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Le dictionnaire breton de Favreau69 propose pour le terme « tali : thalle de laminaire », définition que reprend P. Trépos (1960). Étonnamment, ce terme n’apparaît pas ou très peu dans les textes avant 1960, contrairement à « goémon » ou « bezhin ». Pour les anciens goémoniers et la grande majorité des auteurs, « tali » est le nom donné à Laminaria digitata (cf. figure 9, page 90). Toutefois, une douzaine de dénominations ayant pour terme de base « tali » laisse penser qu’il s’agit d’une catégorie comprenant les Laminaires (au sens scientifique), comme l’affirme Pierre Arzel, ainsi que deux autres espèces, Sacchoriza polychides et Chondrus crispus. Quelques déterminants sont identiques à ceux associés à « goémon » ou « bezhin » comme « tali ebrel » [avril] (cf. figure 9, page 90). D’autres viennent caractériser des éléments morphologiques, spécifiques à l’espèce, permettant de la

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différencier de ses congénères. Ainsi, Laminaria digitata est appelée « tali moan » [mince] en référence à son stipe fin, Saccharina latissima est nommée « tali friz » [frisé] de part de sa feuille longue et ondulée, Laminaria ochroleuca se voit qualifié de « tali gwenn » [blanc] à cause de sa couleur jaune, beaucoup plus claire que les autres laminaires (Le Berre, 1968). Pour les anciens collecteurs, trois types d’algue ont une dénomination avec le terme de base « tali » : « talipenn » [tête] et sa feuille « taliebrel », « tali » et « talichifretez » [crevette].

Si les avis divergent concernant la catégorie « tali », selon Trépos tous les « tali » sont regroupés dans la catégorie « bezhin soud », c’est-à-dire les algues pour la soude, en référence à l’usage passé. Dès le 17e siècle, les verriers normands des industries de Cherbourg ont utilisé de la soude fabriquée à partir d’algues afin d’abaisser le point de fusion du verre. Au début du 18e siècle, l’activité de récolte est telle que les pêcheurs manifestent leur inquiétude auprès du Roi, craignant que cette exploitation nuise aux poissons (Arzel, 1987). La Grande-Bretagne a connu une trajectoire similaire à celle de la France (Chapman & Chapman, 1980). Si la production a commencé aux environs de 1720, l’industrie s’est très vite développée entre 1726 et 1735. Produisant presque 3000 tonnes de soude, cette activité faisait vivre 60 000 personnes en Écosse et dans les régions voisines. À partir de 1790 en France, l’activité déjà affectée par la Révolution périclita avec la découverte de la fabrication de carbonate de calcium à partir du sel et cinquante ans plus tard en Grande-Bretagne. En 1811, Bernard Courtois découvre de l’iode par hasard dans les cendres des algues. Les cendres d’algues vont donc trouver un second débouché, l’extraction de l’iode. Une industrie se met rapidement en place et la collecte industrielle commence en 1825 en France. En 1829, une usine ouvre au Conquet puis une dizaine d’autres vont suivre sur toute la côte bretonne (Arzel, 1987). Seule la chaîne opératoire de transformation industrielle change, les pratiques des paysans-goémoniers — récolte, séchage puis brûlage des algues — restent identiques.

La récolte se fait grâce à plusieurs techniques mobilisées en fonction des statuts et des marées. Les ramasseurs « inscrits maritimes », c’est-à-dire ayant un statut de marin70 et cotisant à l’Établissement National des Invalides de la Marine, ENIM, pouvaient utiliser un bateau dans leur récolte ou pour transporter ce qu’ils avaient coupé pendant la marée basse. Les non-inscrits devaient attendre que les algues s’échouent pour les ramasser. Dans un premier temps, la récolte du « tali » était autorisée toute l’année et cela jusqu’aux années 1920. Toutefois, il est peu probable que les goémoniers se soient risqués en mer durant l’hiver, préférant attendre les échouages. Par la suite, la date d’ouverture s’est établie à la mi-avril, après la coupe de goémons noirs quand le temps est plus propice et la ressource plus abondante. L’activité de récolte s’arrêtait à la mi-octobre lorsque le séchage et les conditions climatiques devenaient difficiles et que les travaux agricoles (labour et préparation des parcelles) reprenaient (Arzel, 1983). La guillotine, l’outil principal pour la récolte, a été inventée vers le milieu du 19e siècle (cf. figure 14). Il s’agit d’une faucille fixée à l’extrémité d’un manche de trois à quatre mètres de long qui permettait au goémonier de couper les laminaires au niveau de leurs stipes et de les remonter dans le bateau :

70 Ce statut a été créé par Colbert avec l’ordonnance de la marine. Il sera réactualisé en 1930. http://www.enim.eu/lenim/notre-histoire ; consulté le 12 juillet 2016.

