• Aucun résultat trouvé

2. De l’algue à la forêt sous-marine : biologie et écologie des algues de Bretagne

2.4. La grande forêt sous-marine des Laminaires

Les Laminaires sont largement distribuées dans les eaux plus froides de la planète, dans les hémisphères sud et nord (Chapman & Chapman, 1980). En Bretagne, elles forment le long du littoral la ceinture d’algues la plus abondante et étendue sur le substrat rocheux. Elle peut être divisée en deux parties, l’une dominée par Laminaria digitata, dans le bas de la zone intertidale et l’autre par Laminaria hyperborea dans le subtidale jusqu’à des profondeurs de 30-35 mètres. En France, leurs aires de répartition se limitent au sud de la Bretagne, car elles sont incapables de se reproduire, lorsque la température de la mer est supérieure à 16 °C (Ibid).

66

Laminaria digitata (Hudson) J. V. Lamouroux, 1813

Description et écologie

L. digitata est une algue de couleur brun foncé au stipe lisse et flexible. Elle peut atteindre entre trois et quatre mètres de longueur. Elle possède un stipe cylindrique de trois à quatre centimètres de diamètre et qui ne porte pas ou que très rarement d’épiphytes. Au-dessus se trouve une lame large et fendue en plusieurs rubans. Cette algue peut vivre quatre à cinq ans.

Elle se reproduit grâce à des spores qu’elle libère à la fin du printemps. Elle peut être récoltée dès sa deuxième année grâce à sa croissance rapide. La biomasse diminue naturellement en hiver par la disparition des plants de grandes tailles. Dès la fin de l’été, elle perd sa fronde et se délite puis elle est arrachée pendant les tempêtes. Elle a pour particularité d’être un des organismes à contenir le plus d’iode dans le monde (jusqu’à 4 % en masse séchée chez les jeunes pieds), caractéristique sur laquelle l’industrie de l’iode a reposé pendant plusieurs décennies.

Fixée par un crampon, elle se développe sur un substrat rocheux dans la frange supérieure de l’infralittoral en mode abrité à semi-battu. Elle forme une ceinture au-dessus de Laminaria hyperborea.

Elle croit en Atlantique Nord, Manche, Mer du Nord et Mer Baltique.

Récolte et usages

Laminaria digitata est récoltée soit à pied grâce à des faucilles par les récoltants d’algues de rive soit par des navires goémoniers avec une grue articulée et un scoubidou (cf. page 118). Avec environ 45 000 tonnes par an, c’est l’algue la plus récoltée en Bretagne. Elle est utilisée la production d’alginates, gélifiant- épaississants sous code additif alimentaire E400 à E405. Par le passé, diverses substances comme la potasse, la soude ou l’iode ont été produites à partir de cette algue. Elle est également utilisée dans l’alimentation humaine, vendue sous forme sèche.

Dénominations tirées de la bibliographie Dénominations obtenues lors des entretiens

Anguiller Bezhin bleunv Bezhin sklej Bezhin ston Bezhin warle Foui-toutrac Fouetou-treaz Gwac'hle Kaol Kaolenn Korle Kombu Ouarle/Ouarl Tali du Tali gwac'hle Tali moan Tali moan ebrel Tali warle Tonn siliou Bodré Fouet de sorcière Kombu breton La digitata Laminaire Laminaria digitata Queue de vache Tali Tali du Tali moan Tali penn

Laminaria hyperborea est la laminaire la plus imposante présente sur les côtes françaises par sa biomasse et par sa taille. Contrairement à L. digitata qui possède un stipe flexible et lisse, celui de L. hyperborea est rigide et rugueux, servant d’habitat à de nombreux épiphytes (algues, invertébrés, etc.). Elle vit au plus bas dans la zone subtidale jusqu’à 30 mètres. Avec une croissance très lente, elle peut vivre entre dix et dix-huit ans (Leclerc, 2013). Lors de sa croissance au début de l’hiver, le stipe s’allonge et une nouvelle feuille se forme à partir de la zone du méristème à la jonction du stipe et de la lame. L’ancienne feuille vient s’échouer au printemps sur les côtes. Les pieds peuvent également être arrachés en hiver et former de gros amas de plusieurs mètres bien visibles sur les plages.

67

Également très riche en iode, c’est dans le stipe qu’est contenu l’alginate, gélifiant épaississant servant dans l’industrie alimentaire et pharmaceutique, recherché aujourd’hui.

Laminaria hyperborea(Gunnerus) Foslie, 1884

Description et écologie

Laminaria hyperborea peut atteindre trois à quatre mètres de long. À la base se trouve un crampon épais avec au-dessus un long stipe, cylindrique rugueux et cassant portant de nombreux épiphytes. La fronde est découpée en lanières. Cette algue peut vivre plus de dix ans. Chaque année, au printemps, la nouvelle fronde pousse au sommet du stipe sous l’ancienne qui se décroche et vient s’échouer sur la côte.

