajouter la grande bourgeoisie urbaine formée de membres de professions libérales ou de Cadres du grand commerce et de l'industrie, arrivés à la Réunion entre le 17e et le 18e siècles. Ce

132 Cette appellation s'explique par la proximité entre les deux îles, mais aussi du fait que les histoires des deux îles ont été initialement parallèles, faisant apparaître des similarités en particulier pour ce qui est de leur peuplement et de leur pluri-ethnicité, ainsi que des origines de leurs créoles respectifs, la première phase de créolisation du créole mauricien s'étant constituée, on l'a vu, à partir du créole réunionnais. La Réunion et Maurice sont ainsi apparentées en sœurs, ce qui reflète du reste assez bien la réalité des rapports qu'elles entretiennent, faits de proximité et de rivalités pour des raisons essentiellement historiques sur lesquelles nous ne nous attarderons pas. Pour des détails, voir par exemple Marcel Leguen (1979 : 69-79).

133 Comme nous le verrons au début de notre quatrième partie, quand il s'agira de rendre compte de la démarche qui a été la notre en ce qui concerne l'élaboration d'un échantillonnage humain, le dernier recensement de l'I.N.S.E.E., datant de 1990, ne rend naturellement pas compte du nombre d'individus métropolitains présents à la Réunion. Le recensement, par contre, indique le lieu de naissance des individus et montre qu'en 1990, 6,2 % de la population présente à la Réunion était née en métropole. Ce chiffre néanmoins est à considérer avec prudence : on a vu que le lieu de naissance ne suffisait pas à distinguer les Métropolitains des Réunionnais.

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groupe socio-ethnique est numériquement faible, mais socio-économiquement puissant. Nous reviendrons également largement sur le rôle qu'il joue dans le domaine sociolinguistique.

Il convient toutefois de prendre garde au fait que l'étiquette ethnique "blanc" est avant tout une construction culturelle et n'a aucun caractère absolu, dans la mesure où l'on sait que le peuple réunionnais est métissé depuis le début de l'histoire de l'île. Les attributs de la blanchitude ne se limitent ainsi pas à une peau claire mais d'avantage à un certain statut socio- économique et à l'appartenance familiale134.

- Le groupe des "petits blancs", numériquement beaucoup plus important que leurs analogues riches, qui s'est exilé dans les régions montagneuses de l'île à partir du début du 18e siècle, constituant un prolétariat rural. À l'heure actuelle ces "petits blancs" ne se trouvent plus seulement dans les Hauts. Une partie d'entre eux s'est promue socialement à la suite des mesures liées à la départementalisation et entrent dans la classe moyenne urbaine (petits fonctionnaires et Cadres moyens du secteur privé) (Carayol, 1977 : 18). Là encore, il faut noter la relativité du terme "blanc", qui ne correspond pas forcément à une réalité telle que l'on croit pouvoir la constater "objectivement", ou tout au moins en fonction de critères plus couramment admis135.

1.1.2- La population d'origine asiatique

Elle comprend également trois groupes, un groupe originaire de Chine, et deux groupes originaires d'Inde.

- Les Chinois, qui représenteraient environ 2,5 % de la population totale (Carayol, 1977), sont originaires de la province de Canton. Leur immigration a débuté après 1850, culminant vers 1875.

- Les Indiens musulmans, localement appelés les Z'arabes (ou Zarabes), sont originaires du Gudjerat, d'où ils ont commencé à arriver approximativement en même temps que les Chinois, et représenteraient environ 2 % de la population (ibid.). C'est le groupe socio- ethnique culturel et religieux le plus cohérent de la Réunion. C'est aussi, comme le note Michel Carayol, le plus fermé aux autres communautés :

"[…] formant de nos jours un groupe ethniquement homogène, ayant conservé dans leur intégralité leur religion et leurs pratiques culturelles, les Zarabes compensent leur infériorité numérique par une grande influence sur le plan économique ; ils tiennent en effet l'essentiel du commerce des tissus et sont en train d'étendre très rapidement leurs activités à d'autre secteurs économiques de l'île […]. On leur adresse parfois le reproche de maintenir leur groupe fermé ; il est de fait qu'ils ont refusé le métissage, mais de leur côté, ils insistent sur leur tolérance, leur désir d'ouverture vers les autres communautés, et rejettent le reproche sur les Créoles qu'ils "accusent" de les avoir tenus à l'écart depuis leur arrivée dans l'île, et d'avoir toujours manifesté à leur égard une certaine méfiance." (1977 : 20)

