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1. Du paysan-goémonier

2.1. Évolution de la récolte embarquée en deux étapes

L’évolution de la récolte embarquée est ponctuée par deux grandes étapes dans l’histoire locale. Tout d’abord, il y a une professionnalisation des goémoniers liée à des évolutions techniques et de fonctionnement de la filière, puis le développement de la récolte de « l’hyperboréa ».

Quelques années après l’invention du scoubidou à main et son adoption rapide, sous la pression des industries qui souhaitent améliorer le rendement, plusieurs pistes sont explorées par les professionnels en collaboration avec les industriels et l’Ifremer. Dans un premier temps, un nouveau prototype est testé en 1961 avec deux plongeurs qui coupaient les algues dans le fond avec une faucille et elles étaient aspirées par le bateau. Après plusieurs essais, les réflexions se focalisent sur les techniques d’arrachage qui prévalent et les recherches aboutissent à la motorisation du scoubidou (Arzel, 1987). Cependant, la technique du scoubidou à main reste employée. La mécanisation des bateaux intervient au début des années 1970 avec le développement d’engins hydrauliques dont tous les nouveaux bateaux sont rapidement équipés. Cette adoption se fait sans hésitation par les professionnels en raison d’une pénibilité moindre et d’un meilleur rendement assurant une pérennité du métier.

Si la récolte est plus aisée grâce à la mécanisation, les algues continuent à être séchées ; ce qui demande un travail considérable pour les goémoniers, leurs femmes, parfois leurs enfants et souvent leurs parents retraités (cf. figure 12, p. 98). À partir de 1976-1977, les usines commencent à acheter les algues grâce à l’amélioration de leurs procédés de transformation. En 1978, le naufrage du pétrolier, l’Amoco Cadiz provoque une marée sur la côte nord du Finistère.

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Cet évènement va accélérer les changements enclenchés. Les goémoniers ne pouvant plus accéder à leurs zones de travail et de séchage habituelles, ils ne peuvent fournir les usines alors très demandeuses. Quelques professionnels décident d’aller récolter des algues dans le sud Finistère, à l’île de Sein. Il est alors impossible de sécher les algues faute de place disponible, de zones de déchargement adaptées, de temps et de main d‘œuvre. Les usines s’adaptent et sont alors en mesure de stocker les algues fraîches et d’en traiter une plus grande quantité. La livraison des algues fraîches décuple alors les possibilités de récolte et amène des conditions de travail bien plus acceptables:

« Il ne faut pas rêver s’il n’y avait pas eu la mécanisation, le métier, il aurait été fini. On était esclaves. Quand il fallait les récolter à la main et les sécher sur la dune, oh non [signe de dépit] tout le monde aurait abandonné le métier. Ça aurait été perdu. » (Un goémonier embarqué qui a connu les deux époques)

Le métier se maintient, mais cette modernisation n’est pas sans conséquence sur les goémoniers et leurs activités. L’accroissement de la puissance des machines permet un meilleur rendement et une augmentation de la taille des bateaux, ce qui a pour conséquence de diminuer leur nombre. En 1953, P. Arzel évalue à 688 goémoniers et 425 bateaux sur toute la Bretagne. En 1971, les effectifs sont circonscrits à la côte entre Brest et Morlaix et comptent de 267 goémoniers pour 215 bateaux. Dix années plus tard, l’ensemble de la flottille est constitué de 70 bateaux mécanisés, pour une centaine de marins (Arzel, 1987). La forme du bateau est également modifiée. Les premiers bateaux avec le scoubidou mécanisé sont construits avec une cabine à l’arrière, mais l’augmentation du volume et de

Figure 16. Un scoubidou et bateau goémonier.

A gauche, un scoubidou de presque 6 mètres avant d’être fixé au moteur qui assure sa rotation en haut du bras mécanisé. Un bateau équipé au scoubidou pour Laminaria digitata rentrant au port avec son chargement (à droite). C. Garineaud. 2014.

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la taille du bateauamènent les goémoniers à positionner la cabine à l’avant78. Puisque les bateaux sont plus imposants, la cabine devient étanche et se modernise avec l’arrivée du matériel électronique comme le sondeur, les radios VHF, etc. Tous ces éléments sont abondamment cités par les professionnels aujourd’hui en activité, lorsque sont évoqués les changements intervenus dans la flottille.

Paradoxalement si l’activité goémonière se professionnalise et se perfectionne, elle reste limitée à six mois de l’année, ce qui ne suffit pas pour vivre. Un revenu complémentaire est essentiel. C’est dans un premier temps par la pêche aux casiers ou aux filets avec leurs bateaux ou en intégrant un équipage, que le complément se fait au printemps et à l’automne. La modification du bateau permet d’utiliser des engins de pêche traînants comme la drague. La récolte de la coquille Saint-Jacques (Pecten maximus), de la praire (Venus verrucosa) et des pétoncles noirs (Mimachlamys varia) en rade de Brest apparaît alors comme un très bon complément puisque les bateaux, rentrant dans les normes imposées par les instances décisionnaires pour pratiquer cette activité, peuvent travailler l’hiver dans ce secteur abrité et que les prix de ces coquillages sont relativement élevés (Arzel, 1997).