Elle se retrouve dans l’infralittoral en mode battu au-dessous du niveau des plus basses mers de vives-eaux et de la ceinture de Laminaria digitata.

Elle est présente dans l’Atlantique Nord. La Bretagne est sa limite sud sur la côte est.

Récolte et usages

Récoltée par le passé lors des échouages massifs des anciennes frondes au printemps pour l’amendement des terres agricoles ou la production d’iode, elle est aujourd’hui pêchée à partir des bateaux goémoniers, grâce au peigne norvégien. Environ 25 000 tonnes sont collectées par années. Ces algues sont utilisées dans la production d’alginates.

Dénominations tirées de la bibliographie Dénominations obtenues lors des entretiens

Bezhin avel Bezhin avrilh Bezhin distag Bezhin ebrel Bleuniou mae Bezhin peňse Bezhin sking Bezhin tonn Bezhin tor Bleunv Bod mae Goémon d’avril Goémon d’automne Goémon rouge Kalkod Kalkodenn Kalkoed Kalkon Kalkud Kalkut Koal Mantelet Melkern Meskern Melkarn Skign Skin Sklej ebrel Ston Raskin Talienn ebrel Tali ebrel Tali penn Tali ruz Taol skign Ton ebrel Balai de sorcière Baton Bezhin ébrel Bezhin meurse Cloustoni Goémon d’avril Goémon d’épave Goémon de dérive Goémon de mars Hyperboréa Kalgouin Kalkote Kalkute Kring Laminaria hyperborea Melkern Melkorn Queue de vache Skin ebrel Stipe Tali penn Tali ebrel Tonn Toniganet  c.garineaud

68

Bien que ce ne soit pas une Laminaire, Saccorhiza polyschides est souvent classée comme tel dans le discours des scientifiques, car elle est en très proche morphologiquement et écologiquement. Son crampon très volumineux avec des renflements est à l’origine des noms scientifiques qui lui ont été attribués36. Espèce opportuniste, elle peut supporter un large spectre de conditions environnementales depuis des endroits très abrités à des endroits battus, de 0 à 10 mètres de profondeur (Norton & Burrows 196937 cité par Robuchon 2014). Elle supporte des températures plus élevées que L. digitata. Cette algue annuelle possède une très forte croissance. Bien qu’elle joue un rôle important dans l’écosystème et dans les cycles du carbone par exemple, elle pourrait prendre de l’importance au détriment des Laminaires avec le changement climatique, car elle tolère des eaux plus chaudes et ainsi l’écosystème serait modifié. Ce changement impacterait l’activité de récolte puisqu’elle n’est pas valorisée dans l’industrie en raison de sa faible teneur en alginate.

36 Saccorhiza : du latin [sacc] = sac, bourse et du grec [rhiza] = racine : racine en forme de bourse, à cause de sa forme creuse. Ancien nom scientifique : bulbosa.

37 Norton, T. & Burrows, E. (1969) Studies on marine algae of the British Isles. 7. Saccorhiza polyschides (Lightf.) Batt. British Phycological Journal, 4, 19-53.

69

Saccorhiza polyschides(Lightfoot) Batters 1902

Description et écologie

Saccorhiza polyschides est une grande algue brune dont la taille peut varier de deux mètres à presque dix mètres. La fronde de couleur brun-doré peut avoir une largeur de trois mètres, elle est découpée en lanières et couverte de touffes de poils. Le stipe est flexible plat et très large. Il forme un ruban coriace. Le crampon, caractéristique, est recouvert par un bulbe épais, verruqueux et creux. Il peut atteindre un diamètre de 50 centimètres. Cette algue annuelle pousse très rapidement.

Cette algue pousse dans les eaux peu profondes de l’étage infralittoral. Son bulbe lui permet de résister dans les zones battues. Elle s’implante dans les ceintures de laminaires. Elle peut prendre le dessus sur L. digitata dans si les conditions sont difficiles (turbidité forte), ou après une forte perturbation (Valero et al., 2006).

Très commune, elle s’étend de la Norvège jusqu’au Maroc.

Récolte et usages

Cette algue est récoltée involontairement lors de la récolte de Laminaria digitata mais elle n’a pas d’usage en particulier.