- Le deuxième groupe originaire de l'Inde est constitué par des individus descendant d'immigrants de religion hindouiste, appartenant aux castes inférieures dans leur région

134 En outre, l'adjectif "blanc" peut s'appliquer, sur un mode ironique et / ou critique, à un individu qui s'est enrichi, quel que soit son origine ethnique et la couleur de sa peau.

159 d'origine. Ce groupe est localement désigné comme le groupe des Malbars, du fait que les premiers Indiens qui arrivèrent dans l'île au 18e siècle, en qualité d'esclaves ou d'engagés, mais en nombre très limité, nous l'avons vu, venaient de la côte Malabar (Mahé, Goa). L'essentiel de la population d'origine indienne, par contre, immigrée plus tardivement, vient de la côte orientale et du sud de l'Inde (le pays tamoul). L'appellation Malbar, vraisemblablement appliquée dès le début du 18e siècle, se serait par la suite maintenue et étendue à la désignation de tous les immigrants indiens non-musulmans (René Robert et Christian Barat, 1992). Les données chiffrées estimant l'importance numérique actuelle du groupe sont très variables. Michel Carayol indique un pourcentage approximatif de 12 %136,

tandis que pour Marcel Leguen par exemple (1979 : 147) ils constitueraient près du tiers de la population totale, ce qui souligne une fois de plus la difficulté et le caractère aléatoire d'une catégorisation des individus en fonction de leur appartenance ethnique. Pierre Cellier donne du reste une approximation intermédiaire (1985 : 33) : pour lui les Malbars représenteraient 20 % de la population totale. Installés pour une grande majorité sur la côte est de l'île (autour des anciennes grandes plantations), ils ont constitué l'essentiel du prolétariat rural. Comme le note Michel Carayol :

" À l'exception de quelques belles réussites sociales, leur niveau de vie reste bas ; les statistiques de l'I.N.S.E.E. pour les communes de la côte au vent [la côte Est] indiquent une nette prédominance des salariés agricoles et des marins pêcheurs, ainsi que des ouvriers non agricoles du secteur privé, c'est-à-dire des catégories sociales les plus défavorisées à la Réunion. Quelques indices concernant en particulier l'accroissement du niveau scolaire depuis ces dernières années laissent prévoir un mouvement d'ascension sociale, lent certes mais régulier, dans ce groupe de population." (1977 : 21)

On observe effectivement l'émergence récente d'une petite bourgeoisie malbare, qui s'accompagne de tentatives de recherche d'une certaine cohésion socio-ethnique et culturelle au sein de ce groupe. Cette quête s'exprime essentiellement à travers le renouement avec des pratiques culturelles et religieuses représentées comme "ancestrales". Elle se double d'un rejet de plus en plus fréquent, par les membres de cette communauté, de l'étiquette "Malbar", stigmatisée (par les autres communautés et / ou par eux-mêmes) et considérée comme dévalorisante, et de la revendication de celle de "Tamouls", qui évoque le modèle prestigieux de référence en matière de civilisation. Comme le soulignent René Robert et Christian Barat (1992) :

"Ils expriment leur volonté de resserrer les liens interrompus pendant plusieurs décennies avec le pays d'origine pour lutter contre la déculturation et l'assimilation. Des jeunes, pensant que l'héritage des ancêtres n'est pas suffisant, vont faire des séjours à l'île Maurice pour approfondir la connaissance de leur culture et de leurs rituels au contact de prêtres indo-mauriciens. Des prêtres apprennent à lire et à parler le tamoul. Des jeunes gens et des jeunes filles s'initient à la musique et aux danses du sud de l'Inde. Certains se rapprochent des Pondichériens, arrivés récemment dans l'île, pour acquérir des connaissances linguistiques et culturelles." (1992 : 58, vol. 7)

1.1.3- La population d'origine africaine

Comme le rappelle Michel Carayol (1977 : 23), les premiers Noirs installés à la Réunion étaient des Malgaches. Ce n'est qu'au milieu du 18e siècle, à partir de 1765, que le