Les transformations au sein du métier de goémonier ont conduit à une séparation complète avec le milieu terrestre. Le paysan-goémonier devenu goémonier à part entière se rapproche du pêcheur par les pratiques, la connaissance des nombreux lieux de collecte, le temps passé en mer. La polyactivité devenant presque une caractéristique partagée, le métier devient celui de « goémonier-coquiller », expression désignant à la fois le bateau et les professionnels d’un point de vue emic et etic.

La récolte du « tali » se déroule de mai à fin septembre et la pêche aux coquillages en rade de Brest est limitée à trente jours entre novembre et mars laissant les marins presque six mois sans activité. La réflexion pour la pérennisation de la profession s’oriente vers le développement de nouvelles collectes complémentaires et d’une meilleure valorisation de la ressource algale. Cette réflexion coïncide avec les demandes grandissantes des entreprises et l’essor des produits gélifiants. Un processus de diversification par l’exploitation d’une seconde espèce, Laminaria hyperborea, se développe à la fin des années 1970. La récolte de « l’hyperborea » pour reprendre la dénomination des collecteurs d’algues démarre en 1961, en Norvège. En Bretagne, une première expérience de collecte est menée en 1978 avec trois bateaux suite à « la demande de la part des industriels » d’après un goémonier impliqué. En 1980, une première tentative de production semi-commerciale est réalisée avec des dragues, inspirées de celles utilisées pour les coquillages (Arzel, 1996). Mais la technique n’est pas adaptée aux fonds marins durs et accidentés de la mer d’Iroise. L’activité est stoppée quelques saisons plus tard, en raison des coûts onéreux et d’une divergence entre les goémoniers et les industriels (Ibid). Il semble y avoir eu une opposition de la part d’autres usagers de la mer, mais toutes les sources bibliographiques et humaines restent très évasives sur ce point. La divergence entre les goémoniers et les industriels porte sur la transformation des algues après récolte. Les industriels s’aperçoivent que l’alginate recherché se trouve principalement dans le stipe. Ils demandent alors à ce que les algues leurs soient amenées après la séparation entre la feuille et son pied. Bien trop coûteux en temps, main- d’œuvre et difficilement réalisable à bord des bateaux pour les goémoniers, ils souhaitent que cette transformation soit faite par les industriels. En 1990, une nouvelle mission d’étude, financée par l’Ifremer, le Comité interprofessionnel des algues marines (CIAM) et le Centre de valorisation des

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algues (CEVA) est menée en Norvège où des informations techniques et des modalités de suivis de la ressource sont collectées. Une collaboration plus étroite entre professionnels et industriels conduit à la reprise des essais de récolte ce qui marque une évolution professionnelle importante. Par le passé, des témoignages et quelques documents79 semblent montrer que les industriels avaient une attitude directive et contraignante.

« C’est nous [les trois goémoniers impliqués dès le départ] qui avons tout fait, avec les industriels. Les autres goémoniers disaient « qu’ils se débrouillent les industriels » et maintenant, tout le monde se bat pour le faire ». (Un goémonier pionnier dans la récolte d’hyperboréa) Ces propos montrent bien le désintérêt des autres goémoniers envers les acheteurs-transformateurs d’algues. À partir de 1994, ces principaux acteurs de la filière sont impliqués dans la mise en place de l’activité de récolte de Laminaria hyperborea. Le problème majeur reste malgré tout l’outil de travail. Après plusieurs essais, une adaptation du peigne norvégien (cf. figure 17) proposée par un M. Braud, ingénieur de l’entreprise Sanofi, propriétaire à cette époque d’une entreprise de transformation d’alginate, est choisie comme outil de récolte. M. Braud va notamment réduire le poids et relever les patins, principales différences entre l’outil français et norvégien. Diverses études sont alors menées sur l’efficacité, la sélectivité, l’impact, les conditions d’utilisation et de rentabilité de l’engin. Elles aboutissent à l’ouverture d’une récolte expérimentale de 2000 tonnes en 1996. En raison des demandes plus importantes de la part des usines, plus de 15 000 tonnes sont collectées en 2000. Mais seuls quelques bateaux pratiquent cette pêche complémentaire à ce moment-là. Si un modèle de peigne est défini par les différents acteurs mobilisés, celui-ci continue à être modifié. Aujourd’hui, plusieurs modèles sont utilisés. Pour approvisionner les usines en stipe de L. hyperborea, quelques professionnels et saisonniers vont les ramasser sur les plages l’hiver durant les échouages massifs. Parallèlement, de rares goémoniers reprennent les activités de coupe du « goémon noir » pour fournir les quelques industries qui se développent. L’estran délaissé retrouve un attrait temporaire.

79 Nous faisons référence entre autres à une notice éditée en 1952 (Anonyme, 1952) par les industriels à destination des goémoniers sur les bonnes et mauvaises pratiques de récolte, mais aussi de transformation. Nous reviendrons dans le chapitre 9 sur ce document.

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Figure 17. Le bras hydraulique et le peigne norvégien.

Au premier plan, nous apercevons le treuil avec le câble (A). Au-dessus, le bras hydraulique et ses vérins (B) qui permettent ses mouvements et le peigne (en blanc) (C) dans le fond de la cale. La photo en bas montre un peigne plein après un « trait ». C. Garineaud. 2014.

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