Dénominations tirées de la bibliographie Dénominations obtenues lors des entretiens

Bagad Bol Bezhin tuad Cholgorn Kalgenn Mac'h Marc'hou Pennou chas Penn-ki Sac'h maout Sac'h tarv Spanell Talipenn Teilh siliou Tued Toser Tossor Lame de ressort Laminaria bulbosa Le boudin Saccorhiza bulbosa Saccorhiza polychides Tosser Tuat

Laminaria ochroleuca, bien que plus rare est souvent confondu avec L. hyperborea dont elle se distingue par une couleur jaunâtre et un stipe dressé, lisse rendant l’installation des épiphytes impossibles. Elle est abondante dans quelques secteurs du Nord-Finistère notamment dans la baie de Morlaix et à proximité de l’Aber Ildut (cf. figure 2 et 3, p. 25-26), mais elle est souvent répartie en tâche dans la ceinture de L. hyperborea. Toutefois, il semble qu’elle soit en expansion en raison du réchauffement de l’eau (Smale et al., 2013). Elle possède également un alginate moins gélifiant, ce qui n’en fait pas une algue recherchée

.

70

Laminaria ochroleucaBachelot de la Pylaie, 1824

Description et écologie

Cette grande laminaire de plus de deux mètres se distingue facilement par sa couleur jaune. Très ressemblante à Laminaria hyperborea, elle se différencie par un stipe lisse sans épiphyte. La fronde est également découpée en de longues lanières. Comme les autres laminaires, elle vit dans l’infralittoral dans les ceintures de L. digitata et L. hyperborea. Elle se retrouve dans les secteurs semi-abrités voire abrités et dans les zones avec du courant.

Cette espèce est présente du sud de la Grande-Bretagne et dans la partie sud de l’Europe.

Récolte et usages

Récoltée parfois de façon involontaire par les goémoniers, elle est recherchée par quelques récoltants à pied. Elle est ramassée à la main puis séchée et vendue aux usines spécialisées. Elle sert dans l’élaboration de produits cosmétiques et pharmacologiques

Dénominations tirées de la bibliographie Dénominations obtenues lors des entretiens

Kalkud melen Kalkon melen Melkern dourog Seurezed Tali bambou Tali bouc'h Tali bour Tali gwenn Laminaria ochroleuca Ochroleuca

Tali bonne sœur Tali bouc Tali bourre Tali chifrotez Tali jaune Tali léas Tali mélen Tali pise Toche

Enfin, deux autres espèces de Laminaires sont présentes sur les côtes bretonnes : Saccharina latissima et alaria esculenta. Elles se différencient des Laminaires précédentes par leur morphologie, avec une fronte non découpée. Espèces annuelles, elles ont pour particularité de continuer à pousser si elles sont coupées. Elle se met alors en phase de reproduction en raison de leur écologie et de leur population très dispersée. C’est la méthode utilisée pour la capture des spores en l’algoculture. Pauvres en alginates, elles sont en revanche de très bonne qualité alimentaire.

71

Laminaria saccharina (L.) C.E. Lane, C. Mayes, Druehl, et G. W. Saunders, 2006

Description et écologie

Laminaria saccharina est une grande algue brune qui peut mesurer près de quatre mètres. Le stipe est mince comme le crampon et peut mesurer vingt centimètres. La fronde d’environ trente centimètres de large est allongée, non découpée, ondulée sur les bords et boursoufflée de part et d’autre d’une ligne médiane. Elle peut vivre plusieurs années.

Cette espèce du médiolittoral inférieur à l’infralittoral se rencontre en mode calme sur du substrat rocheux, mais également dans des chenaux de sable ou de gravier.

Son aire de répartition est très étendue : de la Norvège au Portugal.

Récolte et usages

Arrachée ou coupée, elle est récoltée pour l’extraction des alginates. Elle est également autorisée pour l’alimentation humaine. Elle est consommée directement ou utilisée comme contenant, pour la cuisson en papillote. Une dizaine de tonnes est récoltée chaque année dans le milieu naturel et une cinquantaine de tonnes est issue de l’algoculture.

Dénominations tirées de la bibliographie Dénominations obtenues lors des entretiens

Baist Baodre Baodrez Baudrier de neptune Bezhin dentelez Bezhin fres Bezhin fris Bodrez Bodrez fris Deliou fris Gaetachou Gwrac'hetaj fris Frisou Kornailh Manteau ridé Mantell ridet Rubanou Tali frez Varech à sucre Denteles Frizé Graslestache Kombu royal Laminaria saccharina Peau de crocodile Queue de crocodile Rubanou Saccharina Saccharina latissima Tali Tali friz  c.garineaud

72

Alaria esculenta(Linnæus) Greville 1830

Description et écologie

Cette algue mesurant environ un mètre et d’une couleur brune se différencie des autres laminaires par un stipe très court et une lame non divisée séparée en deux par une nervure médiane prononcée. Cette espèce annuelle vit dans les zones battues de l’infralittoral. Alaria esculenta est une espèce nordique qui a pour limite sud la Pointe du Raz et qui tend à régresser en Bretagne sud38.