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nombre d'esclaves en provenance d'Afrique de l'Est augmente de manière significative137, ce

qui permet de confirmer le non-fondement de l'existence d'un substrat africain dans le processus de créolisation, dont on a vu qu'il avait abouti au début du 18e siècle. Peu de données sont à l'heure actuelle disponibles sur ce groupe, dont toutes les caractéristiques linguistiques, culturelles et religieuses originelles ont été totalement effacées par l'esclavagisme. Il en résulte que ce groupe est difficile à définir, relativement déconstruit sur le plan socio-identitaire (ou dont la construction de cohésion ne semble pas pouvoir trouver d'autres biais que ceux qui le démarquent des autres communautés), économiquement souvent défavorisé et socialement stigmatisé. Comme le note Rose-May Nicole (1990) :

"Issues de structures dichotomiques imposées par la relation coloniale, ces images dévalorisantes, comme bon nombre de proverbes construits à partir de l'ethnicité, s'insèrent dans un héritage négatif intégrant l'Afrique, héritage qui a laissé bien plus que des traces culturelles ou biologiques. Tout ce qui pouvait venir du noir dans une société qui le réifiait et le frappait d'inessentialité a été refusé et il constitue une sorte de refoulé culturel." (Nicole, 1990 : 147)

La particularité du groupe des "Cafres"138 semble être constituée par le fait que son

fondement identitaire qui ne peut s'attacher à autre chose qu'à la condition servile, puis socio- économiquement démunie, opprimée139, etc., ce qui peut sans doute être mis en rapport avec

l'absence d'une identité culturelle et linguistique "ancestrale", présente dans tous les autres groupes. Nous ne manquerons pas de nous interroger sur le rôle, dans les processus de définition sociale, que peuvent jouer ces cultures ancestrales, et sur les conséquences possibles, sur le plan sociolinguistique, d'un tel manque.

1.1.4- Le groupe métis

Comme le montre Chaudenson (1974a) le métissage remonte aux premières années de peuplement. De fait, on peut considérer que ce groupe est majoritaire, même s'il est bien évident que ses contours sont extrêmement difficilement définissables. Pierre Cellier (1895 : 33) estime que ce groupe représente près de 50 % de la population totale. On distingue souvent au sein de cette population métisse des groupes à caractères ethniques dominants qui constituent, pour Alain Armand "les bases essentielles de la structuration du groupe social [métis]" (1990 : 86). Armand propose ainsi de distinguer le métissage noir / blanc à l'intérieur duquel se trouvent tous les :

"[…] degrés d'une gamme chromatique complète allant du blanc au noir […] [dont] l'identification se fait selon les deux extrêmes d'une polarité raciale conflictuelle et atteste des

137 Michel Carayol cite à ce sujet les chiffres donnés par J. Barassin (1972) qui indiquent qu'en 1709, les Africains constituaient seulement 6 % de la population totale, 9,5 % en 1735, 12,5 % en 1765, et 35 % en 1808 (Carayol, 1977 : 23).

138 En français, ce terme désigne en fait les Bantous originaires de la Cafrerie (Robert et Barat (dir.), 1992). À la Réunion, l'étiquette "cafre" ou "caf" (ou "kaf") désigne les Réunionnais descendant de n'importe quel immigrant africain, ou tout au moins présentant un phénotype suffisament marqué pour être désigné comme tel. 139 Un indice qui peut étayer cette hypothèse est celui des fêtes célébrées dans les différentes communautés. Les Indiens musulmans, les Tamouls, les Chinois et les individus originaires d'Europe pratiquent tous, à différents moments de l'année, des cérémonies religieuses et / ou commémoratives liées aux pays et cultures de leurs ancêtres, tandis que la seule fête que célèbre le groupe d'origine africaine, mis à part, naturellement, les fêtes catholiques, est celle du vingt décembre, qui commémore l'abolition de l'esclavage de 1848. Cette fête, tour à tour appelée "fête de la liberté" et "fête cafre" ("fèt caf"), à laquelle les autres communautés participent éventuellement, est néanmoins bien reliée, dans les représentations, au groupe d'origine africaine.

