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3. De la mer vers la terre : usages agricoles et domestiques du goémon

3.3. Goémons divers et autres usages domestiques

De nombreuses études ethnobotaniques ont souvent pour thème de prédilection la pharmacopée. Les usages médicinaux sont peu abordés dans la première littérature consultée avant le terrain de recherche et, comme de nombreux ethnoécologues, cette question nous tenait à cœur. Bien qu’aucune dénomination ou catégorie ne semble indiquer de tels usages, certains auteurs les évoquent. Pour Philippe Jacquin (Jacquin, 1980), elles auraient servi dans la fabrication de tisanes et de pâtes afin de soigner différents maux de gorge au 18e siècle à Paimpol. Palmaria palmata serait un antiscorbutique lorsqu’elle est prise en décoction, provoquant une forte sudation et limitant les accès de fièvre. Porphyra spp. aiderait à lutter contre les troubles de la rate et du foie et Fucus serratus

67Sur le site du CNRS, un article sur un actif d’algue à l’origine du 1er vaccin des plantes. https://www2.cnrs.fr/explorateursdesmers/spip.php?article22, consulté le 11 juillet 2016.

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contre la polysarcie68 (Ibid). Sur l’île de Batz, Chondrus crispus servait à confectionner des crèmes pour les rhumes et les bronchites (Trepos, 1960). Fucus vesiculosus guérissait la goutte et les stipes* de Laminaria hyperborea dilataient le col utérin (Sauvageau, 1920). Seul ce dernier usage nous a été rapporté indirectement lors d’entretiens réalisés avec des personnes ayant enquêté auprès des femmes de l’île de Molène dont voici un exemple :

« Les stipes de laminaire servaient pour faciliter les accouchements dans les années 20-30 et pour les accouchements hémorragiques. Aujourd’hui, on a la même application, mais avec les alginates. Et puis [murmure] autrefois, les femmes s’en servaient pour avorter. » (Une salariée de l’écomusée des goémoniers de Plouguerneau)

Enfin, une personne nous a confié avoir soigné ses problèmes de peau avec les appendices du « goémon noir », usages non connus des autres personnes interrogées à ce sujet.

Le rapport au corps et la dimension saine des algues se retrouvent dans l’usage alimentaire qui en a été fait. Quelques dénominations et catégories telles que « haricot de mer » ou « salade » pourraient laisser entendre une consommation des algues par les hommes. Cette question est abordée dans tous les ouvrages sur les algues et leurs usages (Arzel, 1987; Chapman & Chapman, 1980; Jacquin, 1980; Leblic, 2008; Mauriès, 1875; Sauvageau, 1920). Si la consommation est courante, importante en quantité et socialement dans les pays d’Asie, elle est très variable et assez rare en Europe et se limite aux genres Ulva, Porphyra et Palmaria dans les pays d’Europe du Nord, de fait, elle est sujette à débat (Arzel, 1987; Chapman & Chapman, 1980). Associée à la pauvreté et aux périodes difficiles, manger des algues n’est pas toujours bien perçue ou vécue en Europe. Nous avons pu le constater lors des entretiens ou dans la littérature. Jacques Besançon évoque l’usage alimentaire de la laitue de mer (Ulva) en Écosse et la fabrication d’un pain d’algues au Pays de Galles, frit dans la graisse, comme substitue aux œufs (Besançon, 1965, p. 332). Le père Maunoir évoque avec mépris les femmes de l’île de Sein qui recueillaient le varech comestible pour compenser l’insuffisance de blé (Le Roux, 1848). Pour le reste de la région Bretagne, l’utilisation alimentaire des algues est très discutée, mais assez rare. Selon Jacquin, la consommation du thalle de Laminaria hyperborea au mois d’avril en soupe était fréquente (Jacquin, 1980). Camille Sauvageau évoque les jeunes pousses de Laminaria digitata, d’Ulva et de Porphyra consommées en salade, qui lui ont laissé un mauvais souvenir, ainsi que Laurencia pinnatifida et Palmaria palmata (Sauvageau, 1920, p. 274). Les pratiques précédemment décrites semblent ponctuelles et localisées, ce que ce même auteur explique en écrivant : « On admettra cependant que si les riverains qui en mangeaient avaient apprécié les algues marines comme un aliment particulièrement agréable, sain, nourrissant et réconfortant, l’inverse se serait produit, ils auraient continué à retirer de la mer ce produit qui leur coûtait seulement la peine de les cueillir ». Toutefois, deux utilisations des algues dans la préparation de plats sont souvent citées dans la littérature, mises en avant localement et présentes dans les discours. La catégorie d’algues « liken »- « pioka »-« petit goémon »-« tapioka »-« goémon blanc » regroupant plusieurs types (cf. figure 9, page 90) que nous évoquerons par la suite, était utilisé dans la confection de flan notamment à Ouessant où il était séché, blanchi puis mis à bouillir dans du lait, en refroidisant, il gélifie le liquide (Arzel, 1987). Ascophyllum nodosum servait et sert à fumer les saucisses et les andouilles dans l’archipel de Molène (Leblic, 2008). Les catégories et les dénominations qui apparaissent dans la classification des anciens

68 Hypertrophie générale des muscles et du tissu adipeux. http://www.cnrtl.fr/lexicographie/polysarcie ; consulté le 11 juillet 2016.

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goémoniers ne font pas référence à des usages anciens, mais à des usages récents et à un renouveau dans l’alimentation que nous aborderons par la suite.

Les populations littorales ont comblé le manque de bois par une utilisation des algues comme réserve de combustible. Dès le 18e siècle, des écrits de l’évêque du Léon évoquent l’utilisation de goémon séché à des fins de chauffage et de cuisson (Arzel, 1987). Cette pratique se maintient jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Elle jouait un rôle sporadiquement important, mais elle s’inscrit dans une périodicité particulière notamment à l’île de Batz où une coupe de goémons noirs effectuée en septembre était réservée à cet usage (Arzel, 1983). Le goémon sec était haché puis mélangé à de la bouse de vache, formant le « glaouad ». Ces galettes étaient étalées sur les murs afin de sécher et de durcir pour pouvoir brûler. Cette technique est à l’origine d’un des blasons populaires de la commune de Porspoder « kaoc’h war ar voger : de la merde sur les murs » (Arzel, 1987, p. 31).

Nous constatons que les algues n’ont pas eu un déploiement aussi important dans les aspects domestiques qu’au sein des activités agricoles. Comment expliquer alors la structuration et l’influence si importante de cet objet naturel sur la vie quotidienne avant les années 1960 ? L’influence sur le mode de vie des communautés locales semble liée à leur existence en tant que matière première pour l’industrie.

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