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« J’ai connu beaucoup. Ça se faisait avec des plates 71et à l’aviron. On récoltait à la main avec

des guillotines, c’est des faucilles avec des longs manches. Et aux grandes marées, on allait couper à pied sec. On échouait le petit bateau et on la remplissait à main et après on arrivait sur la plage (il regarde autour de nous) et on débarquait les algues avec des chevaux et des charrettes. Après on emmenait ça sur les dunes pour faire sécher. On les vendait sec aux usines. » (Un goémonier embarqué expérimenté)

Cet outil sera remplacé dans les années 1950 par le scoubidou à main (cf. figure 14) qui, bien qu’Yves Colin, goémonier de Portsall soit désigné comme l’inventeur, est le fruit de plusieurs essais et prototypes. Il s’agit d’un tube creux en fer portant à une extrémité deux crochets diamétralement opposés, montés sur une perche de bois de cinq à six mètres (Arzel, 1987; Jacquin, 1980). Les algues ne sont plus alors coupées, mais arrachées par enroulement autour du manche. Une fois chargées dans le bateau, elles étaient transférées dans des charrettes puis mises à sécher sur la dune. Cinq à six tonnes de goémon frais donnaient une tonne de « goémon sec ». Sèches, les algues pouvaient être transportées directement à l’usine qui se chargeait de les brûler ou elles étaient brûlées par les récoltants sur la dune dans des fours à goémons (cf. figure 15).

Le brûlage n’était pas pratiqué tous les jours, car les conditions climatiques devaient être clémentes et la quantité d’algues suffisantes. Cette activité démarrait tôt le matin et se prolongeait pendant une dizaine d’heures. La pâte d’algue fondue était brassée puis mise à refroidir durant une nuit. Un pain de soude, dénomination couramment utilisée, d’environ cents kilogrammes était obtenu à partir d’une tonne d’algues sèches. Les usines en extrayaient trois kilogrammes d’iode (Leblic, 2008). Une fois le pain de soude sorti du four, il était acheminé à l’usine avec laquelle le goémonier traitait. Là, la quantité était pesée et la qualité des pains estimée :

« Quand tu arrivais à l’usine, il y avait des ouvriers qui cassaient à la masse les pains de soude. Et après, il y avait un monsieur avec une petite boîte en bois, l’échantillonneur, il prenait plusieurs morceaux qu’il envoyait à Paris pour être analysés et selon la qualité de la soude on était payé. Pour une bonne qualité, c’était 650 francs la tonne et une année avec mon père, moi et un autre on a fait 14 tonnes. C’était un bon complément. » (Un ancien paysan-goémonier) Le revenu généré pour la saison de travail était d’environ 9 000 anciens francs, soit environ 14 euros. Bien que dérisoire aujourd’hui, cette somme était pour l’époque et dans cette région non négligeable. Devant la forte demande en iode, de nouvelles sources sont recherchées et exploitées de manière plus rentable comme dans des mines au Chili72. Face à cette concurrence, un régime protectionniste mit en place en 1879 par la Convention internationale des Transformateurs d’Iode, aujourd’hui disparue, permet à l’industrie française de maintenir une production de 60 à 70 tonnes par an d’iode jusqu’en 1955 (Arzel, 1987).

71 Petits bateaux à fonds plats, d’environ deux mètres de long. Ces bateaux servaient souvent d’annexes qui permettaient aux goémoniers de rejoindre leurs bateaux amarrés dans le port. Certains s’en servaient pour se rendre dans leurs secteurs de récolte qui ne sont pas trop exposés.

72 L’iode est un élément rare dans le milieu naturel. Au Chili, il est abondant dans une roche sédimentaire appelée caliche. Son exploitation se poursuit encore aujourd’hui (Paillard, 2011).

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A

B

C

A B

Figure 14. Ancienne activité de récolte des algues sur les côtes bretonnes.

Les photographies A et B présentent respectueusement, une guillotine et un modèle de scoubidou à main, issus d’une collection privée d’un ancien goémonier. La photographie C montre une reconstitution du débarquement lors de la fête des goémoniers de Plouguerneau. C. Garineaud. 2014.

Figure 15. Brûlage des algues.

La photographie A montre une reconstitution du brûlage des algues à la fête des goémoniers de Plouguerneau en 2014. La photographie B présente les restes d’un four à goémon sur la dune de Lanildut. C. Garineaud. 2014.

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