161 forces d'(auto-)exclusion et d'(auto-) inclusion dans le groupe dominant des Blancs et de ceux reconnus comme tels." (ibid.).

Nous reviendrons naturellement largement sur les représentations sociales attachées à l'ethnicité, mais aussi et de façon plus générale à la définition de l'appartenance ou de la non- appartenance aux différents groupes, qu'il s'agisse des groupes sociaux, ethniques, culturels ou sociolinguistiques. En ce qui concerne cette bipolarité noir / blanc, Robert Chaudenson (1974b) a en particulier montré à quel point les discours identitaires tendaient à déplacer constamment les frontières ethniques140, afin de permettre aux individus de s'exclure le plus

possible du groupe "noir", représenté comme dévalorisant :

"À la Réunion, toutes les désignations sont métaphoriques et se fondent sur le phénotype. On peut en conclure qu'en fait, il n'y a donc pas de classification réelle car en fait tout Métis doit organiser son propre système à partir et autour de l'image qu'il se donne à lui- même de lui-même. On a souvent l'impression que pour bon nombre de Métis […] la limite du blanc et du noir passe par soi et qu'est noir celui qu'on juge plus noir que soi." (1974b : 91 - 92)

Le deuxième type de métissage cité par Alain Armand (1990 : 87) est le groupe "kaf (ou cafre) / malbar", qui, au contraire du premier, ne permet aucune mouvance interne. Essentiellement lié à la société de plantation, il constitue vraisemblablement le groupe socio- ethnique le plus démuni et le plus dévalorisé. Le troisième groupe, enfin, et toujours selon la catégorisation d'Alain Armand, est formé par les métis "zarabe / créole" ou "chinois / créole" :

" […] en entendant ici par créole : non-métropolitain, non-zarabe, et non-chinois et en évitant de le considérer comme équivalent à "réunionnais". D'aucuns pourraient trouver superflus ces précisions sémantiques, mais le terme "créole" est tellement piégé qu'on ne peut faire l'économie d'une mise au point définitive." (Armand, 1990 : 86)

Il convient toutefois ici de se montrer prudent vis-à-vis de la notion de "métissage", qui, comme l'a montré un Colloque tenu sur ce thème à l'université de la Réunion (1991), n'existe qu'en tant que production sociale. Dans le domaine de la linguistique par exemple, on peut ainsi dire sans prendre beaucoup de risques que toutes les langues sont, en diachronie, des langues "mixtes", et que tout acte d'énonciation relève d'un discours pluriel, métissé (Baggioni, 1991).

Si l'on consulte le Petit Robert, on trouve une définition du métissage comme "mélange de races", ce qui pose en outre la question de savoir ce qui distingue précisément la race, de l'ethnie. C'est à cette dernière notion, à ses frontières, et à ce qu'elle recouvre, que nous proposons à présent de nous intéresser.

1.2. Ethnicité et appartenance ethnique

140 On peut se faire une idée des représentations sur cette gamme chromatique du début du 18e siècle grâce au témoignage d'Antoine Boucher (1710) qui décrit dans le détail les différents phénotypes qu'il a remarqué lors de son séjour à la Réunion, et qui propose la classification raciale, incroyablement détaillée, suivante : "blanc > à peu près blanc > basané > mulâtre > fort basané > extrêmement basané > presque noir > noir > plus noir qu'un diable" (cité par Chaudenson, 1992b : 30).

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Il existe entre les termes "race" et "ethnie" une proximité conceptuelle qui font que leurs frontières sont floues et difficilement définissables. De façon schématique, on peut dire que la notion de "race" fait appel à des critères biologiques, que ce soit à travers l'apparence physique, ou la position sur une chaîne généalogique, tandis que le terme d'ethnie insiste sur le support culturel et représentationnel. Mais les choses ne sont pas aussi simples qu’elles n’y paraissent. Fishman (1971) considère par exemple que l'ethnicité se manifeste autour de deux axes, d'une part le patrimoine, ce qui est transmis, et d'autre part la paternité. Selon cette définition, l'identité ethnique se fonderait donc sur une identité d'origine, ce qui pose le biologique comme étant le support du culturel. L'ambiguïté de cette théorie montre bien la