Récolte et usages

Très peu utilisée par le passé, elle est aujourd’hui collectée en très faible tonnage pour un usage alimentaire.

Dénominations tirées de la bibliographie Dénominations obtenues lors des entretiens

Bejin raden Butun Friz du Friz doubl Gwrac'hetaj Kaolaj hir Raden Raden aod Raden puns Alaria Alaria esculenta Atlantic Wakamé Butum Wakamé breton

Ces « forêts de Laminaires » font depuis une dizaine d’années l’objet d’études39 plus importantes afin de combler le manque d’information (Leclerc, 2013; Robuchon, 2014; Smale et al., 2013). Contrairement aux Fucales, ces Laminaires sont dressées dans l’eau vers la surface et peuvent mesurer plusieurs mètres. Fixées au substrat par de solides crampons, leur thalle est constitué d’un stipe plus ou moins rigide puis d’une fronde divisée. Leur croissance se réalise à l’intersection des deux grâce aux méristèmes intercalaires.

Les Laminaires sont considérées comme des espèces ingénieures40 (Jones et al., 2008), car elles influencent fortement le milieu : l’hydrodynamisme et la luminosité. Elles fournissent un biotope pour les organismes benthiques et pélagiques. Cette complexification du milieu et les paysages sous-marins qu’elles forment ont amené les spécialistes à employer le terme de « kelp forest »41 ou « forêt de Laminaires » pour le contexte européen (Leclerc, 2013). Le premier à le faire fut Darwin à propos des

38 Information recueillie lors d’un entretien avec un spécialiste des algues de la station de biologique de Roscoff. 39 Il est difficile de lister tous les programmes, mais la mise en place de programme type l’ANR Ecokelp témoigne de l’intérêt.

40 Espèce qui, par son activité ou sa présence, change les conditions du milieu dans le lequel elle vit (Jones et al., 2008).

41 Le terme anglosaxon « kelp » désigne les grandes algues brunes. S’il est couramment utilisé dans littérature scientifique anglosaxonne, nous préférons employer « Laminaire ».

73

algues géantes au Chili qu’il compare aux forêts terrestres. Selon lui, ces forêts marines jouent un rôle essentiel dans la survie des espèces de poissons, d’oiseaux et de mammifères, mais aussi les populations locales qui comme cette cohorte animale pourrait cesser d’exister si la forêt disparaissait :

« I can only compare these great aquatic forests...with the terrestrial ones in the intertropical regions. Yet if in any country a forest was destroyed, I do not believe so nearly so many species of animals would perish as would here, from the destruction of kelp. Amdist the leaves of this plant numerous species of fish live, which nowhere else could find food or shelter; with their destruction the many cormorants and other fishing birds, the otters, seals and porpoise, would soon perish also; and lastly, the Fuegian[s] would decrease in numbers and perhaps cease to exist »42. Charles Darwin, 1 June 1834, Tierra del Fuego, Chile,(Darwin, 1909, p. 356)

Elles diffèrent de leurs homologues terrestres par leurs plus grandes productivités. Si les forêts terrestres atteignent un stade mature (hauteur de dix à trente mètres) en vingt à trente ans, ces forêts marines mesurent de trois à quinze mètres en un à trois ans. Contrairement aux arbres qui ont une longévité de plusieurs siècles, la durée de vie des individus dépasse rarement vingt ans (Steneck et al., 2002). Elles diffèrent également au moins des forêts européennes par leur diversification. Celle-ci réside autant dans les espèces de Laminaires elles-mêmes que dans la myriade de biotes43 (mammifères, poissons, invertébrés et algues) qui y vivent. Cette biodiversité se niche dans toutes les strates de ces forêts. Dans son travail de thèse, en écologie marine sur la biodiversité des forêts de Laminaires dans l’archipel de Molène et près de Roscoff en Bretagne, Jean-Charles Leclerc a dénombré 110 espèces de macroalgues, une centaine d’espèces animales dans un crampon de L. hyperborea, véritable microécosystème d’une grande importance pour la faune mobile et sessile. Ses résultats confirment les études sur les côtes norvégiennes où presque 200 espèces avaient été comptabilisées (Leclerc, 2013). Ces forêts d’algues abritent une faune variée de poissons et de crustacés qui y trouvent une nourriture abondante, des lieux de ponte, des zones d’ombrage, des caches qui permettent à la proie d’échapper aux prédateurs (Pérez, 1997). Il s’agit de l’un des écosystèmes les plus diversifiés et productifs du monde (Steneck et al., 2002). Cette biodiversité est un facteur de résilience comme le soulignent ces biologistes (Ibid) face aux aléas biologiques comme l’arrivée d’espèces non indigènes, mais aussi face aux changements climatiques mondiaux et régionaux qui ont des impacts sur ces écosystèmes.

Outline

Documents